Le coeur en paix, serrant le pistolet dans la poche de mon imperméable, je claquais derrière moi la porte de mon petit appartement du XXè arrondissement et traversai la place des fêtes.
Je commençais à descendre la rue de Crimée. Mon intention était de gagner tranquillement le canal afin de m'y faire sauter la cervelle, si les abords étaient déserts et si rien ne pouvait empêcher mon corps de tomber dans l'eau et de s'y perdre.
Le temps était un peu frais et un vent léger faisait tourbillonner les feuilles mortes de cette fin d'automne.
Le ciel, tout à l'heure d'un blanc neigeux s'assombrissait. La nuit serait certainement tombée quand j'atteindrais le canal de la Marne, tout en bas.
Je ne pouvais m'empêcher de rire en pensant à ma dernière pirouette : J'avais branché mon répondeur téléphonique avec un nouveau message qui commençait par ces mots :
"Bonjour, la voix que vous entendez est celle d'un mort. En effet, si je ne suis pas au téléphone pour vous répondre, c'est que je suis sorti pour me tirer une balle dans la tête..."
Je pouffais de rire en marchant, et les rares personnes qui me croisaient se retournaient sur moi. Un homme qui descend la rue de Crimée, les mains dans les poches de son imperméable en riant tout seul, à la tombée de la nuit a quelque chose d'insolite et d'incongru...
Un peu d'humour, surtout noir; surtout de mauvais goût, rendait ma fuite définitive (fuite devant la vie, lâcheté devant l'existence, dit-on, alors qu'il s'agit d'un acte, s'il est délibéré et effectué sans aucune pression telle que pauvreté, deuil d'un être aimé, etc, de liberté absolue).
Interview de Jean Rollin et Ovidie par Stéphane du Mesnildot (librairie Hors-Circuits, 20 janvier 2009) à l'occasion de la sortie du film La Nuit des horloges et du livre MoteurCoupez !, Mémoires d'un cinéaste singulier.
© Éditions Édite, 2009