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EAN : 9782916862040
93 pages
Librairie La Nerthe (15/11/2006)
4/5   2 notes
Résumé :
Armand Robin (1912-1961), grand poète et traducteur, est l'auteur du Temps qu'il fait et de Ma vie sans moi. Inépuisable découvreur de poètes, il montrera le plus grand souci éthique quant à l'acte poétique.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Les lettres d'Armand Robin à Jean Guéhenno, écrites entre 1932 et 1940, sont très intéressantes. Elles montrent l'affection que porte l'élève au professeur, puis la gratitude teintée de réserve (une réserve qui tient aux choix politiques de Guéhenno) et enfin la distance qui s'est creusée entre les deux hommes qui rend encore plus cruelles les demandes d'aide matérielle de Robin. À tout moment, affleurent dans les lettres le courage et la résignation d'Armand Robin. Courage pour suivre sa voie dans la littérature, résignation face aux échecs à l'agrégation et son impuissance à faire connaître son oeuvre. La sensibilité du poète, sa nature d'écorché vif ne peuvent que renforcer la solitude qui l'entoure. Il se confie à Guéhenno comme à l'une des rares personnes qui puissent comprendre la difficulté d'échapper à sa condition, de se couper des siens et la douleur du rejet familial.
Les lettres à Jules Supervielle ne m'ont pas semblé aussi intéressantes, un peu artificielles dans le ton.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Fin de la lettre du 18 juillet 1935 à Guéhenno :

Je vous adresse un poème de joie, d'espoir. De celui-ci je suis cette fois assez content.

[Texte du poème inédit: Marche sans halte: voir ci-dessous]

Pardonnez-moi la tristesse qu'a dû vous apporter cette lettre. J'aimerais avoir un mot de vous, mais vous avez bien autre chose à faire.

Avec mes pensées affectueuses,

Armand Robin



Marche sans halte

Surgiront-ils les jours aussi purs que les joues
Et que les poings vengeurs du plus simple des hommes?
Autour de nous croupis les siècles sourds renouent
Leurs sandales de serfs et s'esquivent. Nous sommes
Restés seuls ce matin devant des trous d'aurore.

Nous sommes restés seuls devant des trous d'espoir
Laissant à nos habits flotter en loques sales
Nos mains et nos désirs. Tordu dans les vents noirs,
Dieu chômeur cloué nu aux murs des capitales,
Notre bel avenir râle et meurt dans l'aurore.

Pitié! Nous sommes l'infortune!
Frères courbés , frères fourbus,
Longtemps nous avons sous la lune
Remué tous un peu d'écume,
Blanche, claire et nette parure
Pour les nuits du monde futur.
Le temps passe, vif obus:
Toute écume est encore impure.

Alerte! Voyez dans l'espace
Pourrit un zéro colossal:
C'est notre terre, camarades!
Alerte! Secouons nos âmes,
Frères battus, frères tenaces,
Tassés dans l'ombre des murailles.
S'il est lassé, coupe ce doigt!
L'aurore attend notre victoire.

Camarades partons éclaboussant de joie
La tête des rosées riant à nos fusils!
Debout mains et désirs! Ame en loques, flamboie!
Nous bercerons la terre du chant de nos outils
Et de notre sueur nous laverons l'aurore.

Serrant notre univers dans nos crânes menus,
Nous avons tous marché la marche patiente.
Serrant nos volontés dans nos poings têtus
Nous voici tous vainqueurs. Le temps, éveillé, chante.
Les pas des travailleurs ont rajeuni l'aurore.

Juin 1935
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Suite de la lettre du 18 juillet 1935 à Guéhenno :

J'ai autre chose à vous écrire aussi et qui, cette fois-ci, nous concerne tous les deux. Vous m'avez proposé une collaboration à "Europe", et je connais trop la lucidité et l'indépendance de votre jugement à propos de ceux-là mêmes que vous aimez le plus pour que je puisse, en acceptant cette offre, me sentir gêné d'avoir été autrefois votre élève. Mais il y a autre chose, plus grave; je vous prie de croire que ces scrupules me paraissent de très réels obstacles.

Voici. L'on ne perd jamais une foi sans perdre en même temps beaucoup de convictions. Je me rends compte maintenant assez bien que je suis un peu étranger à l'esprit et aux tendances d'Europe:

1) Je ne sais pas me poser, comme vous le faites, la question de la culture et du peuple et encore moins évidemment, depuis mon retour de Russie, celle de la culture et de la Révolution. J'ai toutes les raisons du monde de souhaiter qu'un ouvrier, son travail fini, qu'un fils de paysan, pendant les "pauses", ouvre un Montaigne graisseux et boueux et que le texte entre en eux comme du soleil dans la première semaine d'avril. Mais ce sont là des exceptions si infimes en nombre que l'on peut à peu près les négliger et vraiment je ne puis pas bâtir ma vie intérieure autour d'une histoire exceptionnelle qui fut pourtant la mienne. Il me semble aussi de plus en plus (cette phrase m'est très pénible à écrire, mais devant vous il ne faut pas que je sois lâche, que je craigne ma propre pensée) que le peuple en gros mérite son destin et que s'il n'accède pas à la culture, c'est qu'il n'en est pas digne, c'est qu'il préfère la danse, ou le vin.

2) Depuis que j'ai perdu foi en la Russie, je ne sais plus croire à la valeur sociale (et encore moins politique) des idées; aucun concept politique ne m'émeut plus; toute cette politique dont j'ai pu me remplir tout l'esprit et toute l'âme est morte en moi: ces idées autrefois vivantes en moi et autour de moi, triomphantes, vaincues, joyeuses, tristes, dansantes, chantantes, les voici sous mes yeux un peu comme les notes sur le papier à musique lorsque le piano est refermé. Désormais je ne puis considérer que comme une immense vanité tout souci du social. Peut-être un jour les événements nous permettront-ils d'introduire dans le monde social un peu de nos volontés: jusque-là que le Ministre de l'Intérieur s'en charge! (Cher Guéhenno, ces paroles vous font et me font du mal mais je voudrais ne pas mentir!).

Je ne crois plus qu'à l'art (le Beau, pas le Vrai, hélas!) d'une part et qu'à des faits précis d'autre part.

Je ne puis pas dire: les idées triomphent malgré les frontières, les polices etc... Je me dis: "Quel nombre exact d'idées et de sentiments précieux un gendarme ou un agent du Guépéou suffisent-ils à mettre en déroute?" Et je trouve qu'ils réussissent dans leur but mieux que nous dans le nôtre.

Je vous écris tout ceci, non pas pour vous parler de moi (j'importe peu même pour moi, puisque je suis capable de vouloir me tromper), mais pour vous mettre en garde contre moi: j'ai le sentiment que je ne dois pas écrire dans votre revue, que je n'en ai pas le droit et, si vous me le permettez, nous ne donnerons pas suite aux propositions que vous m'avez faites; j'ai le sentiment aussi que je ne suis pas des vôtres: je ne crois à rien de ce à quoi vous croyez tous, de ce à quoi je juge qu'il est essentiel de croire.

Cher Guéhenno, non, il serait mal de ma part de collaborer à votre revue.

Je serais désolé que vous me fassiez un mérite de renoncer ainsi aux avantages que vous m'offrez: il n'y a aucun mérite à n'être pas arriviste. Je vous demande aussi de ne parler de tout ceci à rigoureusement personne; quant à mes sentiments sur la Russie, je voudrais aussi que vous les gardiez pour vous: j'ai assez souffert de cette désillusion pour avoir le droit désormais de la considérer comme un événement purement intime.

Je vous adresse un poème de joie, d'espoir. De celui-ci je suis cette fois assez content.
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Mercredi 18 juillet [1935]

Bien cher Guéhenno,

La chance n'a pas voulu que ces derniers temps nous puissions nous parler d'homme à homme. Il me faut donc vous écrire et ce n'est pas facile: je ne sais où vous trouver; je ne saurai pas comment vos yeux et vos mains accueilleront mes paroles; me voici seul: de ce côté de ces pages, de la souffrance pour moi. De l'autre côté, de la souffrance pour vous.

Il y a deux ans je suis allé à Moscou ; sans doute n'avais-je guère à me déplacer beaucoup, pour me trouver là-bas, car depuis longtemps je ne voyais pas d'autre lieu possible pour la conscience des hommes. J'y suis allé; j'ai mis bien longtemps à en revenir. Cher Guéhenno, j'ai pu me mentir; j'ai voulu me persuader que j'avais mal vu, mal entendu; pour me permettre d'espérer encore, je me suis, en bon intellectuel, inventé des prétextes : "Comment aurais-tu le droit de juger une aussi grosse portion de l'histoire de l'humanité?" - Ecoutez, je dois avoir l'esprit malhonnête, vraiment; j'aurais dû m'avouer mes impressions vraies: "Ce que tu as vu, c'est la famine, ce sont des paysans qui depuis 18 mois n'ont jamais mangé ni viande, ni pain; - ce que tu as vu, c'est un peuple à bout de souffle, un peuple mort ; souviens-toi de ces visages d'affamés, de ces regards éteints; - ce que tu as vu, ce sont des hommes qui à force de souffrir bêtement ont perdu jusqu'au sentiment de la souffrance, le plus précieux de tous. - Ce que tu as vu ce sont des consciences traquées, des âmes sans espoir, épouvantées des horreurs qu'elles ont traversées; - ce que tu as vu, c'est une jeunesse abrutie, persuadée que les Soviets ont inventé l'électricité et de bien autres choses. - Ce que tu as entendu, c'est: presque le tiers de la population mort de faim en Ukraine dans l'hiver 1931-1932; des villages cernés et bombardés; la famine sur les bords de la Volga, le brigandage dans la région de Kazan; l'épidémie de typhus, crainte partout et faisant d'innombrables victimes, mais tue par ordre du gouvernement; les paysans morts dans les rues de Kiev et de Moscou qu'ils avaient envahis, etc... - Ce que tu as aperçu ce fut un cauchemar, ce fut un monde dans lequel tout sens de la dignité humaine est mort, traqué".

J'eusse été excusable de me taire devant les autres; je me tairai toujours, car je n'ai aucune envie de faire plaisir à Deterding; mais que j'aie pu chercher à croire de nouveau, que j'aie réussi tant bien que mal à trouver des biais grâce auxuels il me devenait possible de m'aider à vivre en me référant au régime qui a introduit sur terre le plus de malheur et le plus de barbarie, qu'il m'ait fallu attendre l'effarante déclaration de Staline et le témoignage concordant de gens que j'estime personnellement et dont en outre j'apprécie l'esprit d'observation, tout cela est vraiment mauvais signe: dites, Guéhenno, n'ai-je pas agi bien mal ?
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Mercredi 18 juillet [1935]
Bien cher Guéhenno,
La chance n'a pas voulu que ces derniers temps nous puissions nous parler d'homme à homme. Il me faut donc vous écrire et ce n'est pas facile: je ne sais où vous trouver; je ne saurai pas comment vos yeux et vos mains accueilleront mes paroles; me voici seul: de ce côté de ces pages, de la souffrance pour moi. De l'autre côté, de la souffrance pour vous. (...)
Il y a deux ans je suis allé à Moscou ; sans doute n'avais-je guère à me déplacer beaucoup, pour me trouver là-bas, car depuis longtemps je ne voyais pas d'autre lieu possible pour la conscience des hommes. J'y suis allé; j'ai mis bien longtemps à en revenir. Cher Guéhenno, j'ai pu me mentir; j'ai voulu me persuader que j'avais mal vu, mal entendu; pour me permettre d'espérer encore, je me suis, en bon intellectuel, inventé des prétextes : "Ce que tu as aperçu ce fut un cauchemar, ce fut un monde dans lequel tout sens de la dignité humaine est mort, traqué."
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Ce que tu as vu, c'est la famine, ce sont des paysans qui depuis 18 mois n'ont jamais mangé ni viande, ni pain ; ce que tu as vu c'est un peuple à bout de souffle, un peuple mort ; souviens-toi de ces visages d'affamés, de ces regards éteints ; ce que tu as vu, ce sont des hommes qui à force de souffrir bêtement ont perdu jusqu'au sentiment de la souffrance, le plus précieux de tous.
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Armand ROBIN – L’anarchiste de la grâce (France Culture, 1989) Une compilation de cinq émissiosn de radio des « Chemins de la conaissance », par Roger Dadoun, diffusée du lundi 2 octobre au vendredi 6 octobre 1989 sur France Culture. Invités : Gérard Meudal, Antoine Berman, Mireille Guillet, Alain Bourdon et Georges Monti. L’émission « Surpris par la nuit », par Frédéric Acquaviva, diffusée le 22 mars 2007 sur France Culture.
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