Étonnant que cette pièce m'ait autant plu.
Pourtant, il ne se passe pas grand-chose.
Bérénice, ce n'est finalement que l'histoire d'une rupture. Et on ne peut pas compter sur un aspect sanglant. Comme le dit Racine lui-même : « ce n'est point une nécessité qu'il y ait du sang et des morts dans une tragédie ». Voilà une position qui me surprend. Si je trouve que, parfois, certains auteurs en font trop en assassinant et suicidant tout le monde à tire larigot à la fin, j'ai du mal à considérer comme justifié le point de vue de Racine. Il faut un minimum quand même, sinon, on reste dans un registre tout juste dramatique.
Mais à la lecture de
Bérénice, j'ai jeté ces considérations dans la poubelle de mon PC. Fi des classifications ; le texte est superbe !
Il raconte comment Titus, devenu empereur de Rome à la suite du décès de son père Vespasien, rejette contre son gré son amour pour la reine
Bérénice pour des considérations politiques. Titus et
Bérénice s'aiment depuis un bout de temps, mais tant qu'il n‘était que prince, cela pouvait être considéré comme une foucade. Mais dès lors qu'il est amené à représenter Rome, c'est un personnage d'une autre stature qu'attendent le peuple et le Sénat. Comment pourrait-il épouser une orientale ? Une reine de surcroît, alors que les Romains honnissent le concept de royauté depuis les balbutiements de la Ville (seulement trois rois à ses débuts, et puis fini) ? Ce serait se rabaisser à un Marc-Antoine, qui en oublia Rome avec sa Cléopâtre. Lui, jeune, en pleine gloire militaire après les guerres de Judée, obscurcirait immédiatement un règne qui s'annonce magnifique.
Mais Titus ne veut pas renoncer si facilement. Même quand il cède à son entourage, il ne trouve pas le courage d'en parler directement à son aimée.
Bérénice ne comprend d'abord pas pourquoi Titus est si fuyant, lui qui lui promettait hier encore la place d'impératrice. Elle lui cherche des excuses – le désespoir dû à la mort du père – jusqu'au moment où cela ne suffit plus. La nouvelle finit par lui parvenir : elle est déchue. C'est l'incompréhension, puis la colère.
L'histoire est un peu compliquée par la présence d'Antiochus, roi de Comagène, ami de Titus et amoureux depuis toujours de
Bérénice, qui apparaît comme un vrai dindon de la farce, bousculé entre les réactions de l'un et de l'autre, obligé de servir de médiateur, voyant enfin une ouverture à son amour mais qui se referme aussitôt. Pauvre gars.
Les raisons politiques, les tergiversations, les passions, les colères sont sublimées par les vers de Racine, et ce faisant prennent effectivement une teinte tragique. Seul défaut à mon avis, ce sont les chantages au suicide qu'imposent les trois acteurs à la fin. Chacun dit aux deux autres « tu auras ma mort sur la conscience » avant que la raison vienne mettre de l'ordre dans tout cela.
Avec cette pièce, j'achève le premier tome du
théâtre complet de Racine. le tome 2 attendra un peu.