Alors que certains se lancent dans le défi de la rentrée littéraire à venir - à savoir : lire tous les livres de la rentrée littéraire - je me suis lancé il y a de cela des années un défi de taille : lire avant ma mort, un Nothomb, un Lévy, un Musso. En espérant pour moi qu'un phénomène littéraire de cette ampleur n'apparaisse pas. Sur ce dernier point, il me semble que je vais devoir ajouter un Bussi et que, l'industrie de l'édition, industrie de masse, saura (malheureusement pour moi) produire d'autres phénomènes de ce type.
Dans L'ornement de la masse, recueil d'articles sur les phénomènes de masse comme peut l'être une rentrée littéraire, Kracauer considérait que « le lieu qu'une époque occupe dans le processus historique se détermine de manière plus pertinente à partir de l'analyse de ses manifestations discrètes de surface, qu'à partir des jugements qu'elle porte sur elle-même. Ceux-ci, en tant qu'expression des tendances du temps en sont pas des témoignages concluants sur l'état d'esprit global du siècle. Les premières, par leur caractère inconscient, donnent directement accès au contenu fondamental de la réalité existante. Inversement, leur interprétation est liée à la connaissance de celui-ci. le contenu fondamental d'une époque et ses mouvements demeurés inaperçus s'éclairent mutuellement. ». Et Kracauer s'intéresse, entre autres, aux livres à succès et leur public qui reprend une série publiée dans les pages littéraires du Frankfurter Zeitung intitulée « Comment s'expliquent les grands succès de librairie ? ».
En termes de succès de librairie, nous avons Nothomb, Lévy, Musso, Bussi, et d'autres évidemment. A l'époque où Kracauer expliquait les grands succès de librairie, il s'agissait de Zweig, de Jack London, de Remarque, de Franck Thiess et Richard Voss*. Les séries de livres à succès, en tant que manifestations discrètes de surface, des deux époques respectives illustrent bien le lieu de chacune des deux époques dans le processus historique.
Mais revenons à mon défi. J'ai commencé le défi (d'une vie) par un Amélie Nothomb. Des trois, Nothomb est la star de la rentrée littéraire depuis des années déjà. Comme il y a le Black Friday, le Beaujolais nouveau, la bière de mars**, il y a le Nothomb de la rentrée littéraire - c'est bien pratique pour savoir que l'on est en septembre même si on peut préférer un calendrier de Plonk & Replonk.
Comme il y a des règles dans tout défi sérieux, le choix du Nothomb devait obéir à certaines règles : être acheté chez le libraire de la ville où je passe une partie de mes vacances ; être lu pendant cette période de vacances d'été exclusivement.
Du coup, j'ai pris ce qu'il y avait dans la librairie - et le gagnant est Acide Sulfurique.
L'idée d'Acide sulfurique est de mélanger télé-réalité et camp de concentration. Pour rappel, Acide Sulfurique est paru en 2004. Contrairement à Yannick Agnel ou Camille Lacourt aux Jeux Olympiques de Rio, Loana avait déjà fait des prouesse dans la piscine, Kamel découvert le mot « thym » qui n'est pas le TIM et nous qu'ingénu était l'opposé de génie - même le disciple de Léonard n'aurait pas osé !!!
Pour revenir à Acide Sulfurique, le mélange entre télé-réalité et camp de concentration est bien la seule idée du livre avec, quand même, ici où là, quelques réflexions.
L'impression de lecture est celle d'un auteur qui s'est arrêté d'écrire son livre après un cahier des charges atteint - ne pas dépasser un certain nombre de lignes - pour passer à la prochaine rentrée littéraire.
Sur le thème traité par Nothomb dans ce livre, il y a une masse de livres bien plus intéressants et plus détaillés que celui d'Amélie Nothomb. Par exemple, The Lucifer Effect sur l'expérience de Standford ou Soldats : Combattre, tuer, mourir : Procès-verbaux de récits de soldats allemands.
A l'année prochaine (au minimum) pour la suite du défi.
* Kracauer avait écrit sur Thiess et Voss et d'autres commentateurs sur les autres auteurs.
** Apparemment celle-ci est une tradition remontant à plusieurs siècles et non un simple phénomène du marketing.
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Longue fable ou bref roman philosophique? Ce texte prend la forme distanciée d'un récit, ce qui à mon avis contribue beaucoup à sa force. le malaise s'installe vite car le lecteur est aussi complice d'une ignominie: pactiser avec une idée en consentant à suivre cette trame romanesque qui transforme logiquement, étape par étape, le huis clos de la télé réalité en univers concentrationnaire. Choquant dites-vous? Voire. Car, à renoncer jour après jour à préserver son intégrité, on arrive un jour à ne plus la posséder. Divertir, éliminer, évaluer, comment et jusqu'où?Un aspect parmi d'autres de ce livre très réussi.
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Bien sûr ce court roman traite de la télé-réalité mais me semble aller au delà. Qui est responsable de ce que l'on voit, de ce que l'on fait collectivement: les organisateurs, les participants, les spectateurs, ceux qui pourraient arrêter mais qui laisse faire, ... ? La presse maîtrise-t-elle les conséquences de ce qu'elle fait (ne fait-on pas la promotion de ce qu'on dénonce ? ). Un gouvernement doit-il faire respecter une morale alors même qu'une grande majorité du peuple qui l'a élu ne la respecte plus ? La non-interdiction vaut-elle droit à faire sans avoir à interroger sa conscience (on se souviendra d'une pseudo émission durant laquelle les participants administraient des décharges électriques à d'autres sans se demander si ce qu'on les autorisait à faire était acceptable).
Ce roman peut gêner, faire réfléchir ... le plus gênant c'est de se demander si, quoi qu'on en dise, on n'aurait pas été du côté de la masse qui accepte.. Résistant ou collabo ? plus facile de répondre aujourd'hui en trouvant la réponse évidente que de s'engager en 1940.
Un roman très facile à lire qui amène à réfléchir.
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CHALLENGE ABC 2014/2015 (16/26)
Sous le chapeau d'Amélie Nothomb se cachent quand même des idées aussi inédites qu'effrayantes. Oser réunir dans "Acide sulfurique" la période la plus horrible de l'Histoire du monde et l'invention la plus absurde de l'histoire de la télévision, il fallait le faire... Dans ce roman, les concepteurs de la téléréalité sont arrivés au "summum de leur art", à savoir reconstituer un camp de concentration, réplique parfaite de ceux connus pendant la seconde guerre mondiale, avec ses prisonniers, raflés au hasard dans la rue, et ses kapos (pour en être, il faut quand même passer une petite sélection) qui bien sûr ont droit de vie ou de mort sur les précédents ; la cerise sur le gâteau étant la présence des caméras 24h/24. L'audimat de l'émission au doux nom de "Concentration" explose, le gouvernement ferme les yeux, tout le monde est d'accord pour trouver cela abjecte mais tout le monde est devant son petit écran.
L'auteure ne s'attarde pas à nous décrire les horreurs du camp mais se consacre à nous relater les relations entre prisonniers ou entre surveillants et surveillés et plus particulièrement celle qui va se créer entre la kapo Zdena tombée amoureuse de sa prisonnière matricule CKZ 114 (Pannonique dans une vie antérieure mais le principe de déshumanisation consiste en premier à la perte du nom). On va assister en quelque sorte à la lutte du bien et du mal. Pour savoir qui va triompher, je vous invite à lire ce roman.
Personnellement, je salue le culot d'Amélie Nothomb qui nous propose un sujet aussi inimaginable. Elle le traite d'ailleurs avec brio car en jouant sur l'influence des médias et l'attrait du voyeurisme chez les spectateurs, on est prêt à y croire. Au milieu du récit de cet enfer, des petites pépites dans le texte à saisir à chaque page et qui expliquent le nombre de citations relevées. le seul petit reproche à faire, c'est l'épaisseur du roman, mais apparemment, c'est la signature de l'auteure qui préfère offrir à ses lecteurs un titre par an assez concis plutôt qu'un pavé tous les 5 ans. Dans "Acide sulfurique, l'aspect psychologique est très développé par rapport à la description du vécu des prisonniers qui aurait mérité quelques pages supplémentaires (ça doit être mon côté voyeuriste qui ressort !)
Je ne suis pas une spécialiste d'Amélie Nothomb mais déjà son personnage et son air de magicienne échappée d'un film d'Harry Potter me plaît. D'autre part, ayant apprécié "Stupeurs et tremblements" autant que celui-là, j'ai envie d'en découvrir plus sur elle car je trouve qu'elle a "une patte", une originalité bien à elle dans sa façon d'écrire. Un bon 17/20
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