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sur 174 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
En ces temps vaguement bibliques, alors que les rois mages se sont déjà mis en route, parlons du dernier roman que ce grand auteur nous a livré, avant d'aller voir s'il n'avait pas mal parié, l'ami Pascal ayant fait preuve de davantage de prudence : la déférence envers un dieu —à l'heure d'éventuellement le rencontrer — n'est pas ce qu'il y a de plus cher à miser.

Comme lui, je ne vais pas m'embarrasser à mettre de majuscule au début d'un nom (pas vraiment) propre, ami imaginaire qu'une humanité toujours pas mature n'en finit plus d'invoquer, aberration que la modernité aurait dû corriger en premier, bien qu'elle en ait les moyens sans les intérêts…

La pagination Saramago, toujours surprenante, façon « Editions Cent Pages », utilise surtout ces majuscules pour marquer, dans les dialogues, les différents interlocuteurs, au lieu d'un retour à ligne.
Cette concentration du texte en bien peu d'espace n'est pas toujours évidente à suivre, et oblige le critique à en parler dans chacun de ses textes dédiés à ce canonisé au comité Nobel, comme de nous alourdir l'esprit avec la liste de ses derniers récipiendaires… (oh non…! encore…)

Au moins, on peut dire que son écriture est écologique : il concentre en moins de 200 pages une histoire qui en prendrait le triple chez une maison coutumière des textes remplis d'air ( coucou le Tripode ).

Donc notre vieux sage portugais prend quelques risques, réinterprétant à sa sauce acido-réaliste une grande part de l'Ancien Testament, ensemble de contes de qualités littéraires inégales, auxquels on préférera Grimm, Hoffmann ou Gripari pour endormir les enfants.
On ne peut que saluer une telle entreprise : enfin un auteur qui s'attaque à la littérature jeunesse sans tenter de leur faire croire que la Terre est plate.
Mais une telle démarche n'est pas là pour ravir nos chers libraires : souvenez-vous qu'il ne leur fera pas vendre beaucoup de papier… et sans s'intéresser au sexe des anges… bien qu'il y soit question de leurs épées de feu…

Quelque peu foutraque, l'organisation de son récit n'en reste pas moins très amusante, avec comme point d'orgue les différentes conversations entre Caïn et Dieu, saisissant effet miroir, où l'évidente absurdité de ces dogmes, ainsi que la notion de Bien et de Mal, éclatent sous la pression du simple bon sens.
L'auteur ne se sert pas du dangereux relativisme, mais d'un humanisme de bon aloi, passant en revue les mythes qui fondent aux trois grands ensembles religieux monothéistes, pour mieux les ridiculiser.

« Le chemin de l'erreur au début est étroit, mais il y aura invariablement quelqu'un qui sera toujours disposé à l'élargir, disons que l'erreur, pour reprendre le dicton populaire, c'est comme manger ou se gratter, le tout est de commencer. »

Anathème et blasphème sont dans un bateau : une bien belle histoire, qui ferait passer Salman Rushdie pour un militant du Femyso.
Et pour finir de s'en convaincre, faîtes un tour du côté de la jolie critique de viou1108, elle qui n'aurait pas laissé flotter l'arche de Noé
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Dieu, si tu existes et que par hasard tu te promènes sur Babelio ou sur les blogs de lectures, ne lis pas ce roman de Saramago, cet hérétique (d'après le Vatican), car tu t'en prends plein la gueule. Ou alors, si tu es beau joueur et intelligent (quod non, d'après l'auteur précité), lis-le et tu sauras alors que ton piédestal, bâti sur la crédulité (pardon, la croyance) millénaire d'un peuple d'âmes égarées dans le désert, n'est, pour certains mécréants, pas plus stable ou plus solide qu'un pouf rempli de granules de polystyrène. Car, Dieu Tout-Puissant, il en existe, des gens qui osent te contester, te contredire, te désacraliser et même te ridiculiser. A ce jeu-là, le « jeune » Saramago dont je te parlais, est plutôt doué. Il nous emmène en balade à travers l'Ancien Testament, sur les pas de Caïn. Caïn, tu te rappelles, c'est celui que tu as condamné à une errance éternelle après qu'il ait tué son frère Abel, par dépit et jalousie, parce que tu avais préféré les offrandes de ce dernier. Et tu vois, la différence ici par rapport au canon biblique habituel, c'est que l'auteur prend parti pour Caïn, qui est pourtant le premier assassin des Ecritures. Mais voilà, ce brave Caïn est en l'occurrence posé en victime d'un Dieu mesquin et pas miséricordieux pour un sou, qui a ses petits chouchous, et tant pis pour les autres. De plus, Caïn est présenté comme un homme intelligent, qui pose un regard lucide sur les agissements irrationnels d'un Dieu qu'il se permet même de contredire. On est donc loin de la créature soumise et dévouée à son maître.
A travers ses déambulations spatio-temporelles, Caïn assiste aux épisodes de Babel, Jéricho, Sodome, du Veau d'Or, et rencontre Abraham, Job, ou Moïse. A certaines occasions, il interviendra, parfois par hasard, pour atténuer ou même contrecarrer les plans de Dieu, mais le plus souvent, il ne pourra que contempler le désastre de massacres autorisés ou voulus par celui-ci. Toujours il s'interroge et se révolte contre le comportement insensé d'un Dieu rancunier et caractériel. Et quand arrivera le Déluge, Caïn décidera que « L'histoire est terminée, il n'y aura rien d'autre à raconter ».

Je n'avais jamais rien lu de Saramago, et voilà que je le découvre avec son dernier roman, publié alors qu'il avait 87 ans.
Passé l'obstacle d'une écriture qui défie la ponctuation et se joue des majuscules, on est embarqué dans une relecture iconoclaste de l'Ancien Testament dans laquelle, entre l'humour sarcastique et des scènes carrément désopilantes, sont posées des questions vertigineuses : pourquoi l'homme a-t-il créé Dieu, qui lui-même a créé l'homme à son image ? Pour justifier sa propre méchanceté, ou pour inventer un bouc émissaire pour la racheter ? Si l'homme est mauvais, est-il à l'image de Dieu ? Et si Dieu est bon, pourquoi l'homme est-il mauvais ? Et pourquoi agit-il alors parfois en son nom ? Est-ce parce que Dieu est mauvais que certains ne croient pas en lui ? Etc...
Contrairement à ce que disait Caïn à la fin du roman, je ne pense pas que « l'histoire est terminée »...
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Une histoire bien connue mais remaniée à la sauce Saramago.

L'auteur raconte l'histoire biblique de façon parfois humoristique, mais surtout en soulignant les éléments qui défient la logique. Par exemple, si dieu ne voulait pas qu'adam et ève mangent le fruit de l'arbre, pourquoi a-t-il placé l'arbre dans le jardin? (Les minuscules aux noms propres sont de l'auteur…)

Pour en faire un roman, Saramago va plus loin que l'a Genèse avec Adam et Éve et leurs enfants, il fait en sorte qu'après son bannissement, Caïn, qui erre dans le monde, fasse aussi des sauts temporels. Il est donc présent lorsque Abraham est sur le point de tuer son propre fils, il assiste à la destruction de Sodome et Gomorrhe, il navigue sur l'arche de Noé et suit les massacres guerriers du peuple d'Israël.

Dans ces périples, Caïn s'étonne de la cruauté de ce dieu. Pourquoi brûle-t-il les enfants innocents de Sodome? Pourquoi encourage-t-il à passer par l'épée tous les vaincus d'une guerre?

Et même, pourquoi ce dieu pervers est-il jaloux et veut-il détruire de la tour de Babel plutôt que d'être fier des réalisations de ses enfants? Et pourquoi punir la femme de Lot, alors qu'il n'y a rien de plus normal (et de plus sain?) que de regarder derrière soi?

Les lecteurs qui ont peu de connaissances de l'Ancien Testament s'étonneront avec Caïn devant ces histoires parfois bizarres. D'autre part, les croyants ne tireront vraisemblablement pas beaucoup de plaisir de cette lecture.

Mais on pourra aussi se rappeler que la Bible n'est pas qu'un livre religieux, c'est aussi un fondement de la culture. Peut-on alors s'étonner que les guerres et la violence fleurissent si facilement au nom des dieux?
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"L'histoire est terminée, il n'y aura rien d'autre à raconter".... C'est ainsi que se termine le dernier roman de José Saramago. Dernière phrase intrigante et très émouvante lorsque l'on sait que quelques mois plus tard Saramago partait pour toujours. Prémonition d'un vieil homme pressentant sa fin proche ? Lucidité de l'écrivain sur son dernier roman ? Alors pourquoi Saramago a t-il choisit comme sujet de ce dernier texte la Bible, Dieu et sa relation aux hommes, ou plutôt l'inverse ? José Saramago était un athée convaincu et militant et tous ses textes sont des métaphores de nos sociétés occidentales, des critiques grinçantes de notre monde. Il faut donc replacer ce dernier roman dans ce contexte.
José Saramago, revisite la bible et ses étapes les plus marquantes et les plus sanglantes pour décrire un monde remplit de peur, d'angoisse, de colère. Tous ces évènements peuvent être lu comme les métaphores des malheurs qui depuis la nuit des temps terrorisent l'homme : la nature qui détruit (le feu de Sodome, le déluge), les maladies et la déchéance (Job), les pulsions destructrices de l'homme (les guerres et les massacres, Jericho, les meurtres, Caïn, Abraham). Pour survivre a cet univers violent et incompréhensible, pour lui donner sens, tous ces évènements sont attribués à la volonté d'un Dieu, cruel, égoïste, vengeur et sans compassion, jouant avec cynisme de sa création, l'homme.
Caïn, condamné par Dieu à errer sans fin sur la terre pour avoir tué son frère Abel, va parcourir un continuum de présent passant de la reine Lilith, à Abraham, se retrouvant au Mont Sinaï avec Moïse, durant la construction de la tour de Babel, puis lors de la destruction de Sodome, ou lors des massacres de Jericho et de toutes les villes de Palestine pour finir avec Noé et son arche. Caïn va être emporté dans un cauchemar qui lui fait découvrir la vrai nature de Dieu. Ou plutôt la vrai nature de l'homme qui a inventé ce Dieu, qui a créé ce seigneur tout puissant pour donner sens au monde, et tel un docteur Frankestein perdant la maîtrise de sa créature, l'homme devient le jouet de ce Dieu et subit le joug de sa loi.
"d'où provient l'idée extravagante que dieu du seul fait qu'il est dieu doive régenter la vie intime de ses fidèles en établissant des règles, des prohibitions, des interdits et autres fariboles du même tonneau" (pg 166 Ed Point Seuil)
Puisque pour tuer Dieu il faut détruire son créateur, puisque ce Dieu n'est qu'invention, alors Saramago par sa liberté de créateur (par la littérature et la métaphore) va permettre à Caïn d'être présent lorsque Dieu déclenche le déluge pour détruire sa création puisque qu'il considère l'homme comme mauvais, corrompu et uniquement attiré par le mal. Seul Noé et sa famille seront sauvés pour créer la nouvelle humanité. Caïn va embarqué et tuer la famille de Noé pour se retrouver dans un tête à tête éternel avec Dieu.
"C'est simple, j'ai tué abel parce que je ne pouvais pas te tuer toi, mais dans mon intention tu es mort" (pg 38 Ed Point Seuil)
"Moi je n'ai fait que tuer un frère et le seigneur m'a châtié, j'aimerai bien voir maintenant qui châtiera le seigneur pour tous ces morts" (pg 106 Ed Point Seuil)
Saramago pose à toute les pages du roman cette éternelle question sur la relation de l'homme à Dieu qui est finalement la relation de l'homme à lui-même confronté à sa capacité à répandre le mal, la souffrance, la terreur et l'horreur et face à sa volonté de vivre et d'aimer. La fin du roman est peut-être la réponse : il n'y en a pas, comme Caïn condamné à une éternelle errance, nous somme condamné à un éternel questionnement solitaire face à nous même et notre liberté d'agir
Comme a son habitude, Saramago avec son style si particulier, manie l'humour, la dérision, les anachronismes avec énormément de talent. Ce roman, assez court, est bourré de gags assez désopilant : c'est en fait Caïn, arrivé par hasard sur les lieux, qui retient le bras d'Abraham prêt à sacrifier son fils Isaac l'archange arrivant en retard après avoir eu des problèmes de coordination dans ses battements d'ailes ! Avant le déluge Dieu vérifie le système hydraulique de la planète !
Un roman très dense (chaque page pourrait être citée), très noir. Un texte qui prend de la densité au fil des pages et au fur et à mesure que l'on comprend où Saramago veut nous amener. Un roman dont la petite musique assez sombre continu à me poursuivre. le dernier roman de José Saramago qui l'air de rien nous oblige à s'arrêter sur l'histoire de l'humanité, ce que nous sommes devenu et ce que nous avons fait de notre monde.
"Que je sache nous ne nous sommes jamais demandé ici s'il nous méritions ou non la vie, dit caïn, Si vous aviez pensé à vous le demander vous ne seriez peut-être pas sur le point de disparaître de la face de la terre." (pg 165 Ed Point Seuil)
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J'aime l'irrévérence quand elle est intelligente et non vulgaire. C'est sans doute, entre autres, pour cela que j'ai lu ce court roman presque d'une traite. Et quand on veut proposer une réécriture un peu délirante des grands moments de l'ancien testament, tout en poussant le lecteur à s'interroger sur celui-ci et la déité au sens large, il y a tout intérêt à trouver un angle un peu bousculant. Mission accomplie !

Et ce fut donc une lecture assez fluide, malgré le style complexe de l'auteur. Sur ce point, j'étais prévenue; donc, dès le début je me suis laissée porter par les phrases longues comme un jour sans pain, certes.
Comme je n'ai pas beaucoup interrompu ma lecture, et que de toute façon l'ouvrage est découpé en chapitres, je n'ai ressenti aucun inconvénient dans cette manière de rédiger, inédite pour moi.

Le fond m'a bien amusée même si pour ma part, je n'ai pas découvert de nouvelles réflexions à creuser en ce qui concerne le sujet abordé. La question de savoir pourquoi l'homme s'invente des dieux finalement à son image imparfaite par nature et comment certains parviennent pourtant à mobiliser les foules autour du dogme de sa perfection et de sa justice immanentes m'a toujours interpellée. La manière dont José Saramago a traité le sujet était cependant assez étonnante et particulièrement intéressante.

Ce fut mon premier Saramago, et certainement pas mon dernier !
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Dans ce court roman @Saramago ne fait pas de cadeaux à Dieu qui en prend plein la figure sur les horreurs commises en son nom ou même celles qu'il a lui même commises parce que l'on n'avait pas respecté ses commandements.
C'est dans un délire complet que Caïn notre personnage principal voyage au gré du monde sautant d'une époque à une autre pour nous raconter l'ancien testament à la sauce @Saramago. Pas sûr du tout que les catholiques traditionalistes apprécient le roman et @Saramago a bien fait d'écrire ce roman à l'époque actuelle et non pas du temps de l'inquisition car nul doute qu'il aurait fini écartelé par les censeurs de cette charmante période.
Dans son style toujours aussi particulier et iconoclaste, l'auteur nous livre une farce sur la relation entre Dieu et ses créatures : les hommes.
Amusant et intelligent.

Challenge Nobel
Challenge Multi-défis
Challenge riquiqui
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Caïn a tué Abel mais au lieu de partir sur les chemins sous la malédiction de Dieu, il préfère se rebeller. Ce n'est pas de sa faute s'il a tué son frère mais celle de Dieu car ce dernier n'a pas daigné accepter les offrandes de Caïn. Dieu le condamne à errer dans le temps et à vivre les grands événements de l'Histoire Sainte. Il assiste, entre autres, au sacrifice d'Abraham, Sodome et Gomorrhe, les adorateurs du veau d'or… ou même la construction de l'arche de Noé et son départ sur la Terre inondée.
Chacun de ces rencontres avec les personnages saints et Dieu est le prétexte pour José Saramago pour remettre en cause la place de ce Dieu qui commande de telles cruautés. Qu'en est-il de ce Dieu plein de bonté et d'amour ? Il est vrai que l'Ancien Testament est particulièrement violent, j'en avais été étonnée à sa lecture. le ton emprunté par Saramago est plutôt ironique et même si sa façon particulière de raconter des histoires peut déstabiliser, ce livre résonne assez justement.
Une bonne réflexion sur la religion chrétienne.
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Etonnante relecture de la Bible et notamment du personnage de Caïn...Et de Dieu. Après L'aveuglement je retrouve Saramago et son style si particulier, sorte de flux narratif direct dont la principale caractéristique est de se débarrasser des normes, des conventions du dialogue dans un roman "traditionnel". Ici tout est direct, les faits comme les propos s'enchaînent sans véritables ruptures syntaxiques. Si cela paraît déroutant au premier abord c'est là un élément de style très pertinent : j'ai aimé et j'ai été ravi de retrouver cette écriture efficace et qui ne se prive pas pour autant de livrer quelques images de haute volée littéraire.
Le livre raconte la vie de Caïn, meutrier de son frère Abel s'il est besoin de le rappeler, tout en évoquant les premiers temps de la création. C'est donc là le seul "bémol" mais qui tient davantage au lecteur qu'à l'auteur : il vaut mieux connaître les événements ou personnages dont il est question (Lilith, Jericho, Sodome...) pour apprécier le livre comme il se doit.
Ici on est bien loin du sérieux et du terrifiant présent dans L'aveuglement ; Saramago livre un récit tantôt drôle, ironique, cynique sur le récit biblique en lui-même, le rapport entre la foi et le dogme et réinterroge avec malice la figure du Dieu "punitif" propre à l'Ancien Testament. J'imagine que le lecteur croyant et dans le même temps frileux pourra y voir bien plus de l'irrévérence ou du blasphème que de la malice... Mais c'est un questionnement pertinent : ce Caïn si moderne dans sa façon d'aborder la vie est confronté à un Dieu archaïque, agressif et profondément dépassé par sa création. C'est cela qui est sans doute le plus amusant dans le livre, et qui fait tout le sel de cette fin culottée mais qui termine avec brio (et encore une fois malice) ce roman que l'on pourrait classer davantage comme conte philosophique.
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« Amen. D'aucuns penseront que le malicieux caïn abuse de la situation, jouant au chat et à la souris avec ses innocents compagnons de navigation, lesquels, comme le lecteur l'a déjà soupçonné, il s'était mis à éliminer l'un après l'autre. Celui qui aura cru cela se sera trompé. Caïn se débat avec sa colère contre le seigneur comme s'il était prisonnier des tentacules d'une pieuvre, et ses victimes d'à présent, comme abel dans le passé, ne sont que de nouvelles tentatives de tuer dieu.
(...)
Et dieu, que dira dieu, demanda Noé, Pars tranquille, je me charge de dieu. »

Saramago parle ici de caïn, son caïn réinventé, mais le lecteur ébloui ne se laisse pas abuser, caïn n'est que le complice qui permet à l'auteur, à travers les mots, « jouant au chat et à la souris », de « se débat[tre] avec sa [propre] colère contre le seigneur ».

« Ce garçon irait loin. C'eût peut-être été le cas si le seigneur n'avait pas croisé son chemin. Toutefois, il allait déjà assez loin, mais pas dans le sens prophétisé par son père. »

L'auteur s'amuse, affabule sur la trame de l'histoire de caïn, chassé par dieu après le meurtre premier, condamné à l'errance, marqué à vie. Il déambule donc de lieu en lieu, lui, l'agriculteur dans l'âme, mais surtout d'un temps à l'autre , et connaît ainsi un certain nombre des épisodes bibliques marquants (jéricho, sodome et gomorrhe, le sacrifice d'isaac, le veau d'or, le déluge...). Et caïn, qui n'est pas l'obéissant aveugle attendu de Dieu, voit tout cela de son oeil d'homme meurtri, ramène les grands questionnements au terre à terre, n'hésite pas devant les anachronismes, réfléchit, s'interroge, s'offusque. Juge dieu, sacrilège suprême, lequel lui apparaît vengeur, égoïste, jaloux, imbu de lui-même et tyrannique, disposant des hommes qu'il malmène dans un monde implacable. Où est l'amour? Certes, il n'apporte pas de contre-proposition, mais comme il semble suggérer que n'importe quelle solution serait meilleure, est-ce bien important ?

« L'histoire des hommes est l'histoire de leur mésentente avec dieu, il ne nous comprend pas et nous ne le comprenons pas. »

Irrévérence première, saramago supprime les majuscules nominales, ce que j'ai respecté dans mon commentaire. Dieu pas plus que les hommes n'y ont droit. Il supprime aussi les dialogues , lesquels s'enchaînent sans guillemets, sans tirets, sans retours à la ligne, conservant la fluidité du récit, comme pour entériner des évidences.


Tout cela peut sembler fort sombre ? Ca l'est : la religion, des hommes pris dans des carcans de pensée, souffrant et faisant souffrir pour cela, un monde sans pitié… Mais au-delà se de cette réflexion, ce livre est à se tordre de rire. À chaque page saramago a un regard facétieux, joueur qui rend son propos jouissif et percutant.

Alors saramago, prix nobel de l' humour - d'un humour constructif parce qu'il interroge, et démoniaquement intelligent ?

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Publié en 2011 après L'Évangile selon Jésus-Christ (2000), José Saramago réinvente avec humour l'odyssée biblique de Caïn, fils d'Adam et Eve et frère d'Abel, premier criminel de l'humanité.

Ici, l'auteur portugais remet en perspective les inepties de Dieu et joue encore une fois avec le Diable - le Vatican n'a d'ailleurs pas apprécié !

Toujours avec sa prose et son espièglerie, José Saramago nous offre un livre simple que je relirai avec grand plaisir.
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