Jean-Jacques Salgon est un homme de la terre d'Ardèche, dont la famille habite ce coin de France depuis plusieurs siècles, d'après les informations que j'ai glanées. Il était donc naturel qu'il évoquât dans son oeuvre ce sanctuaire figé à des milliers d'années de nous : la grotte Chauvet.
Parade sauvage, ce sont donc les impressions de l'auteur, à la suite d'une visite dans ladite grotte. Mais Jean-Jacques Salgon est écrivain et il faut prendre son texte comme tel, ne pas (trop !) se formaliser lorsque, dans la superposition des yeux d'animaux, il décèle la préfiguration du cubisme, péché d'anachronisme évident puisque Picasso et Braque n'ont pu avoir connaissance de l'existence d'une grotte découverte en 1994 ! Plus loin, c'est au tour des ready-made – donner à des objets usuels le statut d'oeuvres – de Duchamp d'être convoqués. Cependant, la notion d'Art, tel que défini depuis quelques siècles, a-t-elle un sens au paléolithique ? Las, il semble que l'Art, surtout contemporain, occupe beaucoup l'esprit de monsieur Salgon, au point qu'il rencontre la même émotion dans l'atelier d'un peintre – Claude Viallat, dont je laisse à chacun le soin d'apprécier le travail qui me laisse, pour ma part, aussi froid qu'un matin d'hiver ! – que dans la grotte Chauvet : « Même sentiment de richesse offerte, même déférence admirative que lorsque je me suis trouvé devant les grandes fresques de Chauvet. » Il faut dire qu'il conclura son texte en songeant à Basquiat et Haring ; ça se tient !
Puis il y a ce ton sûr qui me chatouille les nerfs : « l'écriture a peut-être déchargé la peinture de sa composante immédiatement efficace et de sa charge « magique » ou ésotérique d'avant les religions du Livre. » Les cathédrales, ces Bibles de pierre, ainsi que les peintures religieuses, servaient à édifier les populations massivement illettrées sur l'histoire sainte. L'image a toujours eu un impact immédiat et ce, jusqu'à nos jours : l'efficacité d'un crucifix dans une église n'est pas moindre pour un fervent croyant que ces peinture rupestres, dans lesquelles Jean Clottes voit par ailleurs le fruit d'une transe chamanique. Chamanisme, justement : l'auteur se paye à un moment donné une parodie de transe dont le burlesque évoque de loin en loin les Monty Python !
Il s'offre aussi des raccourcis hasardeux. Ainsi, petit poucet rêveur de corridas qui dépose çà et là ses cailloux, il justifie cette barbarie en évoquant le dégoût que ce spectacle inspira jadis à Himmler, invité à y assister par Franco. de là, l'auteur en déduit que : « bien souvent […] cet amour excessif et narcissique des animaux repose sur une détestation profonde des humains. » C'est un peu court comme argumentaire, « on pouvait dire… oh ! Dieu !... bien des choses en somme… » ! Il est tout à fait possible de détester à la fois la corrida et le nazisme, je crois ! Je ne suis pas convaincu – sans preuve formelle, il est vrai – que les hommes du paléolithique auraient trouvé un quelconque plaisir à torturer gratuitement une bête dans une arène, eux qui vénéraient la nature et se fondaient en elle. Et si « l'art tauromachique » révèle « une certaine sauvagerie primordiale », il est inepte de la lier à ces chasseurs, lesquels ne s'y frottaient pas par jeu mais nécessité.
Il y a aussi ces phrases éculées et bien-pensantes qui n'ont pas grand-chose à faire dans un texte censé évoquer la grotte Chauvet, laquelle ne devient plus qu'un prétexte à parler inlassablement de soi : « les enfants de mon village formaient à mes yeux une sorte de conglomérat étanche et hermétique, représentants d'un monde éloigné où se forgeait une identité qui ne me concernait pas. » Tout est digression ici, et pas du même tonneau que celles d'Hugo dans Les Misérables, hélas !
On pourrait me rétorquer que le citoyen Salgon, en tant qu'écrivain, a le droit de raconter ce qu'il veut, de divaguer, d'improviser. On est d'accord. Mais ce texte tangue comme un navire en pleine tempête qui aurait perdu le cap : tantôt ethno-anthropologique, tantôt philosophique, tantôt autobiographique, etc., on ne sait pas bien où il va. La grotte ressemble ainsi à une madeleine qui, à chaque fois qu'on la trempe, fait ressortir des souvenirs maladroitement reliés à elle. le sommet étant atteint lorsqu'à une cérémonie orthodoxe est superposée une cérémonie chamanique dans la grotte Chauvet. le tout « baigne dans une étrange clarté », dit le texte. J'aurais mis « brouillard » à la place de « clarté » !
Non que parler de soi constitue une faute, tant que cela sert le sujet qu'on s'est fixé. Par exemple, Jean Clottes rapporte volontiers ses impressions personnelles dans Pourquoi l'art préhistorique ?, mais elles convergent toutes vers son sujet.
Pareil pour les citations qui émaillent le récit : Dante, Rimbaud, Baudelaire, Sartre, etc. C'est bien de citer, encore faut-il que cela soit pertinent ! Car je ne saisis pas bien le lien entre l'Enfer du sieur Alighieri et Chauvet ! Comme j'ai du mal à relier le panneau des lions à…Un enterrement à Ornans, de Gustave Courbet (conservé au musée d'Orsay) !
Que dire encore du lien fait entre l'actuelle chasse et celle pratiquée par nos lointains ancêtres ? En plus d'être un loisir, l'actuelle activité de chasse répond, selon moi, plutôt à l'exercice d'un droit autrefois réservé à la noblesse et que le petit peuple entend perpétuer, comme un symbole de l'abolition des privilèges d'Ancien Régime. Etant entendu que l'on ne chasse plus de nos jours pour assurer sa subsistance.
Toutefois, loin de moi l'idée de vider le bébé avec l'eau du bain car certaines citations sonnent juste, comme celles d'un certain Youssouf Tata Cissé, qui a étudié les chasseurs malinkés et bambaras : « Les grottes que fréquentaient régulièrement les communautés étaient les lieux de culte par excellence de ces chasseurs nomades. » Il y a en effet une forte charge spirituelle (et rituelle) dans les grottes ornées.
Conclusion : je ne peux cacher ma déception, moi qui attendais mieux d'un écrivain qui a eu cette chance inouïe de pénétrer dans un lieu qu'il ne me sera sans doute jamais donné de voir. Parce que je ne suis ni vedette de cinéma, ni ministre, ni écrivain autorisé, pour pénétrer dans ce sanctuaire. Je me rappelle soudain de cette jeune guide à Rocamadour qui en savait long sur l'art pariétal mais devrait attendre longtemps avant d'entrer un jour dans la grotte Chauvet, contrairement à Catherine Deneuve. Preuve qu'il reste encore de la poussière de privilèges sur le parquet de la République !
Ce petit agacement passé, et tout en admettant que J.-J. Salgon manie très bien le verbe et peut parfois écrire de fort belles choses, force est de constater que cette Parade sauvage s'est muée souvent en une parade personnelle, n'accordant à Chauvet que la portion congrue.
Rendez-vous manqué. Il y en eut d'autres, c'est le lot de tout lecteur !
(Je remercie l'équipe de Babelio et les éditions Verdier)
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Déçue par ce livre qui m'avait pourtant bien tentée au premier abord, sur la grotte de Chauvet et ses peintures rupestres.
Mais les paragraphes s'enchaînent sans qu'on puisse y voir un enchaînement logique. Il y a ceux où l'auteur se perd en considérations scientifiques très techniques qui m'ont vite ennuyée. Puis il nous explique à plusieurs reprises ce que les peintures de la grotte de Chauvet évoquent pour lui, et là il y a tout de même des réflexions intéressantes sur l'art ! Enfin, on trouve également les récits de rencontres qu'on imagine avoir été nécessaires à la rédaction de ce livre. Mais dans ces parties plus narratives, c'est le style qui ne m'a pas convaincue.
Beaucoup de propos relèvent à mes yeux de l'anecdotique, alors que je suis sûre qu'il y aurait eu d'autres façons de révéler la poésie de ces peintures rupestres, poésie qui semble promise par le résumé, mais qui est en fait assez dure à retrouver une fois le livre ouvert.
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Entretien réalisé par Julia Cordonnier (montage : Agnès Touzeau)
Jean-Jacques Salgon, « Ma vie à Saint-Domingue », Verdier, 2011.
https://editions-verdier.fr/livre/ma-vie-a-saint-domingue/
Quatrième de couverture :
« Ma vie à Saint-Domingue » raconte une histoire, des histoires. D'abord celle de Toussaint Louverture, génial stratège et héros de la révolte des esclaves dans l'ancienne colonie française de Saint-Domingue, aujourd'hui République d'Haïti, et que Napoléon fit déporter et emprisonner au fort de Joux où il mourut de froid et de maladie le 7 avril 1802.
Celle aussi de ses enfants, Isaac et Placide, qui furent un temps les hôtes de la France (qui les accueillit comme élèves dans son Institution Nationale des Colonies) avant d'y revenir, six ans plus tard, contraints et forcés, assignés à résidence, au moment de l'arrestation de leur père.
Celle de Déguénou, le père de Toussaint, capturé en Afrique et vendu comme esclave. Celle d'Aimé-Benjamin Fleuriau parti de la Rochelle et devenu planteur à la Croix-des-Bouquets, près de Port-au-Prince.
À tous ces destins et d'autres encore se mêlent les propres souvenirs de l'auteur dans un système de réminiscences qui entrent en résonance avec l'histoire qu'il s'efforce de mettre au jour afin, nous dit-il, de se la réapproprier, comme si on l'en avait préalablement privé. Car si – dans les circonstances dramatiques qui continuent de frapper Haïti – le projecteur a été soudain braqué sur ce pays, son histoire et les liens particuliers qui l'unirent jadis à la France sont encore trop méconnus. de ce manque ressenti est donc né un petit livre qui n'est en rien celui d'un historien mais plutôt celui d'un voyageur curieux qui aurait provisoirement choisi d'explorer le temps plutôt que l'espace.
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