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EAN : 9782073036001
Verticales (05/10/2023)
4.38/5   4 notes
Résumé :
Après plus de quatre ans de recherche dans divers fonds d’archives en France, Vincent Platini a sélectionné 220 lettres de suicides composées par 171 personnes ayant mis fin à leurs jours, ou tenté de le faire, entre 1700 et 1948. Avec cet ouvrage pionnier, il s’agit de montrer comment des inconnu·es ont pris la plume pour intégrer un ultime message à la mise en scène de leur suicide et donner une esthétique à leurs derniers instants.
Selon dix cercles thémat... >Voir plus
Que lire après Écrits fantômes: Lettres de suicides (1700-1948)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Ultimes missives des proscrits
par Philippe Artières
Les écrits de suicidés sont des missives, avouons-le, que l'on préfère ne pas avoir à lire. À partir d'un imposant recueil de ces écrits ultimes, Vincent Platini parvient à faire de ce triste corpus, fruit d'une patiente collecte dans les archives, un texte polyphonique, qui restitue autant des parcours de vies ordinaires que l'histoire de ce que ce chercheur en littérature comparée nomme des « écritures de soi ».

Le suicide a fait naître la sociologie, l'essai de Durkheim est l'un des premiers grands classiques des sciences sociales ; et nous sommes beaucoup à avoir lu La mort volontaire au Japon, l'ouvrage de Maurice Pinguet paru en 1984. Mais le suicide était jusqu'au livre de Vincent Platini un objet absent du champ littéraire. Pourtant, l'histoire de la littérature compte une longue liste d'écrivain.e.s qui se sont donné la mort, de Nerval à Édouard Levé. Platini invente un genre dont il montre l'histoire par une habile et très fine édition d'un ensemble de plus d'une centaine de lettres et de billets rédigés par les suicidé.e.s. L'intelligence du livre, qui ne manque pas d'agacer la chercheuse ou le chercheur, est que le découvreur ne donne qu'en fin de volume, dans un texte bref mais d'une grande clarté, le mode d'emploi de l'ouvrage.

Car Vincent Platini a choisi, dans un souci très légitime de ne pas recouvrir par son analyse le discours des principaux intéressés, de nous laisser, comme le commissaire de police entrant sur la scène du crime, ouvrir l'enveloppe et lire les mots du mort ou de la morte. Il a souhaité nous faire entendre ces mots, dont certains parfois très brefs, comme il les a retrouvés lui-même dans sa folle enquête qui l'a mené des archives de la préfecture de police de Paris à des centres départementaux d'archives : éprouver les mots des suicidés, mais pas à la manière de l'exposition de la Bibliothèque nationale de France consacrée aux Manuscrits de l'extrême. Il n'a pas regroupé les plus « belles » lettres de souffrance ; ce n'est pas une anthologie « spectaculaire » qu'il propose.

L'auteur organise son corpus selon un certain nombre de filtres. S'il ne fait pas obstacle par un discours d'analyse à ces écrits retrouvés soit sur le corps du mort soit à proximité, chacun est précédé d'un texte expliquant qui en fut l'auteur.e, ce que l'on sait de son existence. À cet égard, Platini prend bien soin de ces petits bouts de papier de longueurs diverses, il ne nous les livre pas en pâture. Il leur redonne leur performativité et, dans un certain nombre de cas, rend hommage à celles et ceux qui les ont rédigés. L'entreprise n'était pas simple, tant, avec de tels documents, tomber dans le voyeurisme et l'obscène menace quiconque s'en approche – il en va de même pour les lettres de dénonciation. Ainsi, on n'entre pas par effraction dans la chambre des suicidés, on les rencontre d'abord vivants. C'est l'une des grandes qualités de l'entreprise, qui fait du livre un recueil de vies brisées.

Mais Écrits fantômes ne se borne pas à cette opération ; il propose de lire ensemble, par une mise en série très fine, des suicides souvent contemporains mais qui dessinent des « cercles » selon la terminologie de Vincent Platini. Neuf cercles, qui parfois se superposent, et qui sont définis à la fois par des destinataires (Dieu, l'être aimé) et des mobiles (le déshonneur, la souffrance…), structurent le volume. Mais là encore, le chercheur déjoue un risque : rejouer à distance la typologisation des lettres ; autrement dit, les remettre comme les agents de la sûreté sur leur main courante, dans des colonnes. Grâce à un montage subtil, il ne se fait pas médecin légiste mais écrivain. Il orchestre ces fragments et fait d'eux un texte unique, construit comme une symphonie faite de plusieurs mouvements. Aussi, jamais, même si le propos n'est pas des plus joyeux, on ne sombre dans le sinistre. Platini compose une symphonie pathétique qui émeut par sa beauté, par son extraordinaire sensibilité.

Bien sûr, comme c'est le cas avec ces autres écrits mineurs que sont les testaments, cette littérature valide si besoin était les thèses de Philippe Ariès sur notre rapport à la mort. Mais ce livre ajoute un complément, un savoir supplémentaire : Platini ne fait pas de ces écrits des dernières lettres mais des « moments de subjectivation », autrement dit, il les inclut dans les écritures de soi chères à Philippe Lejeune. Ce sont des autoportraits et non des images posthumes. À cet égard, par ce livre, Vincent Platini réintègre leurs auteurs dans l'Histoire, eux qui souvent n'existent plus aux yeux des religions, des familles. En « faisant littérature » de ces suicidé.e.s, il les fait revenir du côté des vivants.
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Aujourd'hui je vais évoquer Écrits fantômes texte original de Vincent Platini sous-titré Lettres de suicides (1700-1948). L'auteur a réalisé un travail d'archiviste (principalement à Paris, en Eure-et-Loir et dans le Finistère) et a compilé plus de deux cents LdS (lettres de suicides) qu'il présente en dix cercles comme autant de chapitres. Il a consulté les journaux et les comptes rendus de la police. A l'intérieur de chaque groupe ces écrits intimes et souvent anonymisés sont classés par chronologie de survenue du suicide.
Ces Écrits fantômes sont certes contextualisés par Vincent Platini mais la matière est brute, sans retouche ni mise en forme. Ces mots sont révélés dans leur orthographe et leur grammaire originales ce qui peut parfois compliquer la lecture et le déchiffrage. A la fin de l'ouvrage l'auteur explique son choix éditorial et raconte sa quête de ces écrits qui n'ont pas a priori vocation à être lus par un cercle plus large que ceux à qui ils sont initialement destinés, les proches des défunts au sens large. Pourtant toutes ces LdS sont parvenues jusqu'à nous, souvent par l'intermédiaire de la police sollicitée suite au suicide et qui venant sur les lieux découvre ces ultimes mots manuscrits qui sont alors recopiés et portés comme pièces au dossier. Au fil de ces lettres dont la longueur (d'une phrase à des récits plus conséquents) et la teneur (des regrets, des synthèses, des reproches) est très variable le lecteur s'approche de ces fins de vies volontairement abrégées. Les suicides ne sont pas expliqués ou justifiés par ces lettres, tout juste les mots évoquent-ils des raisons : chagrin d'amour, dette, honte, maladie, souffrance psychologique, abandon. Écrits fantômes n'est pas un ouvrage sociologique (on pense au Suicide d'Émile Durkheim) ou psychologique. Ce sont plutôt des bribes d'ego-histoires, des témoignages, cette volonté au moment de la mort de laisser une trace, une justification, un témoignage de la disparition. Les modes de suicides varient : arme à feu, poison, gaz ou charbon, pendaison sont les principaux modus operandi décrits ici. Ces écrits sont émouvants ; en quelques lignes les protagonistes qui choisissent de se donner la mort et de laisser des mots sensibles mettent en scène leurs ultimes minutes, décrivent les actes qu'ils commettent. Certaines personnes écrivent plusieurs lettres à la famille, aux enfants, au commissaire de police (très souvent pour disculper tout crime). L'importance de ces destinataires est proportionnelle aux motivations des suicidés. Parfois quelques mots suffisent à résumer une vie qui s'achève. Certains partent apaisés et heureux, d'autres souffrent et ne sont pas réconciliés avec eux-mêmes.
Écrits fantômes ce sont donc des dizaines de lettres disparates rédigées par des inconnus dont la postérité n'a rien retenu. Vincent Platini avec cet ouvrage leur rend un timide hommage posthume. le suicide est probablement l'acte de bravoure et le fait de noblesse de ces vies écorchées, minuscules, simples et banales.
Voilà, je vous ai donc parlé d'Écrits fantômes de Vincent Platini paru aux éditions Verticales.

Lien : http://culture-tout-azimut.o..
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On choisit la mort volontaire pour se substituer au monde, et pourtant, la lettre permet encore de se montrer une dernière fois, de laisser un souvenir, bon ou mauvais – qui est aussi un dernier témoignage de soi.
Troublant autant que fascinant, ce recueil nous fait découvrir des destins tragiques, comme celui du jeune Victor Escousse, 19 ans lorsqu'il se suicide avec son ami Auguste Lebras. Après un premier succès théâtral, les deux amis mettent en scène un drame intitulé Raymond, qui se termine par le suicide du héros. La critique est si cinglante que le duo passe à l'acte, laissant une lettre à la presse : « Escousse s'est tué parce qu'il ne sentait pas sa place ici (…). » Justice leur sera rendue : Musset les évoque dans Rolla, Balzac dans Une fille d'Ève et Hugo dans Les Misérables. Il y a aussi
cette veuve de 58 ans qui laisse une lettre déchirante à son fils : « On dira c'est la neurasthénie qui est la cause de mon dégoût de la vie. Non ! c'est tout simplement la faute de ceux qui sont trop riches et qui n'ont pas pitié du malheur des autres. » On se suicide par désespoir, pour se venger, par amour, par dégoût d'une vie qui n'a pas tenu ses promesses, par idéologie
aussi, les raisons sont malheureusement trop nombreuses. Quoique subjectif (dixit Vincent Platini), ce recueil de lettres permet pourtant de saisir le regard porté, au fil des époques, sur le suicide et les discours changeants sur la mort volontaire – ce qui donne tout leur intérêt à ces Écrits fantômes.
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critiques presse (3)
Marianne_
29 novembre 2023
[Un] recueil singulier et sans équivalent, qui ouvre un nouvel horizon au champ épistolaire, consacrant la lettre de suicide en véritable objet d'art de soi funèbre.
Lire la critique sur le site : Marianne_
LeMonde
21 novembre 2023
Des hommes et des femmes exaltés, humiliés ou désenchantés y livrent leurs derniers mots, et l’authenticité de ces billets confère toute sa valeur à cet extraordinaire recueil. On y découvre une histoire du suicide.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LHistoire
16 novembre 2023
Pièce par pièce, Vincent Platini met en lumière la complexité des imaginaires sociaux et des facteurs qui peuvent conduire un individu au suicide et qui transparaissent dans les derniers messages qu’il laisse au monde et à ses proches. Surtout, l’auteur parvient à traiter le sujet avec rigueur et sensibilité.
Lire la critique sur le site : LHistoire
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
le vendredi 24 décembre 1773 à Saint-Denis. Bourdeaux et Humain, Deux dragons du roi, entrent à l’auberge de l’Arbalêtre. Ils sont agréables et honnêtes, plaisantent avec la domestique, règlent comptant. Ils passent leur journée à rédiger plusieurs lettres. Le jour de Noël, ils se font friser, se promènent en ville mais refusent de se rendre à la cérémonie religieuse. Ils déjeunent de pâté et de boudins, boivent trois bouteilles de champagne. Vers 17h, ils demandent une chandelle à la servante. Puis, ils s’asseyent face à la cheminée, l’un à côté de l’autre et se brûlent la cervelle. […]
Le procureur du roi lance des poursuites pour « homicide de soi-même ». Le suicide est alors considéré comme un crime capital. Le 19 février la cour criminelle condamne les cadavres à être pendus par les pieds sur la grande place de Saint-Denis. Il est aussi ordonné que le bourreau brûle les papiers trouvés dans la chambre et que soient dénoncés ceux qui en avaient fait des copies.

Testament des deux Dragons qui se sont tués
à Saint Denis le jour de Noël 1773

Un homme qui meurt avec connaissance ne doit rien laisser à désirer à ceux qui lui survivent. Nous sommes dans ce cas. Notre intention est d’empêcher que nos hôtes ne soient inquiétés et de faciliter la besogne à ceux que la curiosité, sous prétexte de formalité et de bon ordre, fera transporter ici pour nous rendre visite.
Humain est le plus grand de nous deux et moi, Bourdeaux, je suis le plus petit. Il est tambour-major du régiment, et moi, je suis simple dragon de Belsunce.
La mort est un passage. […] Ce principe, joint à l’Idée que tout doit finir, nous met le Pistolet à la main. L’avenir ne nous offre rien que de très agréable, mais cet avenir est court.
Humain n’a que 24 ans. Pour moi, je n’ai pas encore quatre lustres accomplis. Aucune raison pressante ne nous force d’interrompre notre carrière, mais le chagrin d’exister un moment pour cesser d’être une éternité est le point de réunion qui nous fait prévenir de concert cet acte despotique du sort.
Enfin le dégoût de la vie est le seul motif qui nous la fasse quitter.
Si tous les malheureux osaient être sans préjugés et pouvaient regarder leur destruction en face, ils verraient qu’il est aussi aisé de renoncer à l’existence, que de quitter un habit dont la couleur nous déplaît. On peut s’en rapporter à notre expérience.
[ …]
Nous sommes dégoutés de la scène universelle, la toile est baissée pour nous, et nous laissons nos rôles à ceux qui sont assez faibles pour vouloir les jouer encore quelques heures.
Quelques grains de poudre vont briser les ressorts de cette masse de chair mouvante que nos orgueilleux semblables appellent le roi des êtres.
Messieurs de la justice, nos corps sont à votre discrétion. Nous les méprisons trop pour être inquiets de leur sort.
[…] L’écu de 3lt qui restera sur la table payera la dernière bouteille que nous avons bue.

À Saint Denis, le jour de Noël 1773.
Bourdeaux et Humain

Il y a encore une bouteille de surplus qu’on prendra sur nos effets.
Bourdeaux.
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Femme inconnue
8 janvier 1860, Plouzané (Finistère)

Dans la rade de Brest, deux marins ont trouvé, sur la grève, un paquet sur lequel étaient posés un parapluie en soie, un couteau et un rouleau de papier à lettres. Le paquet se révéla contenir : une robe, une jupe, un châle noir, un tablier noir, des bas et des chaussons noirs, une tabatière, deux mouchoirs, l’un de couleur avec 11 centimes à l’intérieur, et l’autre blanc marqué d’un F, dans lequel étaient enveloppés des gâteaux, du pain et des pommes.
Le brigadier a copié le texte écrit au crayon sur le papier à lettres :

Me voici donc devant cette grande vérité, la mort. Dans une heure je ne respirerai plus, je quitte la vie sans regret en pardonnant de bon cœur, comme je voudrais que Dieu me pardonne quand je vais comparaître devant sa justice. Je prie celui qui trouvera ce paquet de le garder en le priant de dire quelques prières pour une pauvre créature qui n’a fait que souffrir toute sa vie et qui pour éviter des souffrances plus grandes encore… je ne peux pas dire que je quitte le monde c’est le monde qui ne veut plus de moi, et pourtant, je n’ai jamais fait de mal à personne.
C’est pour moi une grande consolation de pouvoir me rendre ce témoignage au moment suprême. Je meurs à 31 ans, 4 mois et 13 jours. Tout en me donnant la mort je crois en Dieu et j’ai espoir que sa grande bonté aura égard qu’après moi je ne laisse personne dans la peine.
On trouvera dans le paquet un gâteau, du pain et des pommes, tout cela est propre. Je les avais croyant les manger mais je n’ai pu qu’en manger une partie.

Le corps de la femme n’a jamais été retrouvé. Elle n’a pu été identifiée.
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«Elles racontent des désespoirs oubliés et leur issue. Elles sortent les défunts de la catégorie des fous, des lâches ou des victimes. Elles éclairent. Si l’on veut parler du suicide non plus à l’écart, dans la honte, mais au sein de la société, sans doute faudrait‐il d’abord écouter ces voix tues, faire silence et lire. »
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Joseph Fédon
24 septembre 1875, Paris

Après avoir fait un bel héritage, Joseph Fédon, avait quitté son travail en province pour mener une vie joyeuse à Paris. Une fois l’argent croqué, ne trouvant plus d’emploi, il s’est pendu dans son garni du 24, rue Hassard, en laissant un billet :

N’ayant plus rien à porter chez ma tante, je me mets moi-même au clou.
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