La ravissante
Petronille Rostagnat, que j'ai eu la chance de croiser à PolarLens le mois dernier, a presque toujours eu des titres très accrocheurs pour ses romans :
On a tous une bonne raison de tuer,
Un jour tu paieras,
Je pensais t'épargner.
Le petit dernier, son premier one shot ( sans la commandante Alexandra Laroche ou l'avocate Pauline Carrel ) ne fait pas exception à la règle :
J'aurais aimé te tuer.
Je peux déjà imaginer l'intitulé des futurs ouvrages : Je vais maculer mon visage avec ton sang, le premier de nous deux qui mourra, Tu finiras pendu avec tes propres entrailles sous la pleine lune.
Et si en réalité l'auteure s'adressait à chacun de ses lecteurs par le biais de ces courtes phrases exprimant la colère ou la haine ? Et si en allant la voir j'avais pris un risque inconsidéré et affronté une sociopathe ?
L'habit ne fait pas toujours le moine, et ça n'est pas l'apparente fragilité de Laura Turrel qui me contredira.
"Laura n'était pas la petite chose fragile qu'elle laissait paraître."
"Il sentait que Laura lui cachait de lourds secrets et portait des blessures profondes."
Principal personnage du roman, Laura Turrel va se rendre à la police judiciaire de Versailles pour y avouer un meurtre commis en état de légitime défense sur la personne de Bruno Delauney. Client de la Pipelote où elle est serveuse, elle s'entendait bien avec cet habitué des lieux chez qui elle a fait du ménage pour arrondir ses fins de mois. Jusqu'au jour où la situation a dégénéré et où des attouchements ont eu lieu. Pour l'empêcher d'aller plus loin elle l'a frappé avec le fer à repasser qu'elle tenait à la main. Plusieurs fois. A mort.
Elle a fait disparaître toutes les traces de son crime en brûlant le corps et en jetant les cendres dans l'étang de Saclay. 68 hectares. Qui, pour la petite Histoire, a alimenté en eau les fontaines des jardins du château de Versailles jusqu'en 1950.
Le meurtre a eu lieu il y a six semaines, durant lesquelles elle a fait croire que sa victime était toujours en vie, en déplacement, en activant sa carte bleue ou son téléphone portable. Et elle prétend avoir des regrets même si de toute évidence ça n'est pas le cas.
Le commandant Damien Deguire doit maintenant démêler le vrai du faux, d'autant que la jeune Laura invoque désormais son droit au silence à chaque question supplémentaire qui lui est posée.
"Avait-il affaire à une victime éplorée ou à une psychopathe ?"
"Etait-elle naïve ou manipulatrice ?"
Pour attirer l'attention du lecteur, on peut lire la mention "Meurtrière ou victime ?" sur la couverture. Tels qu'elle relate les évènements, elle est les deux à la fois. Victime d'une tentative de viol, pour se défendre elle a du tuer son agresseur. Mais la façon de se débarrasser du corps, devenu introuvable, laisse aussi penser à une froide exécution. Mais pourquoi venir se dénoncer si elle a commis le crime parfait ? le commandant Deguire et ses hommes n'auront pas d'autre choix que d'enquêter, menant des investigations chez la victime présumée ou chez Laura Turrel, et ils se rendront très vite compte que la jeune femme leur a parfois dit la vérité mais que son récit comporte trop d'incohérences pour être pris pour argent comptant.
Et on entre alors de plein pied dans ce thriller policier aux perspectives sans cesse renouvelées, au mystère qui s'étoffe, tout en laissant la part belle à la psychologie. Dans quel but Laura irait-elle en prison ? Que cherche-t-elle ? Que fuit-elle ? Qui protège-t-elle ? Et pourquoi ce soudain froid silence ?
Comment mettre bout à bout les éléments de l'enquête afin de leur donner un sens ?
De quoi s'arracher quelques cheveux, promis. On pense avoir assemblé les pièces du puzzle quand
Petronille Rostagnat nous en ajoute d'autres qui n'entrent nulle part.
Qui plus est le roman se veut très réaliste et si pour les besoins de l'intrigue il y a quelques facilités ( je pense à l'intervention providentielle de l'adjudant retraité
Lucien Boyer pour ceux qui ont déjà lu le roman ), la grande majorité du temps l'auteure évite les grosses ficelles et nous permet d'être sur le terrain de façon concrète avec l'équipe de policiers en charge de l'enquête, dépendants du bon vouloir du juge pour obtenir des mandats et d'autres autorisations. On sent que le sujet est maîtrisé, tout comme l'écriture, très rythmée.
Ca va d'ailleurs peut-être un peu trop vite pour qu'on ait réellement le temps de s'intéresser aux personnages. A l'exception de Damien Deguire, jeune père partagé entre sa famille et son obsession pour résoudre cette enquête, les autres flics, sans être dénués d'importance dans le récit, se limitent à "séducteur", "beau gosse", "maître des procédures". Et comme on ignore sur quel pied danser avec Laura Turrel, l'empathie ne peut pas être totale.
En résumé un roman qui sans révolutionner le genre parvient à tenir en haleine son lecteur de la première à la dernière page, respectueux des procédures juridiques et policières, proposant une histoire aux multiples facettes. Moi qui préfère en général les romans un peu plus noirs aux romans plus policiers, je reste néanmoins curieux désormais de lire les premiers romans de cette auteure talentueuse.