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On a beau se dire qu'aujourd'hui l'affaire serait expédiée en un quart d'heure tout au plus, trois ou quatre mots suffiraient, cependant ces choses sont exprimées dans la belle langue de Racine et il faut cinq actes d'une tragédie pour y parvenir.
Ces choses, mais quelles sont ces choses si difficiles à dire, pour lesquelles il faut user de l'élégance des mots et du souffle d'une tragédie pour les clamer ?
Car derrière le rideau de cette intrigue, nous avons bien à faire à une tragédie, même si Racine nous évite du sang sur les murs, des cadavres qui jonchent le sol, la seule violence ici présente est celle des passions exacerbées...
Donc, résumons cette histoire de billard à trois bandes puisqu'il s'agit d'un triangle amoureux...
Bérénice aime Titus, qui aime Bérénice. Antiochus aime Bérénice, mais la réciproque n'est pas vraie. Elle lui voue seulement une amitié, tandis que lui continue de l'aimer secrètement.
Hélas ! Tous les chemins de l'amour ne mènent pas à Rome.
Titus vient de succéder à Vespasien en tant qu'empereur sur le trône romain, mais celle qu'il aime est reine de Judée et les lois de Rome empêchent cette union, non pas qu'elle soit juive mais parce qu'elle est reine et étrangère.
Or Titus se dérobe au dernier moment pour avouer à Bérénice que leur amour sera sacrifié sur l'autel de la raison d'État.
Titus confie alors à son allié et confident, Antiochus lui-même roi, du royaume de Commagène, la charge d'aller dire à la belle son impossible mariage et de la ramener illico presto dans son royaume de Palestine.
On a beau être empereur de Rome, avoir fait toutes les guerres pour protéger l'empire, on n'est guère téméraire pour regarder la femme qu'on aime depuis cinq ans, l'affronter dans les yeux, craindre ses larmes et lui avouer que, désolé chérie ! les contingences politiques, tu sais ce que sait, elles imposent des devoirs qui ignorent le coeur. Allez ! Fais ta valise et surtout, pas de scandale !
On a beau être empereur, on n'en mène pas large dans certaines situations ! Quel comble pour un personnage de la stature de Titus, de ne pas savoir poser des actes ! Il lui en faudra quatre pour le lui dire !
La décision est sans doute déjà prise et le dilemme n'est peut-être pas de savoir si Titus va renoncer ou non à Rome pour le coeur et les beaux yeux de l'aimée, mais plutôt tout au long de la tragédie : comment, bon sang, vais-je le lui annoncer ? Comment trouver les mots pour se dire qu'on se quitte pour jamais ?
La faiblesse, la lâcheté de Titus l'auront donc conduit à attendre quatre actes pour déclarer l'impossible mariage et en passant par des biais tortueux. Bérénice s'en indigne bien sûr, elle a raison de lui rétorquer qu'il connaissait les lois de Rome lorsqu'il l'aima la première fois, c'était il y a cinq ans... C'est vrai, quoi !
D'autres pour le coeur de Bérénice auraient renoncé à l'Empire.
Les exemples célèbres sont multiples, ne serait-ce que celui du roi Edward VIII qui abdiqua pour pouvoir épouser la belle roturière américaine Wallis Simpson.
On connaît aussi des souverains qui ont su s'en accommoder. Si l'on observe un éventail large, au hasard depuis Louis XIV jusqu'à François Mitterrand, les exemples sont nombreux... Mais peut-être ainsi Titus dans sa bonté a su protéger Bérénice d'un autre mal plus dévastateur : les affres de la jalousie d'une maîtresse qui serait demeurée terrée dans l'ombre.
Et alors, je me suis demandé si Titus aimait vraiment Bérénice. Qu'en pensez-vous ?
On pourrait se dire que tout ceci va jouer en faveur d'Antiochus, que son heure est enfin venue. Mais il ne suffit pas que Rome dise non à cette union et congédie Bérénice en Palestine pour qu'aussitôt la belle souveraine saute au cou d'Antiochus. Et puis, ce serait un amour misérable ! Mettez-vous un instant à la place de l'un et de l'autre... !
J'ai découvert dans les vers de Racine une langue somptueuse, mais j'ai trouvé qu'il y avait autre chose chez ce poète tragédien : un art subtil dans cette attente de l'aveu ultime, un suspense qui tient le spectateur en haleine dans ce conflit entre le devoir et le coeur, entre la passion et la raison...
Je me suis laissé imprégner par cette langue sonore, sensuelle, déroutante au début de ma lecture, inhabituelle pour moi. J'y suis revenu à plusieurs reprises, je revenais sur certains fragments du texte pour le simple plaisir de les relire. J'ai aimé ces vers sublimes qui s'entrechoquent, au risque de se briser, dans les vertiges et les déchirements de la passion amoureuse, qui se nouent et se dénouent dans un équilibre sans cesse fragile. C'est comme un chant incantatoire... Et comme c'est du théâtre j'essayais d'imaginer les gestes, les regards, les bouches, les corps qui pouvaient habiter cette émotion. Corps tendus qui tremblent, ployés, déployés, qui brûlent...
J'ai eu un faible pour ce pauvre Antiochus, en souvenir peut-être des quelques fois où j'ai dû tenir la chandelle moi aussi... Mais je vous parle d'un temps... Antiochus est le personnage que je préfère, c'est le plus respectueux, le plus intègre, bien que les autres au fond n'aient rien à se reprocher, son amitié est fidèle à l'un comme à l'autre... Il est touchant, figure tragique de cette pièce, au rôle si ingrat, sans lui les deux autres personnages n'existeraient sans doute pas de la même manière, mais je dis cela, hein ?!
Mais plus que tout, j'ai aimé Bérénice. Bon un troisième qui l'aime, me direz-vous ? On n'est plus à cela près. Mais voyez-vous, ceux qui me connaissent savent que je tombe vite amoureux des personnages féminins atypiques, en marge de l'ordre établi par les hommes, que je rencontre dans mes lectures.
Je l'ai aimée malgré ses plaintes et ses larmes à n'en plus finir, malgré les chantages qu'elle exprime, malgré son désir de dominer... Mettez-vous à sa place dans cette trahison indigne et douloureuse qu'elle subit... Elle est pour moi l'Orient, l'étrangère, celle qui ne trouvera pas sa place, celle qu'on répudie, qu'on ramène chez elle comme devenue une intruse... Vous imaginez le comité d'accueil à l'arrivée là-bas chez son peuple qui s'est fait massacré par Titus qui l'a aimée et qu'elle a aimé pendant cinq ans ! Non, impossible... Alors j'ai imaginé une Bérénice en exil sur les routes... Personne n'en a jamais parlé, personne ne s'est inquiété de savoir ce qu'il a pu advenir d'elle...
Peut-être cela a-t-il fait l'objet d'une autre histoire, d'un autre récit... Qui sait ?
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Bérénice est une tragédie du XVIIème siècle dans laquelle Jean Racine met en scène trois personnages aux amours contrariées.Titus, empereur de Rome et Bérénice, reine de Palestine s'aiment et veulent se marier mais la convenance devant le peuple Romain les en dissuade. Titus fait un choix, non sans doutes et sans souffrances, celui de privilégier le règne et la gloire en toute légitimité au détriment de son amour pour Bérénice. Cette orientation s'avère complexe et génératrice de bien des douleurs.
Parallèlement à cela, Antiochus, roi de Comagène et ami de Titus avoue et libère son amour gardé secret pour Bérénice sans y trouver la réciproque.
Que la passion peut rendre malheureux !
Cette pièce de théâtre est magistrale, le contenu magnifique et les textes sublimes.
A lire et à relire avec délice.
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Longtemps j'ai cru qu'aucune pièce de Racine ne me toucherait plus que Phèdre... C'était avant d'avoir lu Bérénice !

Depuis huit jours, Titus a succédé à Vespasien sur le trône de l'empire romain. Afin de se conformer aux lois romaines, qui n'admettent que des mariages entre Romains, il doit se séparer de Bérénice, reine de Palestine. Or cela fait cinq ans que cette dernière a suivi son amant à Rome, dans l'attente de l'épouser.
Titus ne sait comment annoncer à la reine une tragique nouvelle qu'elle ne veut pas entendre. Il demande à Antiochus, secrètement épris de Bérénice et qui, croyant voir arriver le jour du mariage, s'apprêtait à quitter Rome, de la ramener dans son royaume. Passant de la colère au désespoir, chacun menacera de se tuer et, finalement, dans un effort suprême, ils se quitteront pour jamais :
"Adieu, servons tous trois d'exemples à l'univers
De l'amour la plus tendre, et la plus malheureuse,
Dont il puisse garder l'histoire douloureuse."

Et je termine ma lecture en répétant le dernier mot, d'Antiochus, : "Hélas !"
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On ne peut pas critiquer une oeuvre d'un auteur classique de cette qualité, mais uniquement faire part de son ressenti.
Bérénice peut paraître une oeuvre difficile, car rédigée en vers dans le français de son époque (XVIIe siècle de la Cour de Louis XIV) avec des phrases ampoulées. Cependant, le lecteur s'adapte aisément et est rapidement séduit par la pureté de la langue et la qualité de l'écriture. L'intrigue de cette tragédie est simple, Titus et Antochius aiment Bérénice. Bérénice aime Titus, mais ce dernier est tiraillé entre son amour et son statut d'Empereur Romain.
L'Antiquité et l'étude des auteurs gréco-romains sont en vogue depuis longtemps déjà et un nombre important d'auteurs se sont inspirés des mêmes sujets, mais sans doute pas avec le brio de Racine, très érudit et fin lettré, ayant une connaissance approfondie du Grec, du Latin et de l'Histoire. Toutefois, si les protagonistes de la tragédie ont vraiment existé pendant l'antiquité romaine, Racine a eu le génie d'adapter la pièce à la vie de Cour contemporaine du 17 ème siècle, écrivant pour plaire au Roi et aux puissants qui assuraient sa subsistance.
Une tragédie rédigée par un courtisan talentueux, et un chef-d'oeuvre qui a su traverser les siècles.
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Superbe tragédie de Racine en cinq actes inspirée de l'histoire de Rome. Titus, alors empereur romain à l'époque vit une folle passion avec la reine Palestine du nom de Bérénice. Lorsque celui-ci se confie à Paulin, son ami et confident, sur ce que pense le peuple de cet amour et d'une éventuelle union entre lui et Bérénice, Paulin lui avoue que le peuple désapprouve cette passion entre leur empereur et celle qu'ils considèrent uniquement comme une étrangère. Aussi, Titus doit faire un choix cornélien : il doit soit écouter son coeur et respecter son engagement envers Bérénice, soit écouter la voix de la raison, à savoir celle du peuple et renoncer à son amour pour assurer ses devoirs envers Rome. Rome ou Bérénice ? C'est là où se joue tout le drame de la pièce puisque Titus accepte de sacrifier son amour pour honorer sa qualité d'empereur. Celle-ci l'accepte et se retire donc mais les deux amants se séparent non sans un horrible détachement et des sentiments qui auraient bien pu les pousser à la mort, si ils n'avaient pas écouté la voix de la sagesse.

Quelle cruelle destinée que celle d'être obligé d'avoir à faire un choix et de devoir se séparer, contre son gré, de l'une des deux choses auxquelles vous tenez le plus dans ce monde d'ici-bas.
La pièce de Racine est très agréable à lire, les vers sont magnifiques et, il se peut que je me répète, mais, pour moi qui adore l'histoire romaine, j'ai été littéralement comblée.
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Jean Racine, pour moi, cela datait du collège. Pas comme Corneille, surtout pas comme Molière, fréquemment joué.

Et là, je suis tombée sur l'histoire de ce duel Corneille/Racine pour les beaux yeux de la princesse d'Angleterre.

J'ai relu Bérénice. C'est grandiose. La tragédie de Corneille est dépassée. Là où il n'y avait que contingences politiques, voici une analyse des passions humaines.

J'ai évidemment adoré le personnage d'Antiochus et ne comprends guère les critiques faites à ce personnage, essentiel à mes yeux pour ne pas tomber dans la romance.

Bref, une lecture salutaire. J'adore le théâtre dit "classique".
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Une grande simplicité d'action qui confine au dépouillement. Pièce sur le conflit entre amour et politique, la raison d'Etat, le devoir et la passion et l'amour difficilement compatible avec l'amitié.
Titus aime Bérénice qui l'aime. Mais Bérénice est reine de Palestine et Titus nouvel empereur de Rome. Or "l'hymen chez les Romains n'admet qu'une Romaine, Rome hait tous les rois et Bérénice est reine", "l'Empire incompatible avec votre hyménée". Titus hésite car "c'est peu d'être constant, il faut être barbare".
Pour compliquer la situation Antiochus est amoureux transi de Bérénice (qui n'éprouve pour lui que de l'amitié) et ami de Titus qu'il respecte. Pourtant, tout ne finit pas (trop) mal pour une tragédie racinienne.
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Cette pièce est une merveille. Elle m'a emportée, je l'ai lu d'une traite, j'étais emportée par la poésie de Racine. A la dernière page j'étais sûre d'une seule chose, j'allais le relire et souvent ! Depuis c'est un de mes classiques, j'ai plaisir à me replonger dans ces pages juste pour quelques instants.
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Encore une fois, c'est grâce à un podcast France Culture que je redécouvre cette tragédie de Racine dont, malheureusement, je ne possède plus le livret. Merci à ma liseuse qui contient l'intégrale du théâtre racinien !
Avec Bérénice, en 1670, Racine entre en lutte ouverte avec Corneille et sa pièce Tite et Bérénice. le sujet leur aurait été proposé à tous les deux par Henriette d'Angleterre…

Cette pièce est une histoire d'amour et de devoir… Racine en parle ainsi : « Titus, qui aimait passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu'on croyait, lui avait promis de l'épouser, la renvoya de Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire. Cette action est très fameuse dans l'histoire, et je l'ai trouvée très propre pour le théâtre, par la violence des passions qu'elle y pouvait exciter ».
Dix ans auparavant, Louis XIV avait renoncé à sa passion pour Marie Mancini et peut-être tenait-on à l'en louer. Dans le système dramatique de Racine, il s'agit bien ici à la fois de plaire et d'émouvoir tout en privilégiant la vraisemblance, la bienséance et le respect des sources historiques.

L'intrigue de Bérénice est d'une grande simplicité, concentré sur une seule question et sur une résolution sans effet spectaculaire : Titus épousera-t-il Bérénice ? La réponse est non car il la renvoie, malgré leurs sentiments respectifs l'un pour l'autre. Racine a voulu ici « faire quelque chose de rien ».
Titus, empereur de Rome, et, Bérénice, reine de Palestine, s'aiment. Antiochus, le meilleur ami et confident de Titus aime aussi Bérénice en secret depuis des années. Apprenant que leur mariage doit se faire le soir même, il décide d'avouer son amour à Bérénice, qui ne voit en lui qu'un ami. Titus, parce qu'il est empereur romain, ne peut épouser une reine ; les lois de Rome l'interdisent. Déchirés, les trois personnages décident de se séparer. Bérénice rentre donc chez elle et Antiochus rejoint ses terres.
Cette pièce très dépouillée illustre une crise passionnelle, déjà inscrite dans le temps, contenue depuis longtemps et donc prête à éclater.
Dans Bérénice, personne ne meurt, ne se suicide ou ne tue ou fait assassiner : « ce n'est point une nécessité qu'il y ait du sang et des morts dans une tragédie ; il suffit que l'action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s'y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie ».

J'ai toujours considéré cette pièce comme une tragédie belle et reposante. L'absence de dénouement sanglant peut en effet surprendre : Certes, Bérénice menace de se suicider mais, finalement, elle accepte la séparation imposée… D'une certaine manière, elle n'est pas vaincue ; en effet, elle n'a pas de rivale, est convaincue, devant les larmes de Titus, qu'il l'aimera toujours ; elle échappe aux tortures de la jalousie et s'élève moralement en renonçant à lui.
L'ambiance générale de la pièce est dominée par la tristesse et la désespérance et non par la fatalité ou la cruauté du destin. Les personnages sont malheureux, blessés, hésitants mais profondément sincères et honnêtes.
Depuis sa découverte au collège ou au lycée, le personnage de Bérénice m'a toujours touchée ; c'est une femme digne dans le malheur, tendre et sublime à la fois, exemplaire, qui suit son amant sur la voie de l'honneur et du devoir. Si elle renonce à se suicider, c'est pour sauver la vie de Titus qui a juré de la suivre dans la mort.
Seul dommage collatéral : Antiochus, amoureux secret, ami et confident des amants. Ce personnage possède une beauté intérieure qui m'émeut encore aujourd'hui.

Un régal à écouter, à relire.

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Mes yeux sont embués lorsque d'un tel joyau,
Il convient à autrui d'en donner le noyau.
Pour nous autres humains, parler de ce chef-d'oeuvre,
N'est-ce point parler la langue d'une couleuvre ?
J'ai pensé bêtement qu'usant du même vers,
Je pourrais situer ces mots dans l'univers.
C'est en alexandrin que mon discours se forme,
Contre ma volonté, je me plie à sa norme.
Non pas que je prétende égaler cet auteur,
Peut-être simplement en peindre une couleur,
Qui, si pâlie soit-elle après l'originale,
Puisse vers ce sommet orienter votre étoile.

Ô Jean, pardonne-moi, si de quelques licences
Mon vers fait usage. Mais, vois-tu, notre France,
N'est plus celle de ton âge. On la dirait rance.
Je ne saurais comment qualifier ce pays,
Qui, malgré son bonheur d'enfanter ton génie,
T'a remis au placard pour conter autre chose.
Et c'est à ce moment que j'évoque ma cause :
Je fus bien ignorant pendant plus de vingt ans,
Je marchais dans la vie sans trop savoir comment.
Puis un soir de juillet parvint à mon oreille,
La plus douce musique, une pure merveille :
Les mots de Bérénice face à son amour,
Lorsque de son départ il explique le cours.
Dans sa blanche pureté, l'émotion divine,
S'exprime de l'Olympe : la langue de Racine.
« Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? ».
Bérénice est noyée dans un chagrin terrible,
Tel sera le loyer de ma vie et ma Bible.
L'existence obscurcie que je n'habitais plus,
Trouvait en Bérénice planche de salut.
Je découvris le goût des larmes d'une reine :
Perle sur ma langue, le chant d'une sirène.
Et comme contrepoint au devoir de Titus,
Le véritable amour qu'éprouve Antiochus.
L'histoire est un gâchis, comme une vie humaine,
Mais sa musique en est la raison, le domaine.
Pour nous comme pour eux, tout cela est bien vain,
Et n'est justifié que par ces mots divins.
Rien ne sert de courir : il faut ouïr Racine,
Poussière de la vie adoucie par la bruine.

Cela existe ? Des mots peuvent faire ça ?
Repalpiter un coeur qui de battre cessa ?
Colorer la noirceur, faire exploser l'atome,
Qui contenait en lui le plus doux des arômes ?
Car si de simples mots agencés çà et là,
Produisent plus d'effet même que Falbala,
Je retrouve ici-bas une raison de vivre,
Par cette mélodie qui doucement m'enivre.
De moi ces mots reçus par l'organe auditif,
Ils ne sortiront plus, je les garde captifs.
Vingt années, vingt années, de bagne en cette terre,
A trimbaler ma croix, de Paris à Cythère,
Pour qu'en quelques instants se trouve purifiée,
Ma damnation terrestre, et ma vie justifiée.
Souvent, quand je suis triste, et repense aux dégâts,
Que j'ai subis, causés, en tant que renégat,
Comme un précieux calmant, ces doux vers me reviennent.
Et voilà qu'à nouveau le sang remplit mes veines.
J'étais ce jardinier qui, quarante ans durant,
Plantant ses cerisiers, espérant, espérant,
Sans voir le moindre signe ni la moindre pousse,
Dirait : « Il faut partir : ici-bas rien ne pousse. »
Et qui finalement se voit récompensé,
De milliers de fruits par le ciel élancés.
Dans ces fruits célestes pas la moindre vermine,
S'y trouvait la pureté : le vers de Racine.
De même ai-je obtenu la rançon de mes jours,
Sans comprendre pourquoi, ni d'où ni par quel tour.
D'un coup, sans m'y attendre, je me disais : « Renonce » ;
Et tout s'illumina : j'ai trouvé la réponse.

France ! Je t'apostrophe et demande pourquoi,
Deux décennies subies sous tes austères lois,
M'ont été imposées sans que l'on ne m'enseigne,
Le moyen de soigner un coeur français qui saigne.
Que ne m'astreignais-tu, quand j'étais écolier,
De ce vers racinien faire un précieux allié ?
Et trouver en ces mots le calmant nécessaire
Au supplice ingrat : l'établissement scolaire.
France ! Tu exiges de chacun d'entre nous,
D'être un bon citoyen, informé avant tout,
Jusqu'à nous demander, à l'occasion du vote,
D'être aussi éclairés qu'Hugo et Aristote.
D'avoir sur notre dos ton passé glorieux,
Et dans notre cerveau l'esprit de nos aïeux.
Tu es un beau pays, douce patrie, ma France,
Mais c'est tout à dessein que ma rime est : souffrance.
Les temps sont difficiles, et l'on est à deux pas,
Que les Français se disent : je préfère ne pas.
Peut-être ce malheur est-il inévitable,
Mais serait moins amer si dans notre cartable
National nous trouvions : Bérénice et Titus.
Comme le voudraient nos coutumes et nos us.
D'un côté la douceur, les doux mots d'une femme,
De l'autre la douleur, la dure loi infâme.
Si bien que le français oscille entre deux pôles :
D'un côté la pensée, de l'autre les épaules.
Les beaux vers de Racine pour nous apaiser,
D'avoir sur nous un monde trop lourd à porter.
Nous devenons Titus lorsque tu nous exhortes
A supporter sans mot tes exigences fortes.
Laisse-nous Bérénice afin que nous puissions,
Soulager dans nos coeurs cette âpre condition.
Tu enfantas les deux et serais boitillante,
En ne nous montrant pas cette ardeur éclatante :
Remèdes et poison sont produits à la fois,
C'est là ton histoire, France en qui j'ai la foi.
Mais si je crois en toi, c'est car je crois savoir,
Qu'en tout français repose un indicible espoir :
« Je voulais qu'à mes voeux rien ne fût invincible,
Je n'examinais rien, j'espérais l'impossible. »,
De sa noble mémoire, ces grands vers disparurent,
Et pourtant dans son âme, résonnent toujours purs.
« Impossible » ce mot se trouve dans Racine,
Mais historiquement n'est pas dans nos racines.
D'une même médaille, l'avers et le revers :
Confinement mondial, de Racine les vers.
Ce qu'on doit supporter est l'affre d'une époque,
« le progrès est En Marche », balafre qu'on invoque.
Nous avons créé de sombres technologies,
Mais par le même effet ; du repos, le logis :
Il se trouve en ces vers, nos poëtes sublimes,
Ne plus les enseigner, voilà quel est le crime.
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