L'américain Brent Renaud, Pierre Zakrzewski et la fixeuse qui l'accompagnait Oleksandra Kuvshynova, le journaliste ukrainien Evgueni Sakoun et son confrère Viktor Doudar. En à peine une quinzaine de jours, cinq journalistes ont déjà payé de leur vie la couverture médiatique de l'invasion par les soldats russes de l'Ukraine. Au XXIème siècle, ces hommes et ces femmes de l'ombre qui parcourent le monde pour ramener des images et des informations capitales pour l'établissement de la vérité dans les folies de notre siècle sont devenus, dans les zones de combat, des cibles de premier plan. Or, au mépris du danger, ces derniers véritables héros des temps modernes n'ont pour mission que de rapporter des images d'informations les plus justes possibles, « de rendre compte en toute indépendance de la marche et de l'histoire du monde ». le livre d'
Emmanuel Ravazi, lui-même grand reporter de guerre devenu directeur de rédaction du magazine Fildmedia, se veut ici témoigner de ce métier, vécu comme un véritable sacerdoce par la majorité de ses représentants. C'est donc tout naturellement qu'
Emmanuel Razavi va donner la parole à tous ces grands journalistes reporters qu'il a croisés en Afghanistan ou au Liban, ceux qui l'ont épaulé dans le métier, ceux qu'il a admiré, ceux qu'il a perdu au passage d'un check-point ou dans une explosion. Il accorde ainsi une large place
à leurs témoignages mais aussi beaucoup à leurs réflexions sur cette profession en pleine mutation. Car la façon américaine de faire de l'information (chaines en continu avec des informations en boucle, remplissage médiatique, course à l'audimat) a influencé plus que de raison le journalisme en Europe. Ainsi l'analyse
Renaud Bernard, grand reporter et rédacteur en chef à France Télévisions : « J'ai alors pris conscience que nous allions passer du rôle de reporters porteurs de récits et de sens à celui d'éléments d'une politique de marketing ». Pourtant, malgré tout, nombreux sont ceux qui ne trahissent pas leur engagement et portent noblement et avec panache les couleurs de leur profession, avec honneur et passion, avec bravoure et détermination. Car « l'image est la preuve irréfutable que quelque chose s'est passé. Une image d'un événement, quelle que soit son importance, est une trace pour l'histoire. » Preuve s'il en est, la situation en Ukraine et les enjeux lourds de conséquences de l'information ou de la désinformation. Un récit documentaire certes sur l'exercice difficile et douloureux de cette profession mais aussi une réflexion profonde sur les mutations des pratiques informationnelles des citoyens qui consomment l'information gratuitement sans penser aux conséquences lourdes de sens de cette pratique : la mort d'une information de qualité, dûment vérifiée, des reportages de fonds aux coûts plus élevés, la disparition peu à peu d'images « issues du terrain filmées, traitées et dé cryptées par des professionnels nuisant à la compréhension d'une situation et à la contextualisation des faits ». Certes, un citoyen peut filmer l'impact d'un missile sur l'immeuble voisin mais c'est le reporter qui seul peut interroger le terrain, mettre en relation les faits vérifiés et raconter l'événement au plus près de la vérité.
« de ce que j'en connais, les
grands reporters d'aujourd'hui sont, à l'image d'
Albert Londres, des femmes et des hommes libres, qui exercent leur métier par passion et par curiosité, sans parti pris, excepté celui de la vérité, avec la conviction chevillée au corps que celle-ci va permettre d'éclairer les citoyens ».
Je referme ce livre, consciente plus que jamais de la nécessité de ne pas s'en tenir à ces chaînes d'infos qui nous gavent comme des oies et de notre nécessaire devoir de citoyen de soutenir par nos lectures une presse libre, indépendante et de qualité. Pour que tous ceux et celles tombés dans l'exercice de leur profession, ne l'aient pas été pour rien, dans une indifférence générale.