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EAN : 9791041412334
576 pages
Points (16/02/2024)
4.27/5   22 notes
Résumé :
« Puisque mon désir de vivre en dehors des prescriptions normatives de la société binaire hétéro-patriarcale a été considéré comme une pathologie clinique caractérisée sous le vocable de « dysphorie de genre », il m’a paru intéressant de penser la situation planétaire actuelle comme une dysphorie généralisée. Dysphoria mundi : la résistance d’une grande partie des corps vivants de la planète à être subalternisés au sein d’un régime de savoir et de pouvoir patria... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
TRANSFIGURATION D'UN MONDE INSOUTENABLE

Nature, culture. Vivant, mort. Mâle, femelle. Science, croyance. Organique, mécanique. Présentiel, distanciel. Concret, conceptuel. Hôte, intrus. Analogique, numérique. Créateur, destructeur. Bien, mal. Sain, toxique. Blanc, noir. “Reality is out of joint”… Paul .Preciado, c'est un monstre qui vous parle depuis son appartement sur Uranus, c'est un alchimiste qui a réalisé l'oeuvre au rouge dans le creuset de son propre corps. Et ce livre est bien une pierre philosophale qui transforme le plomb du Covid en Or-texte viral et libérateur, qui transmute ce "monde d'après" raté en jalon de paradigme d'un autre futur possible, bâtissant sur les ruines d'un "monde d'avant" dés-idéalisé. Et il fallait bien que l'affaire de la pandémie se tasse pour pouvoir constater ce qui avait malgré tout changé dans ce monde d'après.
Le sujet de ce livre c'est ce que le virus a fait de nous et de ce qu'on appelle le "réel" mais pas seulement. Il y est surtout question de la révolution ascendante en cours qui se heurte au retour des bûchers du vieux monde. Il nous rappelle les batailles gagnées et celles à venir, celles qu'on pourrait perdre si l'on ne se dresse pas.
Vous l'aurez compris, on est ici dans la veine qui a bifurqué, dans ce monde en reconstruction/redéfinition constante mais désirable, celui du "tournant ontologique” chère à Philippe Descola ou Bruno Latour. L'ordre du jour est d'embrasser toutes les luttes comme une seule tout en gardant à l'esprit qu'on n'unifiera rien, qu'il n'est pas question d'"universel" mais d'alliances situées et de circonstance, de renégociations infinies.
Le travail de ce philosophe n'est pas désincarné, il ne se prétend ni d'un "universel" tout terrain ni d'une "vérité" plus légitime qu'une autre. Dans la lignée de l'épistémologie féministe, c'est un "savoir situé", Paul B. écrit d'où il est; la marge de la non binarité sexuelle et de genre. Mais ce n'est pas un livre sur la transidentité. Il n'est pas manichéen, il n'y a pas le mal contre le bien, pas de resucée moralisante, il y est question d'émancipations et d'ordre autoritaires, de forces libres et créatrices face à un imaginaire réchauffé et belliqueux. D'un vieux monde qui se ment sur ses propres mutations mais qui, dans un ultime râle, tente de tout (re)mettre au pas de sa marche militaire. Tel un Zarathoustra, qui décrétant la mort de Dieu met à bas tous les dogmes moraux sans les remplacer mais au contraire en appelant tout un chacun à exprimer les volontés de justice de son coeur, Paul B nous invite à changer d'angle de vue et à résister. Comme il y aborde quasi tous les sujets, il n'est pas non plus possible de synthétiser son propos. Sur la forme le même problème se pose tant il s'est tout permis. Je m'attarderai donc principalement à tenter de développer les motifs récurrents de l'oeuvre.


Dysphoria Mundi


Paul B. Preciado a dû confirmer le diagnostic de "dysphorie de genre" pour pouvoir suivre le processus de "changement de sexe", avant de se perdre/trouver en chemin et de choisir que la destination (être un "homme") n'était pas la fin en soit de sa mutation. Il nous propose d'élargir ce diagnostic de "dysphorie" au monde qui nous entoure, non pas comme une pathologie qui nous toucherait mais comme un outil utile à ce virage ontologique. Car ce monde qu'on nous vend est définitivement insoutenable et ce n'est pas nous qui sommes malades mais la "réalité" comme matière unifiée par le capitalisme pétro-sexo-racial (il ne faut être allergique aux termes valises à rallonge). "Dysphoria mundi" est le mantra central de ce livre, car où que se pose tes yeux, il y est. Un monde étouffé de béton, de bitume, d'écrans, de publicités, de brumes toxiques, d'êtres vivants définis par le marketing et les totems libéraux occidentaux, d'objets au coût externalisé dans une misère lointaine et invisibilisée, d'individus enfermés dans leurs prothèses cybernétiques se pensant libres dans le monologue avec la machine, se pensant uniques comme copies conformes, un monde qu'on ne peut penser qu'avec des concepts calibrés pour garder l'ordre en place, où tout est sclérosés/absolutisés comme d'un cotés ou de l'autre de frontières mentales prédéfinies mais artificiel. Car il n'y a pas de fatalité, et ces mots nous pouvons nous les réapproprier et transformer la matière même du réel. Défaire les binarités, les valeurs et les hiérarchies d'un régime de pouvoir en bout de course et autodestructeur. Bref, hacker la pensée pour buguer le logiciel néo-réactionnaire et capitaliste. L'auteur ne se gène d'ailleurs pas pour manipuler la langue, pour s'essayer à créer des pleines brouette de mots, de concepts (parfois même sous la forme de liste de variations sur un même motif). Puisqu'”au commencement était le Verbe” dans la digne continuité des penseurs du constructivisme social (comme Donna Haraway avec son "matériel-sémiotique" et sa “nature-culture”) et W. Burroughs qui envisageait les mots comme des virus modifiant leurs hôtes machine-humaines. Il est temps de faire du Verbe vivant qui bouleverse les humains et retisse la trame du réel.


Wuhan est partout


Reprenant le "Hiroshima est partout" de Günther Anders, Preciado propose "Wuhan est partout" et c'est presque plus explicitement vrai que pour la bombe, tant le virus a modifié la face et les habitudes de la planète de façon quasi-simultané et uniforme. L'affirmation est fondamentale, ce qu'il s'est passé au printemps 2020 est sans précédent et irréversible pour l'humanité. le confinement général de l'humanité a marqué les esprits, a tout changé à sa façon. Changement de la perception qu'on avait d'une "nature" qui après avoir été ressource généreuse et passive s'est mutée en un dieu invisible, vengeur et actif. Une nature qui aura brièvement réinvesti nos rues en nôtre absence, peut être l'image la plus porteuse d'espoir de la décennie. Changement de perception sur nos corps, finalement plus vulnérables et mortels qu'on n'arrivait à le concevoir. Mais surtout, vulnérabilité des corps de ce nord économique blanc et âgé. La pandémie aura mis à jour la dépendance économique de nos superpuissances mondiales et comme une malédiction qui remonte la chaîne alimentaire capitaliste sera venu jusque dans le lit de nos vieux riches qui se pensaient inatteignable dans leur puissance. Wuhan est partout à plus d'un titre car en réduisant nos interactions à n'être plus que virtuelle, c'est aussi nos appareils, produits dans les quartier-usines de Wuhan pour la plupart, qui sont devenus indispensables.


Narrator is out of joint


Preciado reprend les mots d'Hamlet après l'apparition du spectre de son père, “time is out of joint”, le temps est détraqué. La plupart des chapitres du livre en sont une variation “XXX is out of joint”. Pour beaucoup de cas le Covid est le catalyseur mettant en exergue ce qui clochait déjà avant de façon plus diffuse. L'auteur aura souffert du virus très tôt dans la pandémie, période qu'il relate à la manière d'un journal intime. le monde qui déraille dehors, à travers les écrans, en une dystopie surréaliste inconcevable quelques jours plus tôt. le confinement mettant à distance le monde, mettant à bas les masque de ce qui n'a jamais vraiment tourné rond, de ce qui roulait sur des rail qui n'avait aucune raison d'être ainsi, de nous mener à ce nul part là.


Nôtre-Dame de la pédocriminalité institutionnelle, priez pour nous


Autre motif textuel repris en multiple variations; l'oraison funèbre.
2020 a commencé avec la cathédrale Nôtre-Dame en flamme à Paris et c'est tout un symbole, préfigurant pour certain la catastrophe à venir, pour d'autres les effets des crimes de l'église. La cathédrale qui brûle c'est certainement pour Paul avant tout le symbole de l'effondrement d'un astronef qui emmena le peuple médiéval à la rencontre de son créateur, l'appareil de propagande d'une autre époque, aujourd'hui révolue, à l'heure du rapport de la CIASE. Ces oraisons sont adressées à de multiples plaies qui nous accablent, les entreprises du technococcon (GAFAM), le gavage aux antidépresseurs, anxiolytiques et consorts comme seule réponse au mal-être, la réponse nécrobiopolitique à toute problématique de santé de la main d'oeuvre occidentale (Bigpharma), etc.... Au passage il relate un événement, que j'avoue n'avoir pas vu passé non plus, la dernière révision en date de la déclaration de Genève en Octobre 2020 qui aura vue un tas de dirigeant du monde se mettre d'accord pour rouvrir la liberté des états à légiférer sur l'avortement et replacer la famille hétéro-patriarcale comme seul et unique modèle de reproduction (excluant l'homoparentalité et la plupart des dispositifs de naissances assistés). Les dirigeants de ces États n'ont pour certains rien en commun, des petits dictateurs africains, Trump ou Orban. Ils sont indifféremment musulman intégriste ou fondamentaliste chrétien comme le souligne l'auteur. Leur point commun est l'intention de lever le bouclier des repères patriarco-religieux contre les “déviances” du monde contemporain qui menacent la famille, le mariage ou les enfants(sic).

Le livre n'est pas seulement critique, ou théorique, il nous donne des clés pour traverser le feu. Il nous donne une feuille de route pour venir en aide à nos soeurs polonaises dont les droits sont en train de reculer. Preciado dit ne jamais avoir connu de véritable démocratie, le choc du putsch espagnol de 1981 est gravé dans sa mémoire. La fragilité et l'illusion de nos systèmes représentatifs, où chaque progrès social est susceptible d'être écrasé du jour au lendemain. Où l'opinion publique, influencée et infantilisée peut elle-même réclamer le bâton. Où le “there is no alternative” a été rentré au forceps dans nos consciences à la faveur d'une économie de marché omnipotente vorace et débridée. A la manière d'une initiation chamanique, il décrit le voyage orphique où la crise du covid nous aura mené. le résultat en est la conjuration des anciennes limites, la découverte de nos essences niées si longtemps. le livre s'achève sur une lettre ouverte au nouvelles générations de militant.e.s et d'activistes, un texte plein d'espoir nous encourageant à créer des réseaux à innover dans nos pratiques, à considérer les institutions oppressives comme des coquilles vides où la pantomime jouée ne berne plus personne, à considérer nos adversaires politique comme effrayés et jaloux face à l'étrangeté des nouvelles formes de vies qui s'éveillent et s'épanouissent de partout. Créant un nouveau langage et de nouvelles pratiques, c'est le bonheur dans nos luttes, les liens qu'on y tisse qui nous sauveront de la barbarie techno-féodale et la de la destruction de l'équilibre du vivant qui menace.
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Dysphorie (Wikimedia) :
(Psychiatrie) Perturbation de l'humeur caractérisée par l'irritabilité et un sentiment déplaisant de tristesse, d'anxiété.
(Médecine) Sentiment désagréable de tristesse, d'inadéquation, de déception.
(Sociologie) État de malaise social.
(Spécialement) Dysphorie de genre : détresse cliniquement significative ou altération fonctionnelle associée à une incongruence entre le sexe expérimenté/exprimé et le sexe attribué à la naissance.

C'est à partir de ces diverses définitions que l'on peut comprendre en quoi Paul B. Preciado, philosophe qui a lui-même sauté le cap de la transition, particulièrement touché par une forme violente du COVID dès mars 2020, alors qu'il se trouvait à Paris, a choisi de nommer son ouvrage Dysphoria Mundi.

En effet, selon lui, notre monde est en complète dysphorie, depuis de nombreuses années, en raison d'une domination capitaliste, masculine et blanche, dysphorie totalement exacerbée par la pandémie qui n'a fait qu'exacerber encore les inégalités, sociales, raciales, médicales... et le réchauffement climatique, malgré une brève accalmie permise, à ce sujet, par les confinements. Mais, toujours selon lui, il est encore possible, et certains signes le prouvent, comme les divers mouvements qui ont pu voir le jour, dès avant, mais plus encore pendant la pandémie - Black Lives Matter, les nombreuses révoltes contre les féminicides un peu partout dans le monde...-, de contrer cette dysphorie par une révolution qui parviendrait à rendre nos sociétés plus justes, plus égalitaires, non plus dominées par ce qu'il nomme le monde pétro-sexo-racial (renvoyant au capitalisme, au patriarcat, à l'hégémonie blanche).

Dysphorie qu'il a lui-même connue, de diverses manières, mais qu'il a justement dépassée ; dysphorie remarquable dans la forme même de son récit qui mêle journal relatant sa situation pendant le premier confinement, alors qu'il était lui-même malade depuis plusieurs semaines, réflexions philosophiques, sociologiques, biologiques... sur notre monde ultra-capitaliste qui s'effondre, le tout étant parfois perturbant quant à cette forme disparate, mais aussi quant à la richesse du contenu et des références.

Même si je ne suis pas toujours d'accord avec ce qu'il dénonce ou propose, je trouve que Paul B Preciado mène ici de très intéressantes pistes de réflexion pour les générations, actuelles comme futures, pour mener à un monde tout simplement plus juste et plus humain.

Je remercie les éditions Grasset et NetGalley de m'en avoir permis la découverte.
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Au début de Dysphoria Mundi, Preciado nous rappelle combien nous sommes cernés par une épistémologie binaire. La dysphorie de genre par lequel on le catégorise n'est rien d'autre que la marque du refus d'un programme politique binaire auquel nous sommes sommés de consentir. Sa dysphorie de genre n'est pas une maladie mentale, mais une inadéquation politique et esthétique. C'est une résistance à ne pas être subalternisés, objectivés. La dysphorie c'est à la fois la pathologie que le monde désigne comme telle, mais qu'il produit par son emprise. Les déviants ne sont plus hystériques ou schizophrènes, à l'ère du “néolibéralisme cybernétique et pharmacopornographique”, ils sont dysphoriques. La dysphorie désormais recouvre tous les troubles, c'est un concept “élastique et mutant qui imprègne toutes les autres symptomatologies”. La dysphorie désigne tous ceux qui ne s'adaptent pas aux changements du monde. Pour Preciado, cette inadéquation, cette dissidence, cette désidentification est une force. Si “notre condition de précarité et d'expropriation, d'emprisonnement et d'exil, d'assujettissement et d'impuissance s'est généralisée, nous ne sommes pas de simples témoins du changement du monde”. “Nous sommes les corps à travers lesquels la mutation arrive et s'installe”. le capitalisme et ses fictions (nations, identité… autant de fantasmes symboliques qui cherchent à créer des cohésions sociales) sont un irréalisme dans lequel de plus en plus de monde ne se retrouve plus (alors qu'ils sont plus affirmés par quelques-uns que jamais !).

Confronté au mode d'organisation “pétro-sexo-racial” du monde, nous sommes classés en catégories binaires, comme les profils du monde numérique nous classent eux-mêmes en catégories binaires. Pour nous extraire de l'épistémologie simpliste que le monde nous assigne, qui nous cerne et nous pousse à la dépression de masse qu'engendrent le temps des plateformes, il faut sortir du cadre en masse. S'opposer, déserter, faire exode… faire le pas de côté nécessaire pour regarder le monde autrement. Mais là où Preciado peut le faire jusque dans son corps et par son corps, nous autres, assignés aux écrans, nous sommes comme dépossédés de cet outil de lutte. Il nous faut nous en trouver un autre. Et c'est peut-être ce qui explique notre errance dans le désespoir des réseaux. Nous n'y avons plus de corps pour lutter !
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C'est la première fois que je ne veux pas parler d'un livre. Non pas parce qu'il n'est pas intéressant, mais c'est juste qu'il m'a fatiguée.
Je me fiche de savoir à quel sexe appartient une personne/un individu, je me fiche royalement des iels, de l'écriture inclusive, des féministes actuelles, qui n'ont aucune carrure, grandeur. La vie privée : choisir d'étaler ses choix fait qu'on va forcément se heurter à des difficultés. Si l'auteur n'a pas compris cela, je ne peux rien faire pour lui. Parlez moi d'" Annabel" de Kathleen Winter de "Middlesex" de Jeffrey Eugenides, là, on est dans la réflexion intelligente.
Toutes mes excuses et mes remerciements aux Editions Grasset et merci également à NetGalley de m'avoir permis de me rendre compte que tout le monde ne joue pas dans la même cour.
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Ce livre est une très grande de réussite. Il explore le concept de dysphorie, qui s'entrechoque à bon nombre de marginalité, au-delà du genre. La dypshorie comme symptôme sous un régime de domination violente. C'est tout à la fois puissant, doux, inventif et intelligent. Preciado m'embarque encore une fois, et chaque page me fait dire un "mais oui c'est ça !" enthousiaste. En plus, c'est un essai hybride, c'est vraiment de la recherche-création, un bel exemple pour les futur.e.s chercheur.euses qui s'essayent à la discipline. Avec ce livre, la recherche fait un sublime pas de côté audacieux, le pas de côté des marges qui explosent le carcan académique. Un gros pavé très nécessaire (en passe de devenir un essentiel à toute bonne bibliothèque de gaucho)
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critiques presse (3)
LeDevoir
20 février 2023
Dans «Dysphoria Mundi», face à l’état du monde, le philosophe espagnol en appelle à une mutation globale de l’humanité.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LesInrocks
03 janvier 2023
Dans un nouvel essai labyrinthique écrit en temps de pandémie, le philosophe entremêle théorie et autobiographie pour penser la révolution qui vient. Politique et poétique, un manifeste très beau mais parfois un peu confus pour désirer mieux et plus librement.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
LeMonde
30 décembre 2022
Le philosophe Paul B. Preciado évoque dans son dernier ouvrage les nouvelles façons d’appréhender nos sociétés, portées notamment par les personnes trans. Selon lui, c’est un bouleversement total qui est en germe, au-delà de l’individualité.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Le capitalisme pétro-sexo-racial a construit au cours des cinq derniers siècles une esthétique : un régime de saturation sensorielle et cognitive, de captation totale du temps et d'occupation expansive de l'espace, une habituation au bruit des machines, à l'odeur de la pollution, à la plastification du monde, à la surproduction et à l'abondance consumériste, aux week-ends au supermarché, à la viande hachée, au sucre, un suivi rythmé de la saison de la mode et une exaltation religieuse de la marque, une satisfaction insolente à se séparer de ce qui avait été programmé pour devenir obsolète et qui peut être immédiatement remplacé par autre chose, une fascination pour le kitsch hétérosexuel, une romantisation de la violence sexuelle comme fondement de l'érotisme de la différence entre masculinité et féminité, un mélange de rejet et d'exotisation, de terreur et d'érotisation des populations racisées poussées vers les périphéries des villes ou vers les frontières des États-nations. En deux mots, un goût pour le toxique et un plaisir de la destruction.
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L'historien Klaus Theweleit à expliqué comment les perdants des guerres nationalistes allemandes du début du 20e siècle qui n'ont pas pu faire le deuil de la défaite ont ensuite constitué le noyau dur des forces non seulement militaires mais aussi civiles qui ont porté Hitler au pouvoir, formés les directions des SS et des SA est mis en route l'extermination industrielle des juifs, des gitans, des homosexuels, des malades mentaux, des handicapés et des communistes. Cette même incapacité des trumpistes à accepter la défaite (à la fois épistémique et politique, coloniale et patriarcale) pourrait être la graine du futur fascisme américain.
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Les nouvelles luttes trans, féministes et antiracistes sont des batailles épistémiques, des efforts pour modifier les relations historiques entre corps (masculin, féminin, non binaire, blanc, racisé, migrant, national, enfant, adulte, parental, filiale, employeur, travailleur, ect), savoir (religieux, scientifique, oral, numérique, etc.) et pouvoir (parlementaire, légal, institutionnel, sexuel, territorial, souveraineté corporelle, ect.). Mais la complexité de la situation actuelle réside dans le fait que le changement de paradigme qui s'opère implique également une réarticulation des savoirs hégémoniques, avec des déplacements et des réappropriations multiples et inattendues. Les partisans de l'idéologie suprémaciste hétéroblanche et des théories du complot font également savoir valoir des connaissances désavouées, des récits anti scientifiques et des narrations locales pour restaurer des formes archaïques de souveraineté patriarcale et coloniale. C'est la complexité dans laquelle nous sommes impliqués, l'enchevêtrement épistémique (« la merde qui nous entoure », pour le dire avec Virginie Despentes) dont on ne peut sortir par une simple opposition binaire ou un renversement du pouvoir. Il faut une mutation des technologies de la conscience.
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Dans le patriarcat colonial, le silence a été pendant des années une des techniques les plus efficaces de contrôle et de domination. Et maintenant, cette institution de pouvoir, de capture cognitive et d'exploitation sexuelle qui s'appelle l'Église catholique vacille sous la force imparable de la parole des plus démuni.es. Telle est la leçon de cette révolution épistémique : un régime de pouvoir hiérarchique, abusif et violent s'effondre lorsque ceux qui sont au bas de la pyramide, ceux qui ont été considérés comme de simples objets sexuels ou économiques inventent un nouveau langage pour nommer ce qui s'est passé, pour raconter leur processus de destruction, mais aussi leur survie. Cette guerre épistémique se gagne par la sophistication des affects et des mots. On ne dit plus autorité, respect, soumission, ordre naturel, loi divine point maintenant, iels disent pédophilie, viol, abus sexuel, violence systémique, domination patriarcale. Ces mots pour définir le fonctionnement historique de l'Église ne sont pas un blasphème, mais une révolution.
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Comme l’a souligné la féministe bolivienne Maria Galindo, la spécificité de cette pandémie n’est pas son taux de mortalité élevé, mais le fait qu’elle a touché les corps souverains du Nord capitaliste mondialisé : les hommes blancs européens et nord-américains de plus de cinquante ans.
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Videos de Paul B. Preciado (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Paul B. Preciado
L'éthique de l'homme occidental et les buts moraux de la psychanalyse
Lacan presque queer intervient au coeur du débat opposant les militants queer et les spécialistes des études de genre aux psychanalystes. Il évalue la pertinence des critiques politiques développées par les premiers tout en rappelant l'exigence émancipatrice de l'expérience psychanalytique (revue par Lacan) et l'ampleur de son analyse historique de l'évolution de l'éthique des sociétés occidentales (de l'antiquité à la modernité).
Le 17 novembre 2019, le philosophe queer Paul B. Preciado invité à la tribune du congrès de l'Ecole de la cause freudienne prononce une mémorable conférence exigeant des psychanalystes une profonde mutation de leur discipline qui reste selon lui la science de l'inconscient hétéropatriarcal et colonial, enferme les sujets dans la cage de l'épistémologie binaire et hiérarchique de la différence des sexes, reconduit la domination masculine, les pratiques de mort contre les homosexuels et les transsexuels, culpabilise les enfants par l'oedipe, et oeuvre au total à toutes sortes d'opérations de normalisation favorisant au mieux l'état actuel de la reproduction sociale ou de la domination mortifère du père (blanc).
Pour Markos Zafiropoulos, il fallait répondre par Lacan à cette violente critique, qui divise le champ freudien et celui des études de genre, mais aussi les associations militantes comme les cercles tâtonnant vers la construction d'une queer psychanalyse.
En retournant au texte même, l'auteur prend la mesure de l'analyse de Lacan concernant l'histoire de l'éthique en Occident, les ressorts cliniques qui font de l'homme moderne un fugitif et un prisonnier de la cage du fantasme mais aussi de ce qu'il apporte aux buts moraux de la psychanalyse qui vont comme un gant aux impératifs des avant-gardes politiques.
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