Ces Années de Gaulle vont de sa prise du pouvoir – démocratique, n'en déplaise à certains de ses détracteurs dans le présent ouvrage ! –, en 1958, jusqu'à sa mort en 1970. Années racontées à travers le prisme d'articles, d'entretiens et de reportages parus dans l'Express, alors jeune hebdomadaire, sous la plume de journalistes, d'intellectuels et de personnalités politiques de l'époque.
Ce qui frappe d'emblée, ce sont les discours alarmistes des
Sartre et autres Mendès-France qui, au retour de
De Gaulle en 1958, et à l'annonce de la création d'une nouvelle constitution – la nôtre encore aujourd'hui –, crient à la dictature, faisant même un parallèle avec le coup d'Etat du prince-président, Louis-Napoléon
Bonaparte, le 2 décembre 1851. Comme pour inscrire le nom de
De Gaulle dans la mauvaise colonne de l'Histoire !
Sartre s'excite : « un grand homme honoraire, c'est dangereux pour une nation. » On aime tant détester ce que l'on n'est pas et ce que l'on rêve d'être !
Sartre encore, dont les outrances feraient rire si elles n'avaient pas durablement contaminé les consciences, affirme sentencieusement : « le régime gaulliste sentira jusqu'à sa fin et dans toutes ses manifestations l'arbitraire et la violence dont il est issu. » En manière de réponse,
De Gaulle aurait pu envoyer l'armée à Paris en 1968 ; il ne l'a pas fait. Drôle de dictateur qui, par ailleurs, face au désaveu des urnes, en 1969, quitte le pouvoir sans se retourner.
Mendès, prêchant pour sa chapelle, voit poindre, avec cette Ve République, une monarchie présidentielle et en appelle dès 1961 à une transition qui : « ne peut déboucher que sur une politique de progrès, une politique de gauche. » Politique qui sera menée par Mitterrand, bien plus tard, avec le succès que l'on sait !
Pour
Jean-François Revel, encore plus virulent,
De Gaulle sera, en 1969, un « mythe négatif » et un « idéal factice ».
Mais il y a aussi Mauriac, qui espère et craint à la fois ce renouveau politique, en 1958, tandis que la France s'embourbe en Algérie comme elle s'est embourbée en Indochine. Les temps on changé et ne sont plus ceux du colonialisme, comme le signifie
Habib Bourguiba, président de la nouvelle nation tunisienne. Mauriac toujours, qui, dans un entretien, dira plus tard de lui qu'il « a ordonné cette espèce de chaos qu'on appelle la France » ; ce qui est une prouesse !
Vient la fin du conflit algérien, en 1962. On prédisait au pays une dictature car
De Gaulle avait été porté au pouvoir par les rebelles de l'Armée française en Algérie, mais il n'en sera rien. le premier président de la Ve les fera même plier, ces généreux rebelles. L'opinion des détracteurs change-t-elle pour autant ? Non. Mendès-France critique de plus belle un « régime de pouvoir personnel ». Pourquoi pas, mais le régime parlementaire et instable de la IVe République valait-il mieux pour redonner sa place à la France dans le concert des Nations ? On peut en douter.
Il y a aussi le de Gaulle à l'international, dont le jeune
Jean-François Kahn fait un portrait honnête qui montre, rétrospectivement, à quel point il avait raison : le retrait des Américains du Sud-Viêt Nan était inévitable. Des Américains qu'il désignera comme responsables dans
l'engrenage de cette guerre et qui ne comprendront leur erreur que bien plus tard. Ce qui ne les empêchera pas d'envahir ultérieurement l'Irak, via leur président cancre en Histoire et en politique : Bush junior !
De Gaulle était, certes, un commandeur intransigeant, mais il savait le caractère versatile du peuple français et, finalement, composa avec pour le meilleur et pour le pire.
Enfin, qui, de ses successeurs, aura le courage de quitter le pouvoir lorsque les urnes lui seront défavorables ? Aucun, les cohabitations ultérieures l'attesteront.
Ces années
De Gaulle ont tout de même fait de la France ce qu'elle a cessé, scrutins après scrutins, d'être : une grande nation, regardée, enviée, copiée et respectée. Une certaine postérité préféra ne retenir que Mai 68 et ses jouisseurs sans entraves, lesquels ne voyaient que des droits là où il faut nécessairement des devoirs pour maintenir un pays debout. Autre débat, autre livre.
Cette Ve République fut donc taillée dans le roc pour un roc ; roc qui s'ébranla maintes fois sans se briser. Finalement, le rassembleur, qui croyait réunir la France par-delà les différences tant idéologiques que sociales, échoua. Il prendra acte de cet échec au référendum de 1969, quittant, dans la foulée et définitivement, le pouvoir pour aller mourir…deux ans plus tard.
De Gaulle, président autant que résistant aura jusqu'au bout, comme l'écrit
Claude Imbert, « éprouvé la fragilité des destins extrêmes ». Et quel destin que celui de cet homme, depuis la bataille de Verdun jusqu'à l'Elysée ! le monde ne s'y trompera pas à l'annonce de sa mort et lors des cérémonies qui s'ensuivront, ainsi que le relatera, dans un texte remarquable – « de Profundis » –, Jacques Duquesne.
Maintenant, si je n'aime pas L'Express et ses postures germanopratines bon teint, j'ai mis mes griefs entre parenthèses le temps de cet ouvrage coédité avec Omnibus. Car c'est là une édifiante compilation de points de vue et d'humeurs à chaud, historiquement très éclairante.
Une petite réserve : que viennent faire les « Regards rétrospectifs » de
Michel Winock et
Benjamin Stora, tous deux écrits en 2008 ? S'arrêter à l'année 1970 me semblait plus pertinent.
(Remerciements à Babelio et aux éditions Omnibus pour le présent ouvrage)