Les affres de la création en pas moins de 700 pages (Dans l'édition du Livre de poche). Nourissier a fait fort.
Burgonde (la sonorité du nom déjà augure bien du caractère maussade de l'artiste), est un peintre reconnu, un pape de l'abstraction lyrique , mouvement pictural en vogue dans les années 1950-60.
François Nourissier nous le montre à l'orée de la fameuse crise de la cinquantaine. L'inspiration a déserté l'artiste ; il se répète disent de lui les marchands d'art. "
l'empire des nuages" c'est " L'oeuvre" de
Zola , avec Burgonde à la place de Cézanne.
C'est un roman plutôt touffu qui pourra en décourager certains. A son tour peintre des humeurs de l'artiste, Nourissier , en toile de fond, brossera la France du début de la "vraie" modernité. de 1962 , fin de la guerre d'Algérie, aux années 1970 où l'argent suppléera au talent dans tant de domaines, en passant bien sûr par mai 1968 dont je vous laisse deviner ce qu'en pense l'auteur (par la voix de Burgonde évidemment...).
J'ai dit que c'était un roman touffu car peu soutenu par une linéarité visible. On suit Burgonde de pages en pages ; ses états d'âme ( très développés ses états d'âme...trop peut-être) , ses amours, ses déboires avec ses deux enfants, sa passion pour Victoire , une jeune femme de trente ans plus jeune que lui, ses griefs envers les galeristes, les mécènes, tout ce monde de l'Art déconnecté du réel . D'une année l'autre on le voit en Suisse chez un fortuné mécène, en vacances à Uzès dans le Gard, à New-York pour un vernissage, dans son atelier parisien....L'effet produit sur le lecteur est une perte de repères. Tout se mélange et perd sa temporalité. Ne reste qu'une lancinante descente , non pas aux enfers -Nourissier le pathos c'est pas son genre- mais vers une sorte d'aboulie, de résignation et de dépouillement.
Au terme du roman Burgonde a perdu toutes ses illusions et n'aspire plus qu'à la paix de l'âme .
Nul n'a mieux décrit la comédie humaine que
François Nourissier , trop lucide et jamais dupe des petits arrangements qui permettent à l'homme de continuer à vivre. Comme
Flaubert avec Emma Bovary , je crois que Nourissier aurait pu dire : " Burgonde c'est moi". C'est au moins son double. Car les angoisses de l'écrivain devant la page blanche valent bien celles du peintre devant la toile vierge.
L'empire des nuages est aussi, me semble t-il, un roman à clefs. Trop de noms de peintres (l'auteur mélange les "vrais" peintres et des peintres "fictifs"), trop de références à de généreux et ombrageux mécènes ; Nourissier joue avec les noms , avec les lieux....mais seul un familier du monde de l'art pourra décrypter l'énigme....
Nourissier de son vivant était célèbre et omnipotent dans le monde littéraire . Président du jury Goncourt il avait la réputation d'un faiseur de roi. Je suis donc étonné de découvrir que ma critique est la première pour ce livre. On peut ne pas aimer les prises de positions de l'écrivain , plutôt réac , mais , en plus d'un talent certain ,l' homme avait à mes yeux une qualité : il aimait les
chiens et les chevaux (et aussi les belles anglaises-je veux dire les Triumph, Jaguar, Aston Martin....) , et un homme qui aime les
chiens et les chevaux (et accessoirement les belles anglaises-mais là j'ai pas les moyens-) , ne peut être totalement mauvais.