Dans une belle villa au bord de la mer, Madame se meurt. Transportée, selon ses voeux, à l'hôpital de la capitale, elle manifeste le désir de voir Sarah Vasseur, qui y travaille comme gynécologue. Madame envoie Élise, sa fidèle domestique pour convaincre le médecin.
Mais Sarah ne veut pas entendre parler de cette rencontre. Cette femme, c'est Lucie Beaumont, qui fut une artiste adulée. C'est aussi sa mère. Et Sarah ne lui a pas pardonné sa froideur et l'enfance malheureuse qu'elle a vécue.
A priori, ce roman ne m'attire pas. La science fiction, ce n'est pas ma tasse de thé. Mais on me le prête en me le recommandant. Je pense donc en lire quelques pages avant d'abandonner. C'est dire si je suis loin d'être enthousiaste. Et pourtant, je vais me laisser embarquer.
Me voilà catapultée quelque part dans un futur indéterminé dont tout fait penser que, malheureusement, il n'est pas si éloigné de notre présent.
D'entrée de jeu, on est plongé dans l'horreur et la violence. Les forces de l'ordre font irruption dans une pièce dont « la porte vole en éclats sous l'assaut du bélier ». Pourtant, le lieu paraissait tranquille : « l'instant d'avant régnaient le silence et la paix (…) Il y a une seconde, cet ancien immeuble industriel, aujourd'hui à l'abandon, était encore engourdi de sommeil. » Ça ne veut rien dire. Sous l'apparente quiétude de l'endroit se cachent peut-être de dangereux terroristes ? Il s'agit d'une « quinzaine d'adultes et une vingtaine d'enfants, dont le plus âgé ne doit pas dépasser les douze ans. » Hommes et femmes sont traités sans ménagement. Les petits, eux, sont épargnés, « si l'on considère qu'arracher un bébé des bras de sa mère ne constitue pas un acte de violence. » Les assaillants débusquent une femme. « Un des policiers a retourné son arme et la frappe de sa crosse sur le tête. Son front cogne le mur (…) un craquement sec accompagne la douleur. »
Mais dans quel monde suis-je donc projetée ? On se croirait au moment de la déportation. Mais ici, pas d'officiers de la Gestapo. C'est une société harmonieuse, évoluée, les voitures y roulent automatiquement, pas besoin de conduire, tout est organisé en faveur de l'humanité. Pour éviter la surpopulation, l'étouffement de la planète, la loi de l'enfant unique a été votée, pour une durée bien précise. Ceux qui refusent d'y souscrire sont des « déviants », ils ne méritent aucune considération.
Le roman d'
Eric Russon nous plonge dans un univers déshumanisé qui n'est pas sans rappeler « 1984 », où tout un chacun est fiché, surveillé, géo-localisé. Qui oserait s'opposer à une loi votée dans l'intérêt général ? Elle sera donc reconduite sans nécessité et dans l'indifférence de tous. Des enfants sont arrachés à leur classe en plein cours. Des hommes, des femmes, sont dénoncés par leur conjoint. Sommes-nous dans une dystopie ? A chaque page, pourtant, des situations font furieusement penser à notre société actuelle. A cet univers cauchemardesque s'oppose un autre lieu, comme en-dehors du temps et de ce monde robotisé. Au bord de la mer, isolée de tout, c'est la majestueuse villa Arpeggione, dont le nom est celui d'un instrument de musique, sorte de violoncelle mâtiné de guitare.
Les chapitres portent des titres énigmatiques : « J-104 jours ». On avance donc vers un mystérieux moment dont on se demande ce qu'il cache.
J'ai trouvé la fin précipitée, comme si l'auteur en avait assez et avait bâclé. Trois cent quarante-huit pages couvrent cent quatre jours, puis, on fait un bond dans le temps, pour condenser, en cinq malheureuses pages, une foule de changements très surprenants
Plusieurs épisodes m'ont paru totalement invraisemblables. Cela m'a dérangée.
Pourtant, le roman défend des idées qui me tiennent à coeur : dangers d'une société hyper-connectée, celui de jouer les moutons de Panurge, des lois promulguées, prétendument pour le bien de tous, et que, dès lors, on accepte sans se poser de questions, de la surveillance omniprésente, à laquelle on finit par ne plus prêter attention.
J'ai aussi aimé découvrir des allusions à des oeuvres que je connais bien : «
Antigone » d'
Anouilh et sa désobéissance à une loi civile inacceptable, « L'écume des jours » avec les pièces qui se transforment selon l'humeur des occupants, « Le choix de Sophie », « Luz ou le temps sauvage », avec les bébés volés sous la dictature. Un des personnages principaux est violoncelliste. Les références à la musique sont nombreuses.
Donc, finalement, malgré quelques réserves, je dirais que ce livre m'a plutôt plu.