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4,2

sur 793 notes
En solfège une blanche vaut deux noires, chez les suprémacistes américains un blanc vaut deux noirs.
Pourquoi ce mélange des genres ? Pourquoi mélanger musique et théorie raciste ?
Dans le roman de Richard Powers " le temps où nous chantions" l'écrivain nous invite dans un voyage de plus de mille pages, un voyage où musique et histoire se côtoie à travers trois générations.
David Strom et Delia Daley se sont rencontrés à Washington lors d'un concert de Marian Anderson, une cantatrice noire. Nous sommes en 1939, David est juif allemand, Delia est noire. " L'amour entre un homme blanc et une femme noire est un crime pire que le vol, pire qu'une agression, puni aussi durement qu'un homicide involontaire."
De cet union naitra trois enfants deux garçons, les " jojo" (Jonah et Joseph) et Ruth la petite dernière.
Dans la famille Strom on chante tout le temps, la musique rythme les journées. La maman donne des leçons de pianos et Dad est prof de physique à l'université quand il ne donne pas un coup de main à ses collègues chercheurs.
Les années passent, Jonah est devenu une célébrité, son cynisme n'a d'égal que son talent. Joseph le narrateur vit dans l'ombre de son frère." le temps où nous chantions" était dans ma pal depuis un moment, c'est vrai que l'ouvrage est impressionnant, qu'il peut rebuter certain, il n'y a que Richard Powers pour mélanger art lyrique, physique quantique et histoire américaine. Je finis en beauté l'année 2018, mon chemin littéraire va surement recroiser cet écrivain hors-norme avec son dernier roman " L'arbre-monde"
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"Le temps où nous chantions, c'est le temps de l'enfance, celui des mélodies fredonnées le soir autour de l'épinette. le 9 avril 1939, à Washington, la foule se presse pour écouter la diva afro-américaine Marian Anderson. Ce jour-là marque la « rencontre entre le poisson et l'oiseau » : David Strom, un physicien juif allemand émigré aux Etats Unis et Delia Daley, afro-américaine, qui rêve d'être chanteuse. « Comment construiront-ils leur nid » ? Ils s'installent à Harlem où naissent trois enfants qu'ils vont « élever en vue du jour où tous les gens seront au-delà de la couleur de peau ». le cocon familial est tissé de musique. « le chant captivait les enfants. [Faisant] comme leurs parents, ils entraient à leur tour dans la danse, et tanguaient d'avant en arrière sur l'Ave verum corpus de Mozart comme ils le faisaient sur Zip-a-dee-doo-dah ». Souvent, les mathématiques ponctuaient le tempo, pour leur plus grande joie.
Jonah, l'aîné, est étincelant. « Sa voix avait l'éclat de l'essence originelle… Libre de grimper dans son esquif et de voguer ». Joseph, pianiste virtuose, est le porte-parole de la famille, le conciliateur. C'est lui le narrateur du roman, lui avec qui nous allons parcourir un demi-siècle d'histoire. Ruth est la fille cadette des Strom, l'enfant rebelle qui refuse le métissage et cherche désespérément son identité.
S'échappant d'une Amérique où les tensions raciales se multiplient, Jonah voyage. À Gand, il se tourne vers la musique médiévale. Il est arrivé au sommet de son art. Sa voix s'élève au-delà de la notion de race pour « revenir par le chant à une période antérieure, pour s'insinuer dans ce moment qui précède la conquête, avant le commerce des esclaves, avant le génocide ».
Aux obsèques de sa mère, Joseph se retourne pour observer les gens, émerveillé par la palette des nuances qui se déploie sous ses yeux. « L'Afrique, l'Asie, l'Europe et l'Amérique se percutaient… Jadis, il y avait eu autant de couleurs de peau qu'il y avait de coins isolés sur terre ». Pourtant, en ce milieu du vingtième siècle, c'est la règle de la goutte unique qui sévit. « Une goutte suffit… Une seule goutte en remontant aussi loin que possible » vous fait passer du pur à l'impur.
Le roman de Richard Powers est l'aboutissement d'un travail considérable sur la complexité d'un système ségrégationniste. La bande-son qui traverse les quelque mille quarante-six pages est remarquable et nous invite, pour un temps, à abandonner notre enveloppe de chair.
Qu'en pensent David et Delia ? « Leurs fils seront les premiers. Des enfants d'un nouvel âge. Les conquérants d'une nouvelle terre, au-delà des races, des deux races, d'aucune race, de l'espèce humaine simplement : un métissage uni, comme les notes qui se joignent pour former un accord »…"

Elisabeth Dong pour Double Marge
Lien : https://doublemarge.com/le-t..
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Quand on ouvre un roman de plus de mille pages, on sait qu'il existe deux façons de le finir, la première : épuisé, la seconde : ébloui et insatisfait de s'arrêter, c'est de cette façon que j'ai fermé le livre de Richard Power : bouleversée. Toutes les dimensions d'un très bon roman y sont réunies : Un contexte historique passionnant, la lutte pour les droits civiques aux États Unis ; une réflexion sur la notion de couleur de peau mais aussi sur le temps ; de l'érudition , la musique sous toutes ses formes ; une histoire , celle d'une famille mixte. David est un physicien brillant, juif, il fuit le nazisme en allant aux États Unis. Il y rencontre, lors du concert (réel) de Maria Anderson, Delia une femme noire. Tout deux sont des musiciens mélomanes, leur passion les rapproche et leur permet d'inventer un futur qui est, à leur époque, interdit aux États-Unis. Un blanc ne peut pas épouser une noire, c'est illégal. Ils vont pourtant se marier et avoir trois enfants, qu'ils élèveront à leur façon afin qu'ils soient ce qu'ils doivent être sans subir les folies des hommes. Pourtant aucun des trois n'échappera à la difficulté d'être ce qu'il est. C'est l'un deux, Joseph, qui raconte le roman de sa famille. Il relate surtout le parcours de son frère Jonah un ténor dont la voix est d'une rare pureté et l'oreille absolue, la rencontre de ses parents et l'errance de sa soeur Ruth dans la lutte pour les droits des noirs américains . Cette petite famille va démarrer son existence en musique autour de l'épinette de la mère qui apprend à ses enfants, le solfège, le piano, le chant et la vie. Une famille qui chante tous les jours et permet à Power de nous offrir de très belles pages sur la musique. Il y eut des moments courts où j'ai trouvé les descriptions musicales un peu longues mais surtout des moments longs où j'ai été emportée par le tourbillon de la famille Storm.
Chaque chapitre retrace une période mais comme le récit ne se déroule pas de façon chronologique, il faut beaucoup de temps pour tout recomposer. On passe des années soixante à la fin du XIX°, on traverse l'hiver 1941, on revient aux années 1970, et ainsi de suite… tout ça parce que le temps fait des boucles et pirouettes et que dans les replis du temps on peut voir son passé et son futur. Ainsi le roman se termine sur la rencontre initiale entre David et Delia et nous offre une surprise émouvante que chacun aimerait pouvoir vivre. C'est très beau et douloureux comme la vie.
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Le temps où nous chantions c'est une ode à la musique, une grande histoire d'amour, une étude sur la durée temps, c'est aussi un récit poignant sur le racisme aux Etats-Unis durant une période allant de 1935 à la fin du XXe siècle.
Tout commence lorsque Délia, Noire, rencontre David, un juif qui a fuit l'Allemagne nazie. Ils sont tous deux venus assister au concert d'une célèbre cantatrice Noire donné en plein air, à Washington devant le mémorial Abraham Lincoln. Négresse, aucune salle ne peut l'accueillir alors qu'en Europe elle est reconnue comme une Diva. Ce sont des milliers de citoyens de couleur qui sont venus l'acclamer. Parmi toute cette foule, le destin met Délia et David en présence, c'est le coup de foudre. Délia a suivi des cours de chant, elle a une voix merveilleuse, David est professeur à l'Université. Malgré l'interdiction de mariage entre personnes de races différentes, David et Délia se marient. «Pour leur lune de miel, ils ne pouvaient aller nulle part ailleurs que dans l'appartement de célibataire de David. Nulle part ailleurs on ne les accepterait. Mais dans l'horizon qu'ils partageaient ce premier soir, leur joie était plus forte que les chutes du Niagara.» Ils auront trois enfants, deux garçons et une fille. À la soirée, toute la famille, autour du piano, chante à l'unisson. Les deux garçons feront carrière dans la musique.
Le temps où nous chantions est un livre-témoignage dans lequel sont évoqués des personnages et des faits historiques, le mode de vie, le métissage, les affrontements entre la police et les Noirs, et la Musique toujours présente.
Un chef d'oeuvre !
Prochain roman de David Powers, Orfeo que les critiques qualifient comme le plus beau roman sur la musique depuis le temps où nous chantions.

Challenge Pavés 2016-2017 - 1.046 pages
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Laissez-moi d'abord le temps de souffler avant d'aborder ce roman... quelle épopée!
C'est tout un écheveau à démêler avant de pouvoir ne serait-ce que vous donner la trame principale du récit. Disons que nous suivons les aléas d'une famille pas ordinaire des années 40 aux années 80: le père, juif allemand, est un chercheur physicien un peu déboussolé ayant fui l'Europe pour refaire sa vie aux Etats-Unis. La mère, une jeune femme noire descendant de deux lignées d'esclaves et ayant, bien sûr, du sang blanc d'esclavagistes dans les veines. Leurs trois enfants, des prodiges du chant élevés libres et dans la non-conscience de leur couleur de peau. Ils sont éduqués à la maison et en musique, jusqu'à ce que Jonah, l'aîné, soit envoyé au conservatoire de musique pour qu'il puisse développer un talent exceptionnel.
Le récit virevolte autour de la musique, l'oppression raciale et la thèse paternelle selon laquelle le temps forme une boucle et que nos vies se répètent. Chaque personnage évolue selon une perception unique et personnelle de ce qu'être noir signifie dans un pays où la ségrégation n'est pas loin, sachant qu'entre une peau plutôt claire et une autre foncée il peut y avoir un gouffre...
Il faudrait des pages entières pour aborder la richesse et la complexité de ce roman aux multiples facettes qui ne plonge jamais ni dans la facilité ni dans le cliché. Il peut paraître ardu au premier abord quand on n'est pas grand connaisseur en musique mais finalement il suffit de se laisser emporter pour pénétrer dans ce monde particulier. Chaque personnage est attachant, agaçant parfois mais surtout si humain. Ils vont me manquer, c'est certain, et je suis heureuse de tout ce que j'ai pu apprendre par ce livre, émue de l'humanité et la bonté des membres de cette famille, et choquée de constater que, telle la boucle du temps que le père proclame, les émeutes des années 70 dont on parle ici font écho à celles d'aujourd'hui même, comme si le temps s'était figé.
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Jonah Strom est prodige de chant depuis son premier cri ou presque. Il est métis aussi, fils de David un juif allemand exilé du nazisme, et d'une américaine noire, Delia. Son ascension vocale a la fulgurance de son talent insolent, depuis l'école familiale subjuguée durant leurs joutes enchantées à des concours d'entrées vers d'autres écoles, d'auditions en récompenses, de concerts en récitals, avec son frère Joseph à ses côtés en narrateur dévoué à la famille dans ce roman sous forme de super-pavé. « Nous avions vécu comme si, dans notre pays d'origine, le meurtre n'était pas une constante. Nous avions trouvé refuge dans les salles de concert, en un sanctuaire qui nous protégeait du bruit véritable du monde. »
Il est donc question de chant et de musique sous diverses formes, essentiellement. Mais le titre indique aussi qu'il est question de temps. Un père scientifique polarisé par un univers quantique qui défie la raison de notre perception spatio-temporelle, et nous voilà embarqué dans cette aventure au long cours narratif entre allers et retours sur trois générations, des grands parents aux deux frangins et la petite dernière, Ruth. Avec en toile de fond une société américaine autour des années 60 pour l'essentiel, toujours autant engluée dans la vase du racisme, qui fournit un décor désespérant de bêtise entêtée. Sans oublier de parasiter le microcosme familial.

Un roman grandiose, qu'il faut avoir le courage d'aborder. Et le temps aussi. Enfin, s'il existe réellement tel que nous le percevons : «Le temps n'est pas une trace qui se déplace à travers une collection d'instants. le temps est un instant qui recueille toutes les traces en mouvement». Sinon le frisson et la passion me semblent garantis, malgré quelques longueurs à mon goût.

« Nous parlons tous la langue de nos origines. Chante où tu es, même si le sol se dérobe sous tes pieds. Chante toutes les choses que cette vie t'a refusées. Personne ne possède la moindre note. Rien ne l'emporte sur le temps. Chante pour te consoler, disait la chanson, parce que personne d'autre ne le fera pour toi. »
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Ce livre est un prisme ! de ces morceaux de verre qui diffractent la lumière pour la décomposer, faisant jaillir un arc-en-ciel dans vos mains qui tiennent ce morceau minéral si fragile.


En fonction de la façon dont vous allez le tourner, l'orienter, en fonction de la face qui "s'exprime", ce livre-prisme vous parlera de musique.
Essentiellement la musique classique, et plus loin encore, baroque, celle de la Renaissance. Ou encore celle plus actuelle, plus déstructurée, qui exprime les émotions sur un rythme différent mais avec une finalité pas si éloignée du Blues des origines. Ou celle "ethnique", celle qui parle pour un peuple, celle qui en est un emblème entre nul autre reconnaissable, celle qui dit une Culture, celle qui martèle des histoires de vies, avec leurs peines, leurs joies, celle qui scande les mots en autant de rêves, en autant d'espoirs…


D'une autre face émergera l'Histoire d'un continent sur lequel les hommes, dont la seule différence est la couleur de peau, ne parviennent pas à vivre ensemble.
Balayant un demi-siècle d'évènements, traversant le pays d'Est en Ouest, du Nord au Sud, c'est L Histoire des Droits Civiques, c'est l'évocation de ceux qui ont entraîné les foules, les faisant habiter les rêves à défaut de les réaliser, avec des manières divergentes d'écrire une réalité, en tendant la joue ou en prenant les armes, c'est le combat de Martin Luther King, celui de Malcolm X pour que tout homme, toute femme, toute enfant de couleur, quelle que soit sa carnation, ait les mêmes droits, aspire au même avenir, ait les mêmes espoirs que celui qui est blanc de peau… Mais l'est-il réellement, combien de gouttes de sang noir coulent dans ses veines ? Et alors comment justifier cette lutte qui devient fratricide ?

Un combat qui s'écrit sur tant d'années, sur tant de vies prises, sur tant de souffrance , un combat qui s'écrit encore douloureusement aujourd'hui, 60 ans après la Marche de Washington, 60 ans après Selma…


Si vous faites osciller, ne serait-ce qu'un peu, à nouveau, le morceau de verre, c'est l'histoire d'une famille.
C'est le devenir d'un mariage mixte dans cette Amérique torturée, un allemand qui a fui le nazisme, physicien, juif et une jeune fille de couleur qui voudrait que la musique soit sa vie mais que les discriminations obligent à arpenter d'autres chemins.
Trois enfants vont naître, trois regards sur la musique, trois regards sur les convulsions qui ne finiront jamais de secouer le pays, trois incarnations du métissage, trois aptitudes à évoluer dans un pays qui se refuse à eux… sans évoquer l'ultime vision des parents pleins d'espoirs dans un avenir qu'ils n'envisagent que plus clément avant de réaliser qu'ils se sont trompés dans la marche du temps et l'évolution de la société.


Interprétée, la musique n'appartient à personne, elle n'est d'aucune couleur, d'aucune race, d'aucune nationalité : la musique est une et fait un avec ceux qui l'accueillent en eux. Si l'ainé se perd dans cette définition, oubliant finalement tout de lui pour n'être qu'un messager de la beauté chantée, son frère qui lui est totalement dévoué est celui qui l'ancre, ne serait-ce que pour éviter qu'il ne chancelle sous les coups, dans une réalité dont il tente d'atténuer la violence. Violence qui habite la petite soeur qui choisira le chemin de la révolte, laissant la musique se faner en elle pour se battre aux côtés de ceux qui pensent que la non-violence n'est qu'un silence là où il faut désormais crier.


En suivant leurs existences, on découvre cinquante ans d'une Amérique, qui n'en finit pas de naître, de se chercher, de se renier, de condamner, de tuer, cette Amérique qui aujourd'hui n'a guère avancé dans ses méditations… L'Histoire d'un pays qui n'arrive pas à s'incarner, personnifié par tant de courants entre autres musicaux qui en font son identité mais une identité morcelée, personnifié par une multitude de Cultures qu'il ne parvient pas à harmoniser et à rassembler pour en faire sa richesse première.



J'ai lu ce livre en solitude, comme retirée du monde, je l'ai terminé depuis plusieurs jours déjà et je ne cesse d'y revenir, relisant des passages, au hasard ou ceux marqués d'un papier coloré.
C'est un livre pour lequel je n'ai guère de qualificatif assez fort, pour le moment, il est tellement riche, tellement foisonnant, tellement enrichissant, il oblige à fouiller, à chercher, à vouloir en apprendre toujours davantage sur ces années qui n'ont pas réussi à créer un continent de différences dans l'unité.

Il parle au coeur. Je n'ai qu'une certitude : il fallait le lire… pour la petite fille qui sommeille en moi, celle qui a croisé si jeune les pas de Martin Luther King, le choc d'une "rencontre" à travers l'enthousiasme d'un adulte qui le vénérait, un relais d'homme à enfant, et pour la femme révoltée que je suis devenue, qui s'approche davantage de Malcolm X parce que la révolte est parfois nécessaire. Même si le regard tourné vers ce continent, aujourd'hui, laisse craindre qu'il n'y ait pas de solutions au problème de la ségrégation sur ces terres, ce livre s'est ancré dans mon esprit, un de ces livres dont on réalise qu'il modifient juste un peu les trajectoires de vie...


Lisez-le, je ne vous ai finalement livré que très peu de son message, c'est une lecture nécessaire dans une existence…
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Delia Daley est noire, David Strom est juif allemand et fuit le nazisme. Elle est chanteuse et lui physicien. Ils ont tous les deux la musique dans la peau. Noir ou blanc, quels que soient leur culture, leur histoire tragique, leurs portées se rejoignent en 1939 lors d'un concert de Maria Anderson à Washington.

Ce jour-là ils savent déjà comment s'écrira leur histoire, comme si la mélodie avait déjà été jouée, au-delà du temps, de la couleur.
Elle est ce qu'elle chante, il est ce qu'il entend à travers les nombres qu'il manie jusqu'à la déraison. Ils sont tout cela, et ce qu'ont été leurs parents, ce que seront leurs enfants, petits-enfants. Un métissage de notes, dont l'origine chante d'une voix au-delà du temps, de la culture, de la couleur. Elle prend sa source dans l'océan de tous les possibles.

Un roman qui a du souffle. Un roman qui se mérite. Aller jusqu'au bout de sa très longue partition c'est trouver une musique qui vibrera longtemps à l'intérieur. Et pourtant je ne suis pas experte en chant ni en musique, encore moins en physique. Mais Richard Powers, comme dans son roman L'Arbre-Monde, a le don de nous immerger dans un univers dense, sans nous couler. On va au bout de la phrase, de la page, des plus de mille page, sans vraiment refermer l'histoire. Elle forme une boucle en nous.

« le temps n'existe pas, dit Da. Pas plus, apparemment, que le mouvement. Il n'y a que du plus probable et du moins probable, des choses dans leurs configurations, des milliers, voire des millions de dimensions, figées et inamovibles. Nous les classons.
On a l'impression que c'est un fleuve. En réalité, il n'y a que l'océan. Et mon père sombre tout au fond. « On ne devient pas. On EST, et c'est tout. »

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Quel roman, oui!
Son poids, sa longueur pourrait décourager d'éventuels lecteurs . Et aussi sa complexité. Car si cela m'a évoqué Philip Roth bien sûr, avec" Pastorale américaine", et surtout "La tache" pour un des principaux thèmes, ce livre brasse encore plus... Peut-être trop, d'ailleurs? Je dirais que dans le cadre donc de l'histoire récente des Etats Unis ( dominée de tout temps par le problème ethnique) j'aperçois trois thèmes dominants, mais il y a bien d'autres choses....

- La famille ,bien sûr, et dans cette famille surtout la fratrie, le rôle de chacun, qu'il exerce en fonction de ses dons, oui, mais aussi et surtout en fonction de ce qui lui a été donné comme tâche de façon plus ou moins consciente par les parents et en particulier par la mère ( c'est elle qui a confié, d'un seul regard, la responsabilité de son frère et de sa soeur à l'enfant du milieu....)

- La musique et le temps, la musique qui permet de jouer avec le temps, de l'utiliser dans le rythme bien sûr, mais aussi par des retours en arrière et des variations sur un même thème.

-Et puis, la question de l'identité, qui apparait à chaque page, et dont les difficultés de définition sont majeures pour ces enfants de par leur métissage et leur double culture ( avec le lourd passé qui est le lot de chacune) et parce qu'ils ont été élevé dans la très belle mais utopique idée que l'on peut être ce que l'on veut être, et non ce que les autres veulent qu'on soit...

C'est encore une fois un livre dont on ne sort pas indemne.On s'étonne, quelquefois, que ce livre ait pu être écrit par un blanc américain. Mais Richard Powers a expliqué cette possibilité d'empathie par le fait qu'enfant, il avait vécu en Thaïlande où même en parlant la langue, il était difficilement accepté. Et qu'au retour aux EU, il se sentait , de la même façon, différent. de même, il racontait que c'est lors d'un voyage en Hollande que lui, grand, blond et blanc, avait acquis la conviction qu'une identité ne saurait se définir par ces seules caractéristiques physiques, et reconnu l'importance de la culture comme élément central de l'identité d'un être humain.

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À Washington, avant-guerre, David rencontre Delia lors d'un concert engagé et en tombe immédiatement amoureux. Il est blanc, elle est noire ; il est juif tandis que sa famille à elle est catholique. Bref, une histoire morte-né dans l'Amérique Rooseveltienne, qui va cependant exister grâce à la musique, ciment de la cellule familiale créée.

Présenté comme cela, le temps où nous chantions de Richard Powers -traduit par Nicolas Richard- et ses 1064 pages avait tout d'un livre repoussoir (y compris dans sa métaphore de l'oiseau et du poisson qui tombent amoureux…) et je l'ai longtemps évité. À tort.

Car le livre est bien plus profond que la débauche de bons sentiments initialement craints, nous embarquant sur deux générations dans une traversée de l'histoire américaine en général, et de celle de la lutte égalitaire contre la ségrégation, la discrimination et le racisme ordinaire et quotidien en particulier.

À travers le destin de Delia et de David, puis de leurs enfants Jonah, Joey et Ruth, Powers nous fait découvrir plus profondément que tous les livres et films déjà vus sur ce sujet, ce côté sombre de l'histoire américaine, en optant pour le prisme de ceux qui l'ont vécu. Ou plutôt subi.

Parallèlement, mais de manière très complémentaire, le temps où nous chantions explore la double quête d'identité des enfants du couple, cherchant inlassablement leur place au sein de leur famille comme de leur pays.

Au coeur du récit, fil conducteur et réunificateur de toutes les histoires, Powers place la musique. La grande comme la petite, l'élitiste comme la populaire, celle qui divise et celle qui réconcilie. Et il y produit ainsi ses plus beaux paragraphes : j'étais loin d'imaginer que l'on puisse mettre par écrit avec de si jolis mots ou métaphores, ces ressentis abstraits, intimes et personnels qu'engendre la musique.

Je n'ai pas pour autant « adoré » ce livre comme beaucoup d'autres avant moi, faute probablement de quelques longueurs qui m'ont souvent perturbé. Mais je l'ai énormément apprécié pour la qualité de son écriture, l'amour et l'humanité qui se dégagent de tous ses personnages, et le rigoureux traitement romancé d'un thème dont l'actualité nous rappelle régulièrement qu'en Amérique, comme chez nous, le combat égalitaire et identitaire n'est jamais terminé.
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