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Marcelle Sibon (Autre)
EAN : 9782020014717
586 pages
Seuil (01/11/1963)
4.12/5   12 notes
Résumé :
1931, à l'aube du nazisme. Un paquebot allemand quitte Veracruz à destination de l'Europe. Durant les vingt-sept jours de la traversée, la proximité de la vie à bord mêle tous les passagers. Chacun est prisonnier, comme il l'est sur le navire, des haines de race, de classe, de religion. Car cette traversée, bien évidemment symbolique, c'est celle qui amène le navire aux rives de notre temps. Quelle fatalité, s'interroge Katherine Anne Porter, a pu conduire l'humanit... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Ship of Fools
Traduction : Marcelle Sibon

Née en 1890 dans le Sud des Etats-Unis, Katherine Ann Porter mena une vie assez agitée entre quatre époux et de très nombreuses allées et venues entre l'Europe et les USA. Au temps de sa jeunesse, elle sympathisa avec le Parti communiste américain, ce qui ne l'empêcha pas de se rendre en Allemagne où elle rencontra notamment Herman Göring. Elle a conté la montée du nazisme dans son très bref roman "La Tour Penchée". D'ailleurs, Porter était plutôt tournée vers la nouvelle.
Vous trouverez quelques renseignements sur elle ici :
http://www.kirjasto.sci.fi/kaporter.htm
Evidemment, le site est anglophone. ;o)
Porter écrivit également un énorme roman, "Ship of Fools", dont elle trouva le titre dans "Das Narrenschiff", nom d'une allégorie morale que l'on doit à Sebastian Brant et qui parut d'abord, au XVème siècle, sous le nom latin de "Stultifera navis" (avec la racine "stultus", la notion de sottise est plus apparente que dans le mot "fou.")
La rédaction de "La Nef des Fous" débuta pour Porter en 1931 et il lui fallut une trentaine d'années pour le soumettre à un éditeur. L'action se situe sur un paquebot allemand, la Vera, qui rentre de Vera Cruz sur Bremerhaven. A son bord, une pléthore de passagers de 1ère classe et, dans l'entrepont, une foule de passagers de 3ème classe que l'on n'avait pas prévus aussi nombreux et qui débarqueront à Santa Cruz de Tenériffe, puis à Vigo.
L'essentiel des passagers de 1ère sont allemands : les Hutten (lui est professeur et elle, qui n'a jamais pu d'avoir d'enfant, lui a toujours servi de secrétaire, se pliant à tous ses désirs) en compagnie de leur bouledogue qui a le mal de mer et qu'ils ont symboliquement baptisé "Bébé" ; les Baumgartner, sensiblement plus jeunes, le mari homme bon mais velléitaire et alcoolique, la femme beaucoup plus forte, plus posée, un couple qui se déchire souvent sous les yeux de leur garçon de 10 ans, Hans ; Wilbald Graf, riche vieillard en fauteuil roulant, intimement persuadé que "son" Dieu lui a donné la possibilité de guérir tous ceux (et surtout toutes celles) sur qui il impose les mains, et qui traîne à sa remorque, appâté par les promesses d'héritage, son jeune neveu Johann ; la timide Frau Schmidt, qui ramène avec elle en Allemagne le cercueil de son époux et que terrorise sa voisine de cabine, la hautaine Frau Rittersdorf, laquelle cherche désespérément à dissimuler, sous des dehors plus que bourgeois, une naissance paysanne qu'elle méprise ; le séduisant Wilhelm Freytag qui a épousé une juive et qui, lorsque la chose finira par se savoir, se verra illico presto chassé de la table du Commandant en direction de celle où Löwenthal, le juif allemand, essaie, comme il se le dit à lui-même, de "manger propre" parmi toute cette nourriture de goyim où le porc est monnaie courante ; le paisible Herr Glocken, que sa double condition de nain et de bossu fait regarder avec mépris et/ou pitié ; et enfin les deux personnages les plus antipathiques du livre, Herr Rieber, éditeur au physique porcin et aux principes nazifiés, qui propose à un certain moment de se débarrasser des passagers de l'entrepont en les mettant dans un four et en ouvrant le gaz, et la dulcinée qu'il s'est choisie pour le voyage, Lizzi Spökenkieker, une fausse écervelée de quarante ans, toujours à piailler et à rire bêtement et qui se fait appeler "Fräulein" bien qu'elle ait déjà été mariée au moins deux fois.
L'équipage aussi bien sûr est allemand. On y croise deux personnalités que tout oppose : le commandant Thiele, qui rêve à la grandeur passée de l'Allemagne impériale et le docteur Schumann qui, à soixante ans passés, en a vu un peu trop sur cette terre. (Shumann et Frau Schmidt peuvent se classer dans la catégorie d'Allemands qui, foncièrement hostiles aux idées nazies, choisirent soit de leur résister, soit de les subir dans la honte.)
Parmi les non-Allemands, un couple d'Américains dont la relation amoureuse symbolise probablement celle que Porter elle-même entretint avec son troisième mari, modèle de l'ombrageux David Scott face à une Jenny Brown qui a beaucoup à voir avec l'écrivain elle-même ; Mrs Treadwell, autre Américaine qui compte rejoindre Paris à la faveur d'une escale à Boulogne, femme charmante, tranquillement égoïste et pourtant très attachante, qui nouera une amitié certaine avec Freytag et finira par régler son compte au mufle parfait que symbolise son compatriote William Denny, coureur de jupons brutal et stupide ; les Lutz, qui tenaient un restaurant au Mexique mais qui ont décidé de revenir en Suisse afin que leur grande, laide et gentille fille, Elsa, élevée dans la Bible et l'absence de toute coquetterie, puisse trouver un époux digne de ses vertus ; Arne Hansen, un Suédois étrangement touchant dans ses excès de gestes et de langage (c'est lui qui, à la fin de la traversée, cassera une bouteille de champagne sur le crâne chauve de l'horrible Herr Rieber qu'il n'a jamais pu supporter) ; deux prêtres catholiques espagnols, don Garza et don Carillo et bien sûr la superbe Condesa, que le régime mexicain a décidé d'exiler à Santa Cruz de Ténériffe parce que ses deux fils sont de dangereux révolutionnaires, une aristocrate authentique qui oublie un monde déchu en sombrant dans l'éther. le Dr Schumann lui vouera un culte platonique.
Puis viennent les terreurs du bord : une troupe de zarzuela où les danseurs servent de maquereaux à leurs partenaires, Lola, Amparo, Concha et Pastora. Lola et Tito sont les responsables de la troupe et ont eu ensemble deux abominables jumeaux, âgés pour l'heure de six ans et dénommés Armando et Dolorès mais qui se sont rebaptisés Ric et Rac. Enfin, abominables ... Ils le seraient sans doute moins si leurs parents et leur entourage les traitaient en enfants. N'empêche que, tout au long du roman (qui fait près de 700 pages en édition Livre de Poche), Ric et Rac n'arrêteront pas d'accomplir les pires méfaits, volant les perles de la Condesa et les jetant à la mer, allant même jusqu'à chercher à noyer le malheureux Bébé, lequel sera sauvé par l'un des passagers de l'entrepont qui y perdra la vie ...
Parmi les utilités, citons un couple de jeunes mariés mexicains en voyage de noces, la femme d'un diplomate mexicain qui, avec son nourrisson et sa nourrice indienne aux pieds éternellement nus, rejoint son mari en poste à Paris et une palanquée d'étudiants cubains dont la destination finale est Montpellier où ils vont suivre des cours à la Faculté de médecine.
Cette traversée est évidemment prétexte pour l'auteur à dépeindre au lecteur tous ces personnages comme si ceux-ci vivaient en vase clos, ce qui est un peu le cas. Mais le plus frappant, c'est qu'il n'y a là-dedans aucun héros. Tous sont faibles ou carrément lâches - sauf peut-être Mrs Treadwell et, assez paradoxalement, les insupportables danseurs espagnols. Oui, en cette année 1931 et sur ce bateau où tout le monde (ou presque) parle de Dieu et de la religion, l'intolérance est partout.
Si Herr Rieber et Lizzi préfigurent les Nazis types, Herr Löwenthal, qui n'a que dégoût pour les goyim, estime que les prostituées non-juives ne sont que "de la viande" et déclare froidement à Freytag que la femme de celui-ci "a trahi sa race" en l'épousant, lui, l'Allemand "impur", ne brille guère par son ouverture d'esprit. Sauf en affaires peut-être car, s'il estime posséder le seul vrai Dieu, la chose ne l'empêche pas d'avoir fait fortune dans une fabrique ... d'objets religieux (chapelets, images saintes, crucifix, etc ...) pour chrétiens.
Si Herr Rieber et Lizzi, toujours eux, parlent de supprimer les "génétiquement déficients", on doit à la Vérité de préciser qu'ils ne sont pas les seuls à regarder avec horreur le corps trop court et bossu de Herr Glocken.
Après l'avoir relu, je me suis demandé si "La Nef des Fous" pourrait paraître aujourd'hui, dans le contexte actuel. En tous cas, je suis heureuse de le posséder. Et je vous le recommande. C'est un livre narquois, féroce et cynique qui nous renvoie tous à nos mauvais penchants et qui refuse tout angélisme (ah ! que ça fait du bien, ça !) Et bien qu'il s'agisse surtout d'une étude de caractères très approfondie, c'est aussi une subtile et très brillante démonstration de l'état d'esprit qui régnait à l'aube de la prise de pouvoir par Hitler en Allemagne.
Et qui, ne l'oublions pas, régnait dans tous les esprits. ;o)
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Wouah ! J'ai acheté "La nef des fous" de Katherine Anne Porter pour sa quatrième de couverture. L'écrivaine américaine est une grande dame des lettres américaines. Elle a été distinguée du Prix Pulitzer et du National Book Award. Son roman "La nef des fous" a été adapté au cinéma par Stanley Kramer en 1965 qui a réalisé entre autres "Devine qui vient dîner ce soir ?"
Les évènements se déroulent en août 1931. Les passagers patientent sur le port de Veracruz avant de monter à bord du navire allemand Vera. Destination finale Bremerhaven en Allemagne. En première classe, les voyageurs sont de trois origines : allemande, américaine, espagnole, dans l'entrepont, des citoyens de seconde zone, familles avec enfants, bagarreurs et pochards. C'est un monde en miniature avec les travers d'une communauté éclectique. Des antipathies, des jalousies, des hostilités s'invitent à la table du commandant de bord. Il y a le juif puis l'époux d'une juive qui sont expulsés de la communauté. Les américains sont tolérés, les espagnols, danseurs et voleurs sont boycottés et les cubains, délaissés. Dans le groupe des allemands, on retrouve les factions que l'on retrouvent dans la société allemande des années 30 : les fascistes et les moutons.
L'autrice convie le lecteur à s'aventurer dans ce monde de préjugés, d'instincts, de désirs, d'odeurs, de violence et de désordre.
Les protagonistes ont une âme, des sentiments, des pensées, des pulsions. La domination accentue les tendances de cette nature humaine.
L'écriture a du style. Les comparaison sont judicieuse. Peut-être les personnages sont caricaturés mais avec modération.
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Il faut faire attention aux noms des personnages: il y en a beaucoup et on s'y perd un peu. Malgré ce défaut le fond de l'histoire est vraiment intéressant. Les relations entre les voyageurs qui retournent chez eux, avec en arrière- plan les premiers balbutiements du nazisme. C'est la 2e fois que je lis ce roman et je ne m'y suis pas ennuyée.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
- Vous pourriez aller en Afrique, dit Jenny, vous pourriez vous mettre à la recherche d'une de ces dernières tribus survivantes de cannibales et de chasseurs de têtes chez qui vous seriez haïs tous les deux exactement à égalité, parce que vous seriez d'une autre couleur que les indigènes. Et vous pourriez les mépriser en toute sérénité parce qu'ils puent affreusement et se grattent tout le temps, font de grands saluts à des bouts de bois et à des pierres et s'enveloppent dans des étoffes aux couleurs criardes ; car ils s'aiment et s'admirent avec la même passion que nous mettons, nous, à nous adorer, et notre couleur évoque pour eux la mort et les fantômes, et ils disent que notre odeur leur donne la nausée.
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Quand Mari et lui reviendraient ensemble, le bateau et les passagers continueraient à n'avoir aucun intérêt, car ce serait le voyage de leur vie. Ils ne reverraient plus l'Allemagne à moins d'un miracle. Marie serait sa patrie et lui la patrie de Marie, et il leur faudrait transporter avec eux leur propre climat partout où ils iraient ; il leur faudrait appeler ce climat leur pays et s'efforcer d'oublier son véritable nom : l'exil.
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C'est toujours la mort, songea Mrs Treadwell, pour ces créatures sentimentales, cela ne peut jamais être moins que la mort. Rien d'autre ne pourrait pénétrer à travers toute cette graisse et atteindre un nerf vivant.
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Je sais qu'aux yeux de l'être qui la possède rien n'est plus précieux que la beauté. Et il est dur de venir au monde avec la beauté et d'en sortir avec la laideur. (p. 271)
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...s'il n'y avait pas d'injustices, comment pourrions- nous nous faire une idée de la justice? (P. 221)
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