AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,75

sur 2931 notes
Sylvain est un stégophile : il s'amuse à monter sur les toits des cathédrales, des maisons et de n'importe quoi d'autre. Un jour, un peu bourré, il monte sur le toit de la baraque d'un de ses potes et se casse la gueule huit mètres plus bas. Il passe une année à l'hôpital où il a tout le temps de se demander s'il pourra remarcher. Il se dit alors : « Si je m'en sors, je traverse la France à pied. » Il passe beaucoup de temps aussi à étudier les cartes pour débusquer les chemins oubliés de la France hyper-rurale. Au lieu de filer dans un centre de rééducation, comme le toubib le préconise, il se lance donc dans son aventure de traversée de la France à travers ses chemins noirs.


« Les départements hyper-ruraux au secours desquels la gouvernance s'apprêtait à voler (intelligence de l'Etat au service de l'hyper-ruralité, disaient-ils, ces troubadours !) occupaient une large zone noire. Elle prenait en écharpe les Alpes du Sud, marchait vers les Vosges et les Ardennes en englobant la quasi-totalité du massif central et nombre de départements voisins de la Haute-Loire. »


Qu'est-ce que la grande santé quand elle découvre enfin ses limites ? C'est une des questions les plus intéressantes que Sylvain pose dans la première partie de son bouquin.


« Je regretterais longtemps cette chute parce que je disposais jusqu'alors d'une machine physique qui m'autorisait à vivre en surchauffe. Pour moi, une noble existence ressemblait aux écrans de contrôle des camions sibériens : tous les voyants d'alerte sont au rouge mais la machine taille sa route et le moindre Cassandre à gueule d'Idiot qui agite les bras en travers de la piste pour annoncer la catastrophe est écrasé menu. La grande santé ? Elle menait au désastre, j'avais cinquante ans en huit mètres. »


Retrouver la possibilité de marcher est une bénédiction mais c'est aussi le début d'une initiation. Il faut se familiariser avec un corps qui n'est plus aussi docile qu'auparavant et qui impose ses limites au gré de journées passer à arpenter des chemins pleins de ronces et de nuits à dormir sur le sol. Il faut accepter de rester seulement en France et, pour un mec ayant crapahuté un peu partout dans le monde, c'est un sacré revers. C'est aussi l'occasion de s'interroger sur l'injonction de l'hyper mobilité faite à l'homme moderne.


« Pourquoi une vie à cavaler ? Que rapporte-t-on de ces gigues ? Des souvenirs et beaucoup de poussière. le voyageur rafle les expériences, disperse son énergie. Il revient essoufflé, murmure « Je suis libre », et saute dans un nouvel avion. »


Alors Sylvain se rend compte de ses contradictions. Même écloppé, il ne peut s'empêcher d'avoir la bougeotte, comme parasité jusqu'au fond des neurones par la curiosité prédatrice du touriste. Il lui faut la visite d'un de ses potes pour qu'il comprenne que « la ruralité que tu rabâches est un principe de vie fondé sur l'immobilité. On est rural parce que l'on reste fixé dans une unité de lieu d'où l'on accueille le monde. On ne bouge pas de son domaine. le cadre de sa vie se parcourt à pied, s'embrasse de l'oeil. On se nourrit de ce qui pousse dans son rayon d'action. On ne sait rien du cinéma coréen, on se contrefout des primaires américaines mais on comprend pourquoi les champignons poussent au pied de cette souche. D'une connaissance parcellaire on accède à l'universel. » Et de penser à Jean-Henri Fabre, ce naturaliste collectionneur d'insectes qui vécut trois décennies sur les flancs du Mont Ventoux. Toujours et partout des références culturelles, c'est à ça qu'on reconnaît le parigot.


On peut bien sûr trouver ridicules ses contradictions et le regard émerveillé qu'il porte sur les paysans qu'il rencontre au gré de ses déambulations mais il semble conscient de cette bêtise, toute relative, une bêtise bien moindre face à celle vers laquelle nous précipite le « progrès ». Sylvain clame peut-être une révolte qui frappe dans le vide parce qu'elle n'est qu'une traversée mais elle éveille de vieux rêves. C'est un semblant de quête initiatique (avec tous les défauts que comportent les semblants) dans le monde de la contre-initiation.


« La géographie humaine est la forme de l'Histoire. En quarante ans le paysage se refaçonna pour que passent les voitures. Elles devaient assurer le mouvement perpétuel entre les zones pavillonnaires et le parking des supermarchés. le pays se piqueta de ronds-points. Désormais les hommes passeraient des heures dans leur voiture. Les géographes parlaient du « mitage » du territoire : un tissu mou, étrange, n'appartenant ni à la ville ni à la pastorale, une matrice pleine de trous entre lesquels on circulait. »
Commenter  J’apprécie          431
Immobilisé pendant plusieurs mois sur un lit d'hôpital suite à un accident de toit, une belle chute un soir de beuverie, Sylvain tesson décide de se reconstruire sur les routes. Pas de départ pour la Russie,non, il se contentera des chemins noirs de la France, les chemins de campagne. le coeur meurtri par le décès de sa mère, le corps abîmé, déformé, il part.

Son voyage se fera du sud-est au nord-ouest. Sylvain nous livre ses pensées profondes, sa sensibilité, ses colères. Finies les envolées littéraires arrosées de vodka, il carbure au viandox, regrettant la belle époque.

Il fera de belles rencontres, d'autres moins sympathiques, des copains le rejoindront pour faire un bout de marche avec lui. Pas si facile de bivouaquer en France et de se faire griller des saucisses sur un feu. La campagne fait du bruit, il y a beaucoup de routes, seuls les habitants ne changent pas malgré la modernité qui arrive sans mal chez eux et leur production qui n'a plus rien à voir avec la bienveillance d'avant envers les animaux et la terre.

J'ai suivi ce parcours avec plaisir connaissant la plupart des régions traversées et j'ai, encore une fois, aimé cette liberté que s'octroie Sylvain Tesson. Il a raison : difficile d'apprécier un palace quand on connaît le délice d'un feu de bois et la joie de s'endormir en regardant les étoiles.
Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
Commenter  J’apprécie          436
J'avais quitté la cabane de Dans les forêts de Sibérie très déçue, et un peu fâchée contre Sylvain Tesson. Pour une première rencontre, ce fut un fiasco, comme aimait à l.écrire Stendhal,, en italiques bien sûr. Ma bouderie dura plusieurs saisons littéraires . Un peu méfiante encore, à cause du battage médiatique qui l'entoure, j'ai fini par acquérir Les chemins noirs, la lecture en diagonale en librairie m'ayant intéressée. Sylvain Tesson a survécu à un grave accident domestique, coïncidant avec plusieurs événements à forte signification pour lui. Acte manqué?Façon inconsciente de marquer une rupture avec sa vie antérieure? Ce baroudeur aventurier glisse du toit d'une maison après avoir quand même bu quelques verres de trop. On le ramasse brisé, mais encore en vie. Après les opérations, les souffrances, les rééducations, les séquelles, il entame la marche qu'.il a fait le voeu d'effectuer, sur les « chemins noirs » ,c'est à dire abandonnés et non pratiqués voire non praticables, mais dont la cartographie subsiste grâce au remarquable maillage du territoire français effectué par l'IGN. C'est là que commence la magie pour le lecteur.Sylvain Tesson, géographe, noue ses observations de marcheur à ses connaissances de l'évolution des environnements et des paysages ruraux, ses réflexions bucoliques à des formules saisissantes et sans apprêts, ses brèves analyses économiques et politiques concernant l'aménagement des territoires à des rêveries personnelles, et cela fonctionne, il m'embarque dans son paquetage et recueille mon intérêt comme ma sympathie! Tantôt promeneur solitaire, tantôt pèlerin avançant vers son ou ses buts personnels, il rejoint dans ce genre littéraire spécifique mon panthéon privé les très grands, tel Rousseau rêveur promeneur solitaire, tel Lacarrière, tel Kaufman, telle Alix de St André, comme ça, simplement.Son évocation de Fabre est tellement touchante, hommage d.un voyageur quelque peu hyperactif à un contemplatif visionnaire, qui reconstruit le monde à partir de quelques herbes et insectes de son jardin.. Ce que j'aiaimé dans ce livre c'est une simplicité, Une humilité qui sonne plus vrai que la quête coûteuse d une pseudo ascèse arrosée de vodka. Tesson dit avoir cherché bien loin ce qui se trouvait caché tout près. Il parvient aussi à traduire plus littérairement cette quête et cette découverte: un livre qui n est donc pas qu un best seller ou un produit de saison, mais un petit ouvrage touchant qui cherche à serrer sous un angle précis un fragment de vérité Il est donc hautement recommandable.
Commenter  J’apprécie          427
Sylvain Tesson Sur les chemins noirs nrf Gallimard

( 15€ - 143 pages)
Maints auteurs évoquent la diversité des paysages en parcourant la France.
Sa traversée de la France, Axel Kahn l'a relatée dans Pensées en chemins.
Serge Joncour, lui, sillonne notre hexagone en train, à vélo, à pied et cristallise / capture les paysages qui défilent dans ses romans. Ce qui lui fait affirmer «  Où qu'on aille on est d'ailleurs et c'est sans fin que l'on n'est pas d'ici ». Sentiment partagé par Sylvain Tesson : «  Moi, j'avais toujours eu l'air d'un mec d'ailleurs. ».
AVANTI !!

Si Sylvain Tesson a également pris son bâton de pèlerin, ce fut pour une raison bien différente. Dans l'avant-propos il explique son année horribilis : son dramatique accident et la perte d'une mère, «  c'est un monde qui s'écroule », dit Auden , «  c'est en toi seul qu'il te revient de trouver le ressort , la ressource pour avancer ».

En effet si Sylvain Tesson cultive l'art de la chute dans ses nouvelles, il n 'a pas aussi bien négocié celle... d'un toit ! Pendant son hospitalisation, et ses longs mois de soins, puis de rééducation, le miraculé, né sous une bonne étoile, se lance le défi , s'il en réchappe, de parcourir «  les chemins noirs », en clopinant, ersatz aux tapis roulants, itinéraire tracé sur une carte, insérée en début du récit. «  La carte était le laissez-passer de nos rêves ». Un titre inspiré par René Frégni, écrivain provençal.

C'est donc son journal qu'il partage pour notre plus grande curiosité, depuis Tende jusqu'à la pointe du Cotentin. Odyssée pédestre qui dure du 24 août au 8 novembre.
C'est au rythme de la lenteur «  forcée », qu'il va cheminer dans des contrées hyper rurales. Ce retour à la «  slow life », contrastant avec l'allure du TGV, est garant de solitude. L'auteur, remis debout, a besoin de retrouver sa «  liberté de mouvement », de fuir pour « échapper aux conventions », de «  disparaître ». Quête aussi des proximités, conscient d'avoir négligé ce « trésor ».

Vu les difficultés du départ, Sylvain Tesson n'aurait-il pas présumé de ses forces ?
le lecteur est soulagé quand des compagnons de route le rejoignent, rompant sa solitude.Tout d'abord Cédric Gras, connaisseur de la Russie, comme lui.
Puis, à Murat son ami russe Humann. Coup du sort: direction hôpital, «  l'épilepsie étant fatale en terre volcanique ». Sa soeur Daphné qui le retrouve à La Châtre se souviendra de cette nuit hitchcockienne, attaquée par des frelons !

Avec Sylvain Tesson, soutenu par «  ses bâtons de marche » on crapahute, on se fraye des passages, on s'extirpe des ronces, on franchit des ravins, on longe des rivières.On zigzague. On butine, on cueille et se gave de figues, de poires, de mûres. On bivouaque, «  un luxe » ! Ses nuits sont d'un confort variable selon les lieux et la météo :un monastère, une auberge, chez une tante chérie,une grange, petits hôtels, à la belle étoile. Celles «  sous la jupe des arbres étaient des nuits du soleil ».
Parfois on s'égare quand les chemins n'existent plus : «  Moment romanesque ».

Des pauses sont indispensables, des siestes ( dans les oyats), c'est alors qu 'il pratique comme Dany Laferrière, «  l'art presque perdu de ne rien faire »( s'abîmant dans la contemplation des nuages) ou qu'il décline une «  caravane de souvenirs » avec son ami photographe Thomas Goisque, venu cheminer avec lui, tous deux ébranlés, fracassés par la perte d'un être cher. Sylvain Tesson croit voir sa mère, omniprésente dans ses pensées, «  dans les plis de la nature ».
Tous nos sens sont en éveil, plus que le narrateur qui a perdu son acuité auditive et olfactive ( «  L'air sentait la mousse », la lavande, les herbes coupées,l'aubépine, les écorces, la champignonnière).On perçoit « la musique du ressac », «  le fracas des vagues », «  le bruissements des roseaux », «  le froissement de feuillages ».

Ses rencontres ? le randonneur vagabond rêve certes de croiser «  une Suèdoise en minishort », mais ce sont des gens du terroir qu'il avise. Parfois une vieille dame aux allures de sorcière. Plus insolite de rencontrer à une fontaine un ermite qui vous lit !
Plus dangereux d 'être à proximité de chasseurs ou de sangliers.Plus inquiétant d'être arrêté par des gendarmes. Il converse avec des vendangeurs, des fermiers.

Comme Jean Chalon, Sylvain Tesson voue une déférence quasi mystique aux arbres, s'interrogeant sur la force qu'ils peuvent transmettre : « L'arbre fait-il percoler un peu de sa force dans l'organisme de celui qui dort à son pied ? ».
Sa communion avec la nature rappelle David Thoreau. Comme Whitman ou le naturaliste Fabre, il sait être attentif à la faune et à la flore. Il célèbre un vol de vautour ou de grèbe, le ballet des limicoles. Il salue la beauté, les petits riens somptueux ( un noisetier), la diversité du paysage hostile/amical ( clairières, plaines, futaies, bocages, causses, burons). Il se laisse hypnotiser par «  les remous de la Loire », l'apparition Du Mont -Saint-Michel.


Sylvain Tesson nous émerveille par sa façon de restituer ce que «  le cristal de son regard » capture, parfois avec l'oeil d'un peintre : Bonnard, Bruguel, Dufy, Cézanne, Otto Dix, Klimt.
Il a aussi recours à la peinture ( Picasso, Bosch) pour mieux accepter «  sa gueule cassée », «  l'ironie du sport ». L'humour lui permet de prendre de la distance.

Marcher, c'est philosopher, méditer sur la vie, la mort qu'il a eue «  aux trousses ».
En géographe, il dresse un état des lieux de la France hyper rurale, anticipe l'avenir de la Terre. Il tacle le gouvernement sans concession, qui «  se pique d'infléchir le climat mondial » alors qu'il n'est pas capable «  de protéger les abeilles ».
Il souligne cette frénésie à avoir le haut débit, lui qui ne cache pas son aversion pour les écrans. Il déplore une «  forêt tourangelle en miettes ».

Ceux qui connaissent Les forêts de Sibérie ou Géographie de l'instant savent que l'auteur dévore les «  bunkers de papiers », que pour lui, «  le livre sacre le lieu ».
Il convoque une pléthore d'auteurs de prédilection. Parmi eux, des russes ( Tostoï), Lamartine, Pessoa, Giono, Hesse, Blixen, Léautaud. Il lit Braudel en «  lapant le bouillon ».

Nul doute que pratiquer «  le pofigisme», «  cette résignation joyeuse face à ce qu'il advient », que l'on rencontre dans S'abandonner à vivre, a dû l'aider dans cette «  reconquête quotidienne». Des émules pour suivre ses traces ne manqueront pas, mais à condition d' avoir le sens de l'orientation.
Sylvain Tesson a prouvé dans ses ouvrages précédents qu'il sait habiter poétiquement le monde,et ici la France : «  Une lumière de pastel meringuait les labours », «  le ciel déployait un lavis couleur perle ».

Comme l'affirme Paul de Roux, «  il y a des sentiers, comme certains livres, dont on n'a pas envie de voir le terme ». Car «  la marche est comme une pêche à la ligne », une touche est toujours possible. Battre la campagne sur «  les chemins noirs », au fil des pages avec Sylvain Tesson, «  homme de la lumière », nous éloigne des écrans et nous revigore. Son récit /journal est un concentré de vie, d'odeurs, de bruits, empreint de culture russe.
Il livre un exemple de résilience, qui force l'admiration par sa volonté, son endurance. Une renaissance en sorte, une reconstruction grâce à son courage, sa patience.
Un souhait réalisé : être «  en mouvement », et en se surpassant.
Heureux comme Sylvain Tesson a retrouvé « la grâce de marcher tout son soûl », a dompté ses douleurs, a «  poncé ses échardes intérieures » !
Marcher, c'est «  changer de peau », confie le randonneur dans Géographie de l'instant . Une métamorphose salvatrice pour l'auteur et le lecteur !

Commenter  J’apprécie          425
De façon intelligente, passionnante, Sylvain TESSON m'a emmené avec lui sur les « chemins noirs » de la France.

Il part crapahuter sur les chemins répertoriés mais oubliés par la plupart des autochtones, à travers bois et futaies perdus pour se reconstruire, après son accident bête et inconscient comme un adolescent, (il le dit lui-même).

J'ai traversé la France, découvert des paysages magnifiques, des moments de plaisir, mais également de doute où la mort l'a frôlé par moment.

A chaque fois, il a trouvé la force de repartir. Il dit peu sur les souffrances ressenties au cours de son parcours, que l'on devine par moment.

J'ai beaucoup apprécié les échanges avec ses compagnons de route qui le rejoignaient au cours de son périple, pour l'accompagner quelques jours, avant de repartir vers d'autres cieux.
Et également, les échanges avec les gens qu'il rencontrera tout au long de son parcours.

J'y ai retrouvé cette pudeur et cette intelligence qui anime Sylvain TESSON. Ainsi que son écriture qui m'enchante toujours autant.
Commenter  J’apprécie          410
Suivre Monsieur Tesson dans ses pérégrinations "randonnesques" c'est comme si vous essayer de suivre le Mistral en Provence ou d'arrêter un caillou dévalant une pente, ou essayer de faire taire une cigale en été...ce récit est vertigineux !!!
Le style est clair , alerte comme le pas de Sylvain Tesson, aussi impressionnant de beauté imagée par ses phrases que Fontaine de Vaucluse! ..
Emue en vous lisant en parcourant quelques chemins et croisant quelques collines en garrigue..de mon enfance.
Bref j ai été dans votre sac à dos Monsieur Tesson..!ça grouille de senteurs, d' images azurées, d' accents dont la France peut se vanter.

Très belle ballade poétique et symbolique d'un homme en reconstruction et questionnement perpétuel.
Commenter  J’apprécie          405
La gueule cassée. Il s'en retourne. Il n'en revient pas. Quand on tombe il faut se relever. Ce n'est pas une loi à deux roues ni une promesse à deux balles, quand on tombe, quand on se retrouve à plat, quand rouvre un oeil et qu'on entend d'une oreille le bruit orgueilleux et mutique des machines « à empêcher de souffrir qui font tout pour ne pas vous voir partir » …. quand on a passé des années d'aventures, des années à embraser tous les ports par tous les bords de sa vie, et que c'est un rebord qui a tenté d'avoir raison de votre vie... Alors….on a qu'une envie : se faire la belle, fuir, marcher, courir peut être.
Quand on est fracassé, percé, fendu, brisé, lézardé, amoché, défoncé, cabossé… une seule et belle envie ! se tirer, s'échapper, s'arracher, s'arracher des perfs et du plancher.
Alors qu'en cela arrive à Sylvain Tesson, au petit prince sibérien, à ce diable de globe trotter ...cela produit un bruit …..celui d'un arrachage de gomme, ou plutôt de levée d'encre , un bruit de papier froissé, de cartes dépliées, d'itinéraires retrouvés, de passages presque secrets, de chemins noirs, de pistes, de sentes, de contre escarpes, un chant de liberté.
Il marchera . Il n'a pas le choix. Il ne se laissera pas le choix.
Alors il marchera. Il sait le faire. Il l'a toujours fait. Non merci pas de centre de réeducation. A l'air libre ! Sous les étoiles, à travers mailles, sur les chemins de travers.Ces chemins qui lui vont comme au ciel. Il ira jusqu'au bout. Il ne s'en laisse pas le choix.
« Sur les chemins noirs » , c'est le journal d'une marche. Une marche formidable, peut être la plus grande que l'auteur ait parcouru de toute sa vie.
La marche, cette métronomie incroyable de l'esprit et du corps. Cette harmonie parfaite entre la poussée de la pensée et le soulèvement de nos pas .
On marche pour reprendre le rythme, trouver un souffle, faire le point, mener large, estimer, sous peser, considérer, recevoir, voir, revoir, arpenter, mesurer, profiter, embrasser de la langue et du regard. Retrouver, rejoindre, fuir, s'éloigner, découvrir, apprendre, oublier. Marcher comme voyager.
Une marche est toujours personnelle, essentielle. A deux, et plus … ? cela devient une promenade, une balade, cela peut être un échange, une conversation, presque des vacances, presqu'un loisirs..…
Mais marcher seul , marcher c'est une expérience. Marcher longtemps, loin, à en oublier que l'on marche , marcher bien, dans le sens qui nous convient, pour aller là où on a décidé d'aller. Une marche, pas une errance, marcher comme on ouvre sa route. Comme on trace une voie. Marche comme on respire, comme une priorité, une nécessité.
Inutile de rappeler la qualité de l'écriture de Sylvain Tesson. Certains passages valent leur pesant de kilomètres ! C'est un art, écrire.
Écrire c'est comme marcher, ce n'est pas faire n'importe quoi.
Sylvain Tesson est grand écrivain, et grand marcheur.
Mais souligner, oui souligner, l'extraordinaire justesse du regard qu'il porte sur les terres qu'il arpente. Sur ces terres de la campagne française, de ces terres de l'hyper ruralité , leur beauté, et leur raréfaction, cette « campagne du silence , du sorbier et de la chouette effraie » mais également sur toutes nos « autres » campagnes , sur leur désaffectation, leur démembrement, remembrement, démantèlement, délabrement, aménagement, déménagement, ...enterrement. Un paysage comme le corps d'un pays. Un corps, une âme, un esprit. de ces ruralités sur un fil ballottées...
Mais pas de pessimisme !! C'est un journal d'espoir. Naturellement optimiste.
Là nous aussi nous n'avons pas le choix. Quitter l'autoroute toute tracée de l'hyper productivité . Allez vite, trop vite, pour finir où ? Tourner à vide dans nos non sens illusoires ?
Alors... retrouver les chemins noirs comme on redonne souffle et vie à un tissu naturel.
Marcher et se remettre en route. Donner un sens, choisir son but. Écrire son chemin
Sylvain Tesson a écrit son journal de marche : départ le 24 août – sud est , arrivée le 08 novembre – nord ouest .
Il signe ici une très belle diagonale.
En route Tesson ! …prochaine destination ?

Astrid Shriqui Garain
Commenter  J’apprécie          385
Prendre les chemins de traverse est le trajet le plus direct vers la découverte.

Marcher à l'ombre des routes de grand passage, allonger le pas loin des lignes droites éclairées par une fausse lumière, permet de faire un double voyage. le voyage du corps dans l'espace, qui éveille nos sens, en des lieux qui laissent une trace profonde et durable en nous, car oubliés ou méconnus, et le voyage de l'âme, tant il est vrai que l'isolement favorise les déambulations intérieures.

Qu'il est bon de marcher dans les pas de Sylvain Tesson, en suivant cette diagonale (qui n'est pas celle d'un fou) faite de tours et de détours, de passages de haies, de sauts de ruisseaux, de veillées réchauffées par le feu ancestral, de sommeils ou d'insomnies sous les arbres centenaires.

Quiconque a eu le bonheur de connaître le déroulé d'un bivouac prolonge la lecture de ces chemins noirs dans ses propres souvenirs. le bon voyage se fait par la plante des pieds, on ne découvre jamais autant qu'à la vitesse de nos jambes, en sachant ralentir et s'arrêter pour contempler, se poser.

Sylvain Tesson, cet auteur-aventurier qui manie la plume comme le piolet, a fait le choix de se relever de son accident de funambule par la plus belle des manières, en avançant pas à pas sur des sentiers détournés, solidifiant ce corps abîmé en tissant, au fil des rencontres, un récit qui enchante et qui donne envie de basculer sous la futaie.
Commenter  J’apprécie          372
En écoutant Sylvain Tesson dans son intervention lors de l'émission de la Grande librairie, je me suis fait une fête d'apprendre la parution de son dernier ouvrage : Sur les chemins noirs. D'une part il y évoquait, une fois n'est pas coutume de sa part, un périple en notre hexagone. D'autre part, et plus attendu par moi, il nous promettait un ouvrage d'exploration tant de ce qui subsiste de sentiers pittoresques en notre campagne profonde - à son grand regret revue et corrigée par le remembrement et l'urbanisation débridée - que l'exploration de ses chemins intérieurs. J'escomptais alors quelque introspection philosophique intimiste de la part de qui, après un accident dont les séquelles visibles ne sont certainement pas les plus traumatisantes, avait entraperçu l'éblouissement de la nuit éternelle.

Mais les chemins noirs sont restés obscurs. Ô pudeur quand tu nous tiens ! L'homme est resté aussi impénétrable que les ronciers qui lui ont barré la route. Vivre est-il une joie ou une souffrance pour ce boulimique du temps et de l'espace, je ne saurai le dire. Il ne sait que trop bien se dissimuler derrière son formidable sens de la formule et les confidences attendues le sont restées. le périple intérieur s'est transformé en un inventaire des balafres infligées au temple sacré de la Nature. Une profanation pour qui ne cherche pas son dieu dans la voute céleste mais dans les replis de la terre. Car lorsqu'on parle de nature avec Sylvain Tesson, il faut y mettre un N majuscule. "Il avait Dieu, je me contentais du monde". Fallait-il qu'il aille le saluer ce dieu végétal et minéral, audible et respirable, le remercier du sursis consenti après cette chute qui aurait dû le tuer.

La France en diagonale ne vaut que 150 pages. Et la qualité n'a pas compensé la quantité. Après un stress hydrique de plusieurs mois pour ce cep suceur de cailloux, on espérait une concentration en sucres, littéraires ceux-là. Mais il a fallu recourir à la chaptalisation, et là ça été l'overdose. Cela donne un ouvrage sans chaleur, le distillat d'un esprit ensauvagé contraint à une course grimaçante dans des espaces domestiqués. Une convalescence de rouleau compresseur opiniâtre qui refuse de se laisser dicter sa conduite par une colonne vertébrale brochée.

L'instinct de conservation est quand même là. Il écoute les recommandations de la faculté de médecine au point de préférer le viandox à la bière ou à la vodka. La frustration est palpable. Cela présage de l'attente fébrile d'un autre départ dans les épaisseurs de la taÏga ou autre aridité à dos de chameau. du sérieux que diable !

Voilà un ouvrage hexagonal qui témoigne aux yeux de son auteur de la place de notre vieux pays, lifté comme une vieille actrice de cinéma, dans le concert des nations. Cela reste quand même une formidable répartie de bout de plume dans lequel les rencontres humaines ne servent malheureusement qu'à la relance de l'inspiration pour la chaîne de montage des bons-mots.

La convalescence, certes active, du corps a été à mes yeux aussi celle de l'inspiration pour cet auteur qui m'avait séduit sur les traces des grognards de Napoléon ou dans la cabane au bord du lac Baïkal. A moins que ce ne soit notre pays qui n'inspire plus ?
Commenter  J’apprécie          375
Déception ! Ce parcours du sud au nord est loin du magnifique 'Dans les forêts de Sibérie'. L'écrivain a entrepris cette longue marche à la suite de son accident. Aucune émotion, des rencontres banales, une certaine amertume dans les propos. L'impression de lire du vide.
Commenter  J’apprécie          368




Lecteurs (5813) Voir plus



Quiz Voir plus

Sur les chemins noirs (Sylvain Tesson)

Dans quelles circonstances Sylvain Tesson est-il tombé du toit ?

Il y était monté pour faire des réparations.
Il y était monté pour se rendre intéressant.

15 questions
47 lecteurs ont répondu
Thème : Sur les chemins noirs de Sylvain TessonCréer un quiz sur ce livre

{* *}