« Et c'est sur cette étroite passerelle de silence que nous nous rencontrâmes » (Carl Seelig)
Du 26 juillet 1936 jusqu'à la mort de Robert Walser en 1956, Carl Seelig rend visite à Walser à la clinique psychiatrique de Herisau. Chacune de ses visites fait l'objet d'une marche de plusieurs heures dans les petites montagnes qui entourent l'hôpital. Carl Seelig tient le journal de leurs échanges qui seront ensuite publiés sous ce titre « Promenades avec Robert Walser ». Une petite cinquantaine de textes brefs, fulgurants - des fragments.
Parallèlement au fait que ces échanges livrent à la postérité une somme considérable d'informations sur Walser et sur sa manière, tantôt ironique tantôt irritée, de considérer la place de son oeuvre dans le paysage littéraire, la promenade walsérienne, la marche, est l'essence même du livre.
Chacune de ces promenades est brossée en quelques touches comme une aquarelle sur le motif, dans laquelle le personnage, Walser, et la promenade se mélangent aux couleurs de l'épure. Carl Seelig est le conteur discret de ces micro-récits, véritables petits bijoux dont l'écrin resserré met aussi en valeur une écriture splendide.
Une postface, consacrée à Carl Seelig lui-même, fait état de l'ampleur des secours que cet homme apporta à Walser, dont il fut le tuteur, et aux nombreux artistes et savants de son temps. "Il n'attendait pas que le nécessiteux, à bout de ressources, vînt le trouver. Il allait lui-même à la recherche de celui qui avait besoin d'aide."
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6 avril 1952
J’ai réussi à convaincre Robert de rester dans le train jusqu’à Rorschach et, depuis, il arbore un air maussade. Il suppose sans doute que j’ai dans la tête un plan qui risque de compromettre son équilibre. Nous ne parlons presque pas dans le compartiment. Il roule de grosses cigarettes sur lesquelles il tire nerveusement. À Rorschach, nous descendons et prenons la route de Staad. Le ciel, d’un gris sable qui annonce le printemps, et la terre se confondent au bord du lac de Constance. Pas de bateaux, pas de gens. Monter-descendre, de colline en colline, en direction du village de Buchen ; des enfants accompagnés d’adultes se rendent à la fête de la confirmation.
Carl SEELIG, "Promenades avec Robert Walser", traduit de l’allemand par Bernard Kreiss. Rivage poche/bibliothèque étrangère, page 127 [cité Claude dans le blog de jeanlau "De Bloomsbury en passant par Court Green... " > Romans suisses > Promenades avec Robert Walser, article du 24 décembre 2010]
28 décembre 1944
Le ciel est sans nuages, ce matin, le froid coupant. Dans le hall de la gare, nous nous demandons où aller aujourd’hui. Robert, sans pardessus, mains et joues d’un rouge bleuté, le menton hérissé de poils blancs, me demande d’un air mi-figue mi-raisin : « Vous avez concocté un programme en cours de route ? » – « Pas du tout ! » – « Qu’est-ce que vous diriez d’Appenzell ? Non, ce serait trop pour aujourd’hui ! Voulez-vous que nous allions dans les hauteurs ? Ou alors, à Saint Gallf ? » – Moi : « Vous avez envie d’aller en ville ? – À vrai dire, oui ! » – « Dans ce cas, en avant ! » – Robert, après quelques pas : « Ralentissons, voulez-vous ? Ne courons pas après la beauté. Quelle nous accompagne plutôt, comme une mère qui marche à côté de ses enfants. »
[Carl SEELIG, "Promenades avec Robert Walser", traduit de l’allemand par Bernard Kreiss. Rivage poche/bibliothèque étrangère, page 84 - extrait cité dans le blog "De Bloomsbury en passant par Court Green... " > Romans suisses > Promenades avec Robert Walser, article du 24 décembre 2010]
-23 avril 1939-
Et en effet, il n'y avait pas de quoi pavoiser. Je me promenais seul, de jour et de nuit; entre deux promenades, je tâchais de faire avancer ma barque d'écrivain. (p.25)
16 mai 1943
Je me plaisais beaucoup dans ma chambre de malade. Rester couché comme un arbre abattu, sans avoir à bouger le petit doigt. Tous les désirs s'endorment comme des enfants las de jouer. (p. 48)
27 juillet 1943
J'aime les nuages. Ils ont l'air si familiers-comme de braves et silencieux compères. Dès qu'ils sont là, le ciel devient plus mouvementé-plus humain. (p.52)