LE NOUVEAU MONDE
TABLEAU DE LA FRANCE NEOLIBERAL
C'est un gros pavé, bien lourd, le truc qui doit en rebuter plus d'un.
Non, ce n'est pas un tableau c'est une immense fresque ou plutôt un polyptyque en 8 volets peints par 90 auteurs qui ajoutent chacun une couleur, un éclairage, une touche impressionniste à cette grande oeuvre.
La multiplicité des points de vue, l'exhaustivité des regards, la finesse des analyses rendent ce bouquin passionnant d'un bout à l'autre.
Commençons par le début, le titre «
Le nouveau monde - Tableau de la France néolibérale ».
Là, nous ne sommes pas d'accord.
Le nouveau monde désignait encore au siècle dernier l'Amérique. Il est clair que ce n'est pas le cas puisqu'il s'agit exclusivement de la France comme le précise le sous-titre. La question du tableau est réglée puis que c'est une fresque. La France serait-elle nouvelle? Non, il s'agit là de décrire la France contemporaine, celle qui coure depuis 30 ou 40 ans, celle qui a élu un jeune banquier en 2017, celle qui a fait fleurir des Gilets Jaunes fin 2018 et qui s'essouffle gentiment derrière des masques depuis près de 2 ans. Plutôt que du nouveau monde, il s'agit de l'ancien monde néolibéral, ultra-libérale ou post-libéral, celui qui disrupte macroniquement avant écrasement.
Le polyptyque est divisé en 4 grand tableaux.
Le premier est constituée de 3 longs chapitres intitulés « Le séparatisme de la bourgeoisie », « La politique du capital », « Le mépris au pouvoir ». Les titres sont explicites, il s'agit là de la bourgeoisie et des instances de l'état. On y décrit dans le détail le fonctionnement des organisations patronales et étatiques et leur évolution depuis 30 ans : séparatisme, pantouflage, détournement des institutions. L'histoire récente montre une accélération de ces phénomènes, disruption oblige! Les évènements récents, gilets jaunes et pandémie sont bien présents et révélateurs de la dévastation en cours. On a lu 400 pages sans s'en apercevoir. La variété des sujets , la concision des articles et des auteurs, la finesse des analyses nous emporte. Ce qui étonne, c'est la cohérence du propos malgré la variété des auteurs. Cette, ils sont peu libéraux et ce socle commun construit un tableau homogène ou chacun amène ses connaissances et son intelligence propre.
Le second Tableau ne comporte qu'un chapitre « Le monologue des travailleurs ».
Ce chapitre est la restitution d'entretiens réalisés en 2020 et 2021. Ils sont restitués sous forme de monologues. Ces 80 pages justifient à elles-seules la lecture de ce bouquin. D'ailleurs, elles légitiment le travail qu'il l'entoure. Ce sont des témoignages de personnes de tous horizons, des tranches de vie extrêmement sensibles relatant la vie des vrais gens et des gens vrais sans misérabilisme aucun. Cette prouesse construit un portrait humain de la France travailleuse.
Le troisième tableau comporte 3 chapitres « Vivre dans
le nouveau monde », « Opposition » et « Néolibéralisme autoritaire ».
Nous avons là une mosaïque de thèmes.
« Vivre dans
le nouveau monde » regroupe les activités primordiales de la vie : se nourrir, se soigner, apprendre, etc. Aux textes d'analyse, sont accolés des petites scènes qui donnent du corps à la vision générales.
Les deux parties suivantes « Oppositions » et Néolibéralisme autoritaire » décrivent les lieux et les objets des conflits avec le néolibéralisme. On y parle évidemment des gilets jaunes, de féminisme, de néofacisme mais aussi des modes de maintien de l'ordre.
Le livre se termine par un chapitre intitulé «
Mythologies » absolument réjouissant.
Roland Barthes peut aller se rhabiller avec les siennes. le choix des nouveaux mythes est très pertinent. Ce sont des petits textes chocs, incisifs et drôles qui éclairent la totalité de l'oeuvre.
Le bouquin rappelle par son contenu, sa forme et son poids l'excellent « Manuel indocile de sciences sociales » paru en 2019. Il va plus loin dans la diversité des auteurs en y intégrant écrivains, poètes et photographe malgré tout encore très minoritaires. Bégaudeau signe à lui-seul 6 articles. On sent l'influence forte (et bienfaisante) du « Monde diplomatique » qui constitue un des rares pôles d'analyse et de résistance au néolibéralisme: pas moins de 10 contributeurs. Lordon ne s'est pas trop cassé en envoyant un billet de son impeccable blog « La pompe à phynance ».
Maître de conf, prof, directeurs de recherche et journalistes fournissent le gros des plumitifs. Sociologue et historien sont largement présents. Un seul politique, le député journaliste Ruffin.
J'ai regretté l'absence de
Barbara Stiegler qui aurait pu contribué sur trois sujets : le néolibéralisme (lire son «
Il faut s'adapter »), la pandémie (lire son tract « De la démocratie en pandémie ») et les gilets jaunes (lire « Du cap au grèves »).
Ces deux thèmes, les gilets jaunes et la pandémie sont fréquemment évoqués mais peu analysés. Cela pourra être l'objet d'un tome 2 si le néolibéralisme n'a pas explosé d'ici là.
Il n'en reste pas moins que «
Le nouveau monde » crée les conditions de possibilité nécessaires au changement. Nous disposons d'une armée d'intellos engagés et capable de porter la sortie du néolibéralisme, le mal nommé. Rien que çà, c'est rassurant.
Lisez
le nouveau monde. Vous disposez là de tous les arguments pour préparer les élections qui viennent et les transformations qui s'annoncent.
Lien :
https://lvsl.fr/le-neolibera..