Ou je n'ai rien compris ou ce sont certaines critiques qui se sont égarées dans ce décor où la neige n'en finit pas de se détacher de la croute grise d'un ciel où jamais ne perce la lumière... jusqu'au jour où...
Frank dix-huit ans a été laissé en nourrice par une mère occupée à gagner sa vie à la sueur de ses passes.
Frank, c'est l'histoire d'un gamin sans père ni mère, sevré d'affection, blessé très tôt par la vie, comme ce petit chat à l'oeil exorbité, réfugié dans un arbre du jardin de sa nourrice qui, lorsque les hommes lui tendent une main secourable, un bol de lait synonyme de survie, se réfugie chaque fois sur une branche un peu plus haute... leur opposant son dédain, méprisant leur pitié.
Puis un jour, de retour de l'école, le gamin apprend que
le chat n'est plus dans l'arbre.
On a beau lui affirmer que la pauvre bête a été secourue et qu'elle est à présent à l'abri, Frank sait que la réalité est tout autre, et qu'un voisin qui dès le début voulait régler le problème à l'aide de son fusil... l'a fait.
Ainsi en va-t-il de la vie de Frank, animal éborgné, qui refuse toute aide, toute pitié, toute forme d'amour et défie le destin comme
le chat le faisait en grimpant chaque fois sur une branche plus haute, conscient que c'est là la meilleure manière d'atteindre le point de non retour, celui de la délivrance.
Très jeune homme, il vit aujourd'hui dans un grand appartement avec Lotte, sa mère, qui a fait de celui-ci un bordel aménagé dans un immeuble où ils sont détestés par tous les résidents qui les voient comme des êtres amoraux, exploiteurs, des collabos
C'est l'occupation, on ne sait pas laquelle, et l'on est tenté de supposer qu'il s'agit de l'occupation allemande.
Nous sommes dans un pays de l'est probablement, mais lequel ?
Lotte devenue tenancière de maison close fait travailler des filles, toujours nubiles ( entre 16 et 18 ans ), lesquelles offrent du plaisir à l'occupant, lequel, en contrepartie, permet à Lotte, aux gamines affamées, et à son fils désoeuvré, de se gaver d'une nourriture et d'un combustible ( charbon ), dont chacun est privé dans l'immeuble.
Frank fréquente l'établissement interlope de Timo, un bar-restaurant, où il côtoie des petits malfrats dont
Kromer qui va être l'élément déclencheur de son premier crime commis contre un gros sous-officier de l'armée d'occupation.
Crime gratuit que Frank qualifie de "dépucelage" et qui lui permet de s'approprier le révolver de sa victime qu'il convoitait.
Kromer lui propose ensuite une grosse affaire ; un général collectionne des montres rares et est prêt à payer une fortune pour compléter sa collection.
Frank a vécu naguère chez un horloger.
L'affaire est conclue.
Masqué par un foulard, accompagné d'un complice, il s'introduit chez les Vilmos frère et soeur.
Le frère est mort il y a un an.
La soeur finit par céder à la menace du révolver brandi par Frank.
Il met
la main sur des montres de collection,.
Le foulard qui masquait son visage se dénoue.
La soeur Vilmos le reconnaît... il la tue.
L'affaire lui rapporte gros.
Une liasse de billets qui pourrait faire vivre plusieurs familles pendant plusieurs années et "la carte verte", une sorte de sésame qui, en ces temps d'occupation, vous permet d'aller et venir à votre gré, n'interroge ni les heures ni vos faits et gestes.
Lotte qui aime et craint son fils a deviné.
Frank le sait mais reste indifférent... comme il est indifférent à Minna, Bertha, et Anny les jeunes prostituées du clandé de sa mère avec lesquelles il couche...sans amour et sans réel désir.
Seuls l'obsèdent ses deux voisins, Gerhardt Horst ancien critique d'art devenu conducteur de tramway et sa fille Sissy âgée de seize ans.
Gerhardt a été témoin du meurtre du sous-officier.
Il s'est tu.
Sissy est fascinée par Frank, qui la séduit et laisse
Kromer la déflorer.
Sissy s'enfuit et tombe malade.
Frank s'enfonce.
Il s'enivre, parle trop, se fait trop voir, montre trop sa liasse de billets sa carte vert.
Il finit par être arrêté.
Là se situe ma divergence avec les critiques que j'ai lues.
Dans cette prison école ou dans cette école transformée en prison, va s'opérer la rédemption de Frank.
Je sais que je suis lu par des personnes qui lisent, mais j'insiste... toujours à cause de certaines critiques... Si
Simenon a choisi de situer cette prison dans une école, vous aurez compris l'allusion "éducative"...
Là je m'arrête de vous raconter l'histoire... car là se situe l'acmé.
Là
le chat éborgné va trouver son salut.
Ce Frank de
Simenon, je l'ai vu tout au long du roman sous les traits de Rocky Sullivan, ce truand criminel incarné par
James Cagney dans le film de Michael Curtiz - Les anges aux figures sales -.
D'ailleurs
Simenon a écrit -
La neige était sale - pendant son séjour de dix années à Tucson ( Arizona )... Ah l'air américain ! (sourire ).
Il appartient aux romans que son auteur qualifiait de durs, et est, pour moi, l'un des nombreux chefs-d'oeuvre du père de
Maigret.
L'atmosphère, les personnages et l'histoire sont d'une force, d'une intensité dramatique absolument remarquables.
Si vous hésitez à choisir un bon, un très bon
Simenon, celui-ci en est assurément un.