La grande aventure initiatique

Siddhârtha vit en chacun de nous. Même si nous l'ignorons, il gît dans le tréfonds de notre être, à notre insu, caché sous notre vie de surface conditionnée par les mille événements du temps et le contexte du maintenant. Dans le nouveau-né commence la vie de Siddhârtha ; il est présent aussi dans le vieillard qui s'éteint, dans la prostituée qui loue son corps, le politique qui perd son âme pour gagner notoriété, pouvoir et argent, dans l'homme d'affaires qui ruse pour acquérir plus et aussi dans l'artiste et le poète qui luttent inlassablement pour exprimer l'ineffable. Tout être humain, sans le savoir, se dirige vers le même destin, la voie du Bouddha.
Mais comment peut-on oser assimiler la vie d'une prostituée, d'un politique ou d'un homme d'affaires sans scrupules, à l'image de sainteté d'un Bouddha ? Dans le fleuve du temps éternel qui coule, chacun a été tout. Tout ce qui est reflète la multitude des possibilités d'être. Du meurtrier au sage, ce n'est qu'une question de temps. Une seconde ou des millénaires, qu'importe ! L'Éternel embrasse tout d'une même coulée. Un jour dans l'Âme du monde s'établira et régnera l'atman, matrice de l'extraordinaire développement de la conscience dont nous sommes, paradoxalement, les témoins passagers et éternels.

Siddhârtha, le roman de Hermann Hesse, a paru il y a près d'un siècle. Depuis, l'intérêt pour la pensée bouddhiste et hindouiste n'a fait que s'accroître dans le monde entier. Même la psychologie moderne s'en est inspirée, découvrant de plus en plus dans son étude des moyens de connaissance de soi inépuisables. Ce texte sacré d'inspiration inouïe cache des possibilités d'être considérables. Un jour Yatman, qui fut la quête même de Siddhârtha, éclairera l'âme du monde, laissant l'obscurité de notre ego foudroyée de lumière.
Beaucoup d'entre nous ont été enchantés par les aventures rocambolesques du héros téméraire Siddhârtha qui nous fait rêver d'une vie orientale, sans vraiment réaliser la profondeur de son message. En plus de son immense beauté poétique, Siddhârtha est un véritable recueil philosophique, une oeuvre initiatique spirituelle dont chacun, un jour, ressent l'attrait comme un impératif. Ainsi, au moment opportun, chacun de nous est amené à prendre la route, loin des chemins battus, dans ce vaste inconnu où se trouve la clé de notre existence.

Si là était le dénouement de Siddhârtha, la sortie du monde de l'illusion pour échapper à maya et entrer dans la paix éternelle nirvanique du Bouddha, il n'y aurait rien à ajouter au superbe roman de Hermann Hesse. Du voleur qui convoite l'illusion des richesses matérielles au sage qui en est détaché, pour la plupart d'entre nous, sans l'ivresse du plaisir, du sexe, de l'argent et du pouvoir, le monde en soi n'aurait plus aucun attrait. C'est cette dichotomie inconsciente entre le plaisir au contact de la multitude des objets des sens et la joie tranquille de l'esprit, la paix dans l'unité, privée de tous ses objets, qui empêche les êtres de devenir sages.