George Perec a écrit de nombreux textes dans lesquels il décrit ce qu'il voit. Pour cela le chantre de l'
OuLiPo (Ouvroir de littérature potentielle) a un style qui lui est propre et qui me plait beaucoup. le rythme un peu envoûtant de ses phrases est sans doute lié aux répétitions de certains mots (comme dans "
Je me souviens") ou à la structure des textes. C'est comme une musique mais pas n'importe laquelle. Je dirais que Perec est un peu sorcier.
La particularité de ce recueil est qu'il regroupe des textes décrivant le quotidien dans la droite lignée de
Rabelais ou de
Jules Verne qui pratiquaient déjà l'art d'énumérer. Rien d'extraordinaire n'est raconté ici et pourtant ces inventaires sont peu banals car questionner ses petites cuillers comme le suggère Perec peut nous apprendre beaucoup de choses. Cela justifie son titre "
L'infra-ordinaire".
Il nous raconte d'abord ce qu'il voit rue Vilin à Paris, en 1969. C'est la rue de sa petite enfance qu'il traverse à plusieurs périodes, quatre moments différents espacés d'une ou plusieurs années. Ce qui est formidable, c'est qu'il réussit à raconter les mutations d'un quartier uniquement par la force de l'énumération. Quelle matière pour les urbanistes ! On y voit des locaux en pieds d'immeuble fermées, condamnées, murées, des boutiques qui n'existent plus comme le boutonniériste, des expropriations et la construction des HLM dans le quartier de Belleville.
On trouve aussi dans ce livre des notes sur son voyage à Londres et sa promenade à Beaubourg après la construction du
Centre Georges Pompidou et on voit à quel point les rues, les monuments, les demeures sont chargées d'histoire et de légende.
Il y a aussi une énumération de plus de 200 cartes postales à l'époque où il était courant d'en d'écrire. A priori, on pense que cela n'a aucun intérêt puisque on ne connaît pas le destinataire mais on se prend vite au jeu de voyages imaginaires.
Ce recueil a été publié en 1989 à titre posthume mais je regrette qu'il ne soit pas évoqué dans la prestigieuse collection La pléiade, qui a consacré deux tomes à l'oeuvre de
Georges Perec en 2017, car "
L'infra-ordinaire" est une véritable Bible anthropologique.