Le petit Jacques l'Aumône rêve à tout-va. Sans doute un bon moyen, avec le cinématographe de quartier, de s'évader à moindre frais de sa vie d'enfant de Rueil et d'une famille de condition modeste (parents gentiment gentils, quoique simples et terre-à-terre). Alors, Jacques rêve. Il saute de personnage en personnage. A peine croise-t-il le sous-disant comte Louis Philippe Des Cigales, l'ami de la famille, poète local et méconnu, qu'il se voit illico comte à la place du comte, et promis à une grande destinée historique. Quelques heures plus tard, « après avoir abdiqué pour des raisons connues de lui seul », à peine débutent les films dans le cinématographe du coin qu'il se métamorphose en héros à la place du héros aux prises avec des « orlaloua ». Puis inventeur-aviateur, accomplissant à lui seul toutes les grandes traversées de l'histoire de l'aéronautique. Plus tard encore, le voilà pape machiavélique pour épater les amies d'enfance, ou champion de boxe pour épater la galerie.
Et lorsque la vie semble le rattraper, devenu ingénieur chimiste par méprise, marié et père par hasard, Jacques l'Aumône s'évade à nouveau, au sens propre comme au figuré : évasion et rêve de vie d'artiste, rencontres de passage et amours fantasmées, petites opportunités et grandes désillusions (le chapitre sur les amours désenchantées et la quête de l'humilité est un régal). Au final, loin de tout et de tous, devenu acteur de cinéma à Hollywood, Jacques l'Aumône aura-t-il réellement existé ? Ou n'aura-t-il été que le personnage rêvé de tous les autres ?
Péripéties exotiques ou passages tourmentés dignes des sommeils agités,
Loin de Rueil est tel un rêve. Un enchaînement, totalement décousu et en accéléré, d'épisodes les plus extravagants les uns que les autres. Un roman dont vous êtes le rêveur, et dont il convient de ne surtout pas chercher à comprendre la règle du jeu. Alors, abandonnez là toute interprétation des rêves. Allongez-vous. Fermez les yeux. Et laissez vous porter, bercer, au rythme de la langue particulière du néo-français à la
Queneau, piquée de dialogues irrésistibles et de descriptions aux aphorismes décalés (« ça donne de l'air dans une ville les cimetières ; ça permet de respirer »). Un roman qui n'est pas sans rappeler celui des rêves (tiens, tiens) des Fleurs Bleues.