Je ne connaissais pas le roman d'
Emilie Querbalec il y a seulement quelques jours. C'est donc une lecture totalement inattendue et imprévue.
Elle est dû à la combinaison de plusieurs facteurs, à savoir la lecture d'un article sur le Net vantant les qualités du livre, la belle couverture qui jette un regard sombre et poétique sur des fonds marins, la critique très inspirante de Lenocherdeslivres (que je remercie encore) et la découverte fortuite du roman dans ma médiathèque, il était posé en évidence sur un présentoir, comme s'il m'attendait.
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Sommes-nous seuls dans
L Univers ? Combien de fois, en regardant le ciel étoilé, l'homme s'est-il posé cette question ? A quoi pourraient ressembler les formes de vie et les écosystèmes sur d'autres planètes ?
« Devant ma couche, une mare de lumière
Serait-ce le givre sur le sol ?
Je lève les yeux, la lune brille dans le ciel.
Je baisse la tête, la maison me manque ! »
Li Bai
L'histoire débute au 26ème siècle. Les scientifiques ont découvert de possibles traces de vie extraterrestre sur la planète de Nüying, distante de vingt-quatre années-lumière du système solaire. En effet, une sonde a capté des sons étonnants rappelant le chant des baleines.
« … les premières notes résonnèrent, si tant est que l'on puisse qualifier de notes ces vibrations qui ne rappelaient rien de ce que l'on connaissait sur Terre. Après quelques longues secondes, un écho abyssal déchira cette nappe sonore. Plusieurs autres cris de différentes intensités répondirent à cette première ligne mélodique, esquissant les contours d'une symphonie profondément étrange. »
Une telle découverte questionne sur leur origine. Est-ce la confirmation que
L Univers n'est pas vide et stérile ? Ou bien ces vibrations sont-elles le fait de facteurs climatologiques ou géologiques ?
Quoi qu'il en soit, elles laissent l'espoir inespéré de découvrir une forme de vie extraterrestre intelligente sur cette planète.
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Rêves est un mot me vient spontanément à l'esprit lorsque je repense à ce roman au moment d'écrire ces mots.
Rêve d'un ailleurs.
Rêve de liberté et d'une vie meilleure.
Rêve de prendre en main son existence.
Rêve de pouvoir et de domination.
Rêve de conquête et d'aventure, d'évasion et de voyage lointain.
Rêve d'une terre inconnue, vierge cachée dans l'immensité de l'univers.
Rêve de rencontrer de nouvelles formes de vie extraterrestre.
Rêve de se fondre dans l'océan.
Brume, la bioacousticienne et spécialiste de la communication inter-espèce, est envoûtée depuis son enfance par ces chants mystérieux qui font « penser à des dragons asiatiques, des dragons gigantesques nageant dans les profondeurs marines des océans de cette planète lointaine ». Ayant travaillé dans les eaux froides de l'Arctique sur le comportement des baleines boréales et participé à l'élaboration d'une technologie d'interfaces neurales dans la communication homme-animal, elle est recrutée pour découvrir l'espèce à l'origine de ces chants.
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Je dois avouer que ce roman est vraiment surprenant : la ligne éditoriale et la couverture m'ont induite en erreur sur son contenu. Je pensais que l'histoire serait centrée sur l'exploration de Nüying. J'imaginais plonger dans ses abysses à la rencontre de cette intelligence extraterrestre au chant si fascinant aux côtés de Brume.
Après un moment de déconvenue, le récit me semble plus original que ce que laissait penser la quatrième de couverture. J'ai découvert un récit intimiste dans lequel Brume est le fil rouge, sans être toutefois le personnage principal de l'histoire.
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Ainsi, d'autres protagonistes participent au voyage dans un récit à plusieurs voix.
William participe à l'aventure pour des raisons différentes de celles de Brume.
Ce cybernéticien a travaillé sur une technologie essentielle dans les voyages spatiaux, celle de la réincarnation numériquement assistée (RNA). Elle consiste, pour le temps du voyage, à placer une partie des passagers dormants dans des caissons cryogéniques et de séparer l'esprit de leur corps afin de stopper le processus de vieillissement.
Dana, une cogniticienne cybernéticienne d'origine Russe, est responsable du projet RNA. Elle a vécu toute sa jeunesse sur une base implantée sur la Lune. Elle fait partie de ce peuple qui n'a pas vécu sur la Terre et que l'on appelle les Sélènes.
Les Sélènes constituent la majorité de l'équipage embarqué sur le vaisseau-monde Yutu Meng. Ils ont eux aussi un rêve en embarquant pour ce long voyage.
Cependant, il n'y aurait pas de voyage sans Jonathan Wei, un homme d'affaires et milliardaire américain qui a investi des milliards pour financer le projet Shun. Lui aussi a des motivations, mais elles nous sont cachées.
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Ce livre est un récit de voyage vers une autre planète et peut-être vers une autre forme de vie, mais dans ce lieu confiné qu'est le vaisseau spatial, c'est avant tout un voyage vers l'autre et une découverte de soi. En ce sens, l'autrice nous parle d'identité, de souvenirs et de mémoire, de diversités (sociales, culturelles, religieuses, ...) et d'altérité, d'interaction et de difficultés de communication, de conflits intergénérationnels et du poids de la culpabilité.
Cette oeuvre ample et complexe aborde d'autres thèmes forts : le transhumanisme et le clonage, le monde virtuel et la sauvegarde informatique de notre conscience, la religion et les dérives sectaires, la politique et les intérêts personnels.
L'autrice joue beaucoup sur l'opposition entre l'esprit et le virtuel, la technologie et la spiritualité, la science et l'immortalité.
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Une autre originalité qui m'a beaucoup plu : l'autrice varie le rythme de sa narration en déstructurant le temps, en divisant la trame du récit en trois grands moments, en y insérant des ellipses narratives et des flashbacks. Chacun d'entre eux a une ambiance qui lui est propre.
Si la première partie est assez classique puisqu'elle est consacrée à la préparation de la mission Shun, les deux autres sont comme des arrêts sur image dans le déroulement de la mission. Tout n'est pas dit et le lecteur doit reconstituer les parties évidées.
Ce procédé, particulièrement astucieux et captivant, a accru mon intérêt au fil des pages. Les dernières pages sont surprenantes, l'autrice les conclut de manière magistrale.
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J'ai trouvé l'écriture de
Emilie Querbalec agréable à lire, d'une lenteur mesurée, claire et précise, poétique et scientifique dans ses descriptions.
Elle prend le temps d'installer les décors, de varier l'atmosphère de chaque partie, de nous immerger avec beaucoup de sensibilité dans l'intimité des personnages. Et puis, on n'a qu'une hâte, c'est d'arriver au terme du voyage, de découvrir la planète de Nüying et ses fonds marins.
Mais, bien sûr, le voyage ne va pas se passer comme prévu et va réserver bien des surprises.
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Pour conclure, «
Les chants de Nüying » est un roman choral à la construction originale, un voyage aux doux parfums de nostalgie, une plongée dans les méandres de l'âme humaine.
A découvrir.