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Lilyane Deroche-Gurcel (Traducteur)Sibylle Muller (Traducteur)
EAN : 9782130482697
772 pages
Presses Universitaires de France (01/11/1999)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Longtemps incomprise à cause de sa modernité même, la Sociologie de Simmel est en fait une large gamme de modèles d'explication sociologique : en élaborant la notion de "forme", de schéma explicatif commun à des réalités historiques très différentes par ailleurs, Simmel a réussi à éviter tout projet de description-explication dogmatique et systématique de la société. Il peut ainsi juxtaposer des approches très différentes d'un même objet social, d'où le caractère no... >Voir plus
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Simmel pose la sociologie comme une science dotée d'un champ disciplinaire spécifique, la société (p. 41), comme méthode nouvelle (p. 41), et comme science exacte (p. 61). Pourtant il esquive les définitions : Je pars ici de l'idée de la société la plus large, évitant autant que possible toute discussion sur ses définitions : il y a société là où une il y a action réciproque de plusieurs individus. Cette action réciproque naît toujours de certaines pulsions ou en vue de certaines fins (p. 43). Plus loin il déclare: le concept de société recouvre deux significations qui doivent être tenues rigoureusement séparées pour qu'un traitement scientifique soit possible. Elle est d'abord l'ensemble complexe d'individus socialisés, le matériau humain qui a pris une forme sociale, tel que le constitue toute la réalité historique. Mais ensuite la « société » est aussi la somme de ces formes relationnelles grâce auxquelles les individus deviennent justement la société au premier sens du terme. (p. 47). Derrière ce raisonnement circulaire, on voit l'importance pour Simmel de formes sociales ou relationnelles, citées dans le sous-titre, qui ne sont jamais définies. La traductrice, auteure de la préface, s'en trouve embarrassée : elle trouve dans l'ouvrage deux formes d'action réciproque qui s'articulent respectivement en 11 et 6 concepts (p. 29+). Elle ne sort rien de précis de cette fragmentation et conclut avec de prudentes réserves: Si les qualités formelles discutables de la Sociologie ont en partie porté tort à l'auteur, si elles ont découragé plus d'un lecteur, cette difficulté s'est révélé une aubaine pour certains qui ont su développer, expliciter des thèses parfois obscures, et reprendre à leur compte le « regard sociologique » qui confère à ce livre sa singularité et son intérêt (p. 35).

Simmel n'aide pas à fonder la sociologie comme science exacte car il ne décrit pas de méthode nouvelle, n'apporte pas d'observation personnelle et ignore ses pairs. Sa méthode est traditionnelle : l'argumentation par l'autorité des philosophes jusqu'à Kant et par des exemples tirées de l'histoire politique et religieuse jusqu'au milieu du 19ème siècle. Ses rares citations sont anonymes (par ex. Ainsi le plus grand historien de la constitution anglaise remarque à propos de la querelle du puritanisme : « Like every other struggle for liberty, it ended in being a struggle for supremacy », p. 238). Aucun des innombrables faits historiques qu'il rapporte n'est référencé et vérifiable. Il ignore ses contemporains, discute de la division du travail sans citer Durkheim et des conflits entre capitalistes et ouvriers sans mentionner Marx (cité une fois dans un autre contexte p. 286). On a peine à trouver un auteur postérieur à 1850 dans l'index des noms. Son livre est un long discours difficile à pénétrer. Il affectionne les mots difficiles : pléonexie, monarchomaque, Locride epizéphyrienne, syssition, etc. Il place des intertitres censés faciliter la lecture, mais que penser de Signification du nombre pour le groupe dans son ensemble, dans son rapport à d'autres groupes ou à un groupe plus important dont il constitue une partie (p. 152) ? Il n'hésite pas, après de longs développements, à traiter de contre-exemples ou de cas inverses, ce qui est honnête mais n'éclaire pas son discours. Sa rhétorique est parfois fumeuse comme dans le chapitre sur le chiffre deux dans une relation (p. 112) où il convoque l'âme, l'amour, l'enfant, Napoléon, Jésus, le confrérie de l'assiette cassée, Athènes, Voltaire, les domestiques et bien d'autres. Il n'hésite pas aux anecdotes curieuses (voir La société secrète p. 379) et aux assertions baroques, par ex. sur « la sociologie des sens » p. 628+.

L'ouvrage contient de nombreuses et brillantes digressions sur la parure, le style épistolaire, la sociologie du cadeau, la discrétion (qui traite en fait du mariage p. 357), la fidélité, la gratitude, les fonctions sacerdotale, royale et dynastique, leurs symboles (insignes, joyaux, drapeaux), sur l'obligation d'honneur, etc. En revanche il ne traite pas de domaines attendus comme la liberté, la justice ou l'équité, le courage et l'éthique : l'action réciproque de plusieurs individus n'a rien a voir avec l'éthique de la réciprocité de Kant. Ces digressions et ces lacunes dessinent une culture élitiste, personnelle, parfois cynique et réactionnaire : On achète l'amour en donnant de l'esprit. le charme d'un humain dont on veut jouir s'achète grâce à la supériorité de la force de suggestion ou de volonté qu'il veut sentir s'exercer sur lui, ou dont il veut s'imprégner (p. 580). Simmel est méprisant sur le plan politique : En effet, étant donné le niveau intellectuel de ces ouvriers, la qualification de n'importe lequel d'entre eux était plus que douteuse (p. 535). Si une collectivité doit vraiment agir en commun, cela se produira uniquement dans les domaines qui permettent au supérieur de se ravaler au niveau de l'inférieur (p. 541). Il se montre raciste : La force de leur cohésion sociale, leur sentiment de solidarité mutuelle, si efficace dans le pratique, l'exclusion singulière (mais pas toujours complète) de tous les non-Juifs, tout ce lien sociologique n'aurait perdu depuis l'émancipation sa connotation confessionnelle que pour en prendre un autre, capitaliste. C'est précisément pour cette raison que l'on croit que « l'organisation invisible » des Juifs serait invincible (p. 585). La réception des nègres dans le haute société d'Amérique du Nord semble exclue par le simple fait de leur odeur corporelle, et l'aversion mutuelle pleine d'obscurité entre Juifs et Allemands a été ramenée à cette même cause (p. 637).

Dans cette masse de réflexions il y a d'excellentes pages: sur l'arbitrage (médiateur vs arbitre, p. 131+), sur la domination (p. 162+), sur l'éthique de la majorité avec une conclusion aristocratique et pessimiste: C'est ainsi que le vote majoritaire n'est pas seulement une violence faite en pratique à l'un par le grand nombre, mais il devient l'expression exacerbée de la dualité entre la vie propre de l'individu et celle de la totalité sociale, que l'expérience parvient souvent à harmoniser, mais qui reste inconciliable et tragique dans son principe (p. 218), sur la fonction créatrice du conflit (p. 264), sur le hiatus entre le talent et la position : L'a priori de la relation, ce ne sont plus les hommes, avec leurs qualités, qui engendrent la relation sociale, mais ces relations qui sont des formes objectives, des « positions », en quelque sorte des espaces et des contours vides, qui doivent d'abord être « remplis » par des individus (p. 255), ou sur la durée des offices (p. 559+)

Le chapitre sur le pauvre est particulièrement attendu mais on ne peut adhérer à ses conclusions. Simmel relève que la pauvreté est relative et définie par l'assistance. Il distingue le pauvre (l'individu), et la pauvreté (le statut) : L'état vient au secours de la pauvreté, la charité privée au secours du pauvre (p. 478). Il donne Une définition d'une signification non pas individuelle mais sociale de la pauvreté : on est pauvre quand on est secouru (P. 487). Que la pauvreté soit relative est certain et reste d'actualité comme l'illustre le débat actuel sur les seuils de pauvreté en fonction du revenu médian. Mais Simmel place cette relativité dans un système de caste que le secours doit maintenir : Des personnes qui sont pauvres à l'intérieur de leur classe ne le seraient nullement dans une classe plus basse, parce que leurs moyens seraient suffisants pour les besoins typiques de celle-ci (p. 485). L'aide aux pauvres n'a aucune raison d'être plus généreuse envers le sujet, quantitativement et qualitativement, que ne l'exige le maintien de la totalité dans son statu quo (p. 458). On ne doit prendre dans la poche du contribuable que le minimum dont le pauvre a absolument besoin pour survivre (p. 469). Ainsi il est tout à fait adéquat à la nature des actions de la collectivité que les services qu'elle rend en tant que telle soient réduits au minimum (p. 476). Il voit dans la pauvreté une faute contre la collectivité : La pauvreté présente un large éventail de situations : depuis le prolétaire criminel, qui voit dans tous ceux qui sont bien habillés un ennemi, un représentant de la classe qui l'a « déshérité », et qu'il va donc dévaliser avec bonne conscience, jusqu'au mendiant plein d'humilité, qui supplie qu'on lui fasse l'aumône « pour l'amour de Dieu », c'est à dire comme si chaque individu avait le devoir de combler les lacunes d'un ordre certes voulu, mais pas complètement réalisé par Dieu (p. 455, le pauvre est encore comparé au criminel p. 479 et 487). L'assistance aux pauvres occupe dans la téléologie juridique la même place que la protection des animaux (p. 459). Même la charité est instrumentalisée: Lorsque Jésus dit au jeune homme riche : donne tes biens aux pauvres, il ne se souciait visiblement pas des pauvres, mais seulement de l'âme du jeune homme (p. 457). Je ne sais pas si la parabole est une fable et ce qu'en dit l'exégèse, mais cette prise de bénéfice pour le jeune homme illustre un point de vue de Simmel plutôt que la notion christique de charité. Enfin Simmel ignore les pauvres qu'il ne voit pas et qui n'ont pas accès à l'assistance, les exclus dans sa société et ceux pour qui aucune assistance n'est possible, dans les pays radicalement pauvres où le dénuement est complet et général. Ce qui est malheureux pour l'ouvrage est que sa position conservatrice dispense Simmel d'une analyse sociologique de la solidarité, de l'assurance maladie (proposée par Bismarck dès 1880) de la fonction distributive de l'impôt.

Simmel est un homme favorisé par l'intelligence et la fortune qui propose sa vision personnelle de la sociologie, une vision panoramique, globalisante mais désorganisée, fondée la culture du 19ème siècle et ses préjugés. Son livre est une carrière où le curieux (à la recherche du « regard sociologique »?) peut piocher un matériau qu'il devra actualiser.
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