Automne à Berlin

Il semble tellement naturel que ce soit Patrick Modiano qui préface cet ouvrage de scènes de vie dans des bistrots, bastringues, gares et autres lieux qui regroupent les « vrais gens » qui peuplent les villes d'Europe qui émaillent l'errance de Joseph Roth entre les deux guerres. Page 94, « Une heure comme libraire ambulant ».
Ce recueil de chroniques parues dans des journaux germanophones, je le perçois plus des comme des instantanés à la Doisneau que des articles. En les lisant j'ai eu l'impression d'être présente chez le tailleur du rez-de-chaussée de Bellermannstrasse à Berlin, (page 65) dont l'auteur rend compte de l'étendue de la misère en nous parlant de LA CHAISE qui trône dans sa pièce. La manière qu'à Joseph Roth de faire exister ces personnes aperçues, vues, observées durant ses stations dans différents débits de boissons, est saisissante. Cela tient à l'angle de vue choisi pour nous décrire l'objet de ses observations et réflexions. Et toujours avec poésie, même quand il s'agit d'horlogerie de précision comme dans la chronique de la page 154, Glashütte
Elles sont quelquefois bien sombres ces chroniques comme dans « voyageurs avec colis encombrants » ou « La croix gammée à Rûgen » page 139, mais toutes sont originales par leur approche et belles par leur écriture.

Joseph Roth naît en 1894 dans l'Empire Austro-hongrois.
Il est issu des communautés juives d'Europe dans un siècle où l'antisémitisme monte en puissance.
Ayant grandi sous le règne de l'Empereur François Ferdinand, et ayant connu toute sa vie la culture allemande, il migrera vers Berlin après 1918, la Galicie devenant un territoire partagé entre l'Ukraine et la Pologne.

Il se lance en Allemagne dans le journalisme et réalise de nombreuses chroniques sous divers pseudonymes.

Cet ouvrage recense diverses chroniques qu'il a écrit durant ses voyages. La plupart entre 1920 et 1937.

Car c'est le voyage qui a représenté une grande partie de la vie de Joseph Roth.
Des chroniques bien menées, presque romanesques, que le titre Automne à Berlin sublime.

Car on y voit la fin d'une ère, un changement face auquel l'auteur ne trouve pas sa place.

Les frontières apparaissent là où hier plusieurs communautés vivaient en parfaite harmonie.
La production de masse asservit les hommes qui perdent leur liberté face au travail, afin de pouvoir espérer échapper à la misère.
Les villes aussi se transforment, peu à peu le beau laisse place à l'utile, au pratique, qui casse l'harmonie d'autrefois.
Le rayonnement culturel s'efface, tout se perd peu à peu.

Il en ressort aussi cette impression d'être partout étranger, de ne pas avoir de place définie, un ressenti assez perturbant dans ces chroniques.

On y voit des articles plus optimistes, la plupart du temps dans des hôtels, ou lieux de passages, où les cultures se croisent, les frontières semblent s'effacer le temps d'un instant, donnant une sensation de liberté à l'auteur, ou du moins un semblant de nostalgie.

Fin d'une époque donc, et début d'une autre, qui monte de manière insidieuse, celle du IIIème Reich.
Après l'arrivée d'Hitler au pouvoir, Roth deviendra un ennemi de l'État, ses écrits interdits, ses livres brûlés, ce qui détruira l'auteur.
Perdant son identité et son oeuvre en plus de sa patrie il connaîtra l'exil jusqu'à sa mort en 1939 en France, où il est enterré.