L'idée du livre, c'est lors d'une escapade entre amis à l'assaut d'un « doigt de granit » dans le massif du Mont-
Blanc qu'elle a germée dans l'esprit de
Jean-Christophe Rufin, apprend-on dès le premier chapitre (du roman, s'entend). Parmi les présents à cette occasion en plus de l'auteur,
Sylvain Tesson, Cathy l'arrière-petite-fille du conquérant de l'aiguille qu'ils s'apprêtent à escalader, et Daniel le guide chevronné, « ancien champion du monde d'escalade et grimpeur hors pair ». Une discussion sur la littérature de
montagne avec
Frison-Roche en tête de cordée, et voilà notre auteur-personnage confronté à un Daniel versé en destins de guides d'exception, à qui il opposera sa vision du bon roman de
montagne, justement en dehors des chemins trop balisés d'exploits insensés : « D'aucuns pouvaient écrire sur ces faits des récits admirables, il leur manquerait toujours quelque chose d'essentiel pour constituer à mes yeux des sujets de roman. Ce supplément d'âme qui transforme un sujet en intrigue, une personne en personnage, c'est ce que l'on appelle une histoire. Il y faut un début, une fin et surtout, au-delà des faits, des sentiments. »
Ironie du sort, c'est ce même Daniel qui lui fournira une histoire sans le vouloir. Il connaît un guide, peu distingué en exploits d'alpiniste, plus connu pour ses conquêtes amoureuses. Il a vécu une histoire intéressante, selon la vision de Jean-Christophe. On s'attend dès lors à l'histoire du récit d'un passeur d'histoire locale, Daniel en conteur au coin de la cheminée retranscrit par Jean-Christophe le romancier. On aura droit au romancier tout court. Exit Daniel (tout autant que l'auteur en tant que personnage), la main est prise dès le deuxième chapitre par un narrateur omniscient, en guide de cordée romanesque. Dans la plus pure tradition, le romancier pose dès lors les jalons solides de son histoire, entre actions (parfois anodines), descriptions (somptueuses pour les paysages, au vocabulaire précis et érudit), psychologie (souvent amoureuse) et rebondissements (dosés de bout en bout), dans le rythme sûr et patient du randonneur, avec sur ses pas le lecteur qui n'aura aucun mal à lui déléguer sa confiance et le suivre.
Il faut dire aussi que l'histoire d'amour en question ne laisse pas insensible, les personnes en présence devenant bien personnages. Tout semble opposer Rémy, montagnard hédoniste au « métier de gigolo des neiges », à Laure, la parisienne affairiste nimbée de mystère aux yeux de son guide lorsqu'elle repart pour la capitale. Marqué du sceau de l'attraction dès leur rencontre, leur couple se teintera aussi d'intrigue et de répulsion, avec les mouvements de perte de soi et de fusion inhérentes à la passion. Une histoire se dessinant autant à deux avec Laure en villégiature alpestre que lors de ses absences, Rémy se révélant plus tout à fait le même sans elle dans son pays natal. le guide local bien enraciné ira ainsi jusqu'à envisager une vie parisienne, devenue attrayante à ses yeux éblouis.
Reconnu pour ses romans d'aventure, l'auteur de «
Rouge Brésil » dévoile ici une autre de ses facettes dans un roman de littérature de
montagne soulignant sa connaissance aiguë du milieu, à la résonance plutôt classique voire académique si l'on considère l'histoire et sa construction, original si l'on s'attendait à un contenu épique d'exploits en altitude. Mais «
Les flammes de pierre » se révèle dans tous les cas efficace, et prenant.
« Il n'avait pas grand monde pour partager ses états d'âme. En
montagne, à cette saison, chacun se cache plus ou moins chez lui, vaque dans son chalet ou son appartement. Personne ne pose trop de questions aux autres. Ce repli sur soi fait partie de la vie, revient chaque année après l'hystérie de l'été et avant que l'hiver ne rallume une lumière éclatante qui nettoie l'âme. »