J'aime marcher et j'aime lire. Et depuis peu, j'aime les récits de marcheurs.
J'ai déjà accompagné
Jean-Paul Kauffmann le long de la Marne, et Flavien le Mouroux le long de la Méridienne Verte.
Alors forcément, je me suis dit qu'une traversée de la France avec
Sylvain Tesson que j'avais croisé dans une cabane en Sibérie, serait plutôt agréable.
Et la magie opère. La marche même littéraire, apaise. Comme une prière, qui vous reconnecte avec le monde et vous fait à la fois ressentir combien vous en faites partie, et combien vous êtes minuscule fasse à l'immensité.
L'autre bon côté de la marche littéraire, c'est les inconvénients qui sont, il faut l'avouer, bien estompés. Non pas que je ne m'imagine pas bourlinguer à travers la France, mais je pars avec quelques handicaps :
- Je suis totalement dépourvue de sens de l'orientation et j'ai un peu de mal à lire une carte ; je suis de ces gens qui tournent la carte pour voir où ils doivent aller.
- Je ne sais pas monter une tente,
- Je n'ai jamais dormi à la belle étoile,
- J'ai un peu de mal (petite litote) à ne pas prévoir un minimum les choses.
En contrepartie, j'ai quelques prédispositions :
- J'ai été initiée à la marche par une grand-mère sans voiture.
- Je suis de ceux qui sont capables de se lever 1h plus tôt pour commencer leur journée par une petite trotte, été comme hiver.
- Je suis convaincue que l'on peut flaner et se perdre partout : en ville, en campagne, en bord de mer. Trouver ce parcours différent, des chemins de traverses moins directs mais bien plus charmants. J'ai des ambitions de ce que les slaves appellent un chodek une espèce de marcheur vagabondant.
-Le confinement a décuplé mon envie/besoin de marcher, au grand désarrois de mes enfants et mon mari.
-Je pratique les chemins noirs sur les longs parcours en voiture en ne prenant pas l'autoroute. C'est déjà une sacrée aventure.
Et je l'envie ce marcheur !!! Cette liberté infinie qu'il s'accorde pour quelques semaines. Caler son rythme sur celui de la nature, de son corps, des rencontres et traverser le pays sur les plus petits chemins possibles, parfois guère plus grands qu'une trace de sanglier entre les fourrés. Un véritable exploit, car dans un si petit pays, difficile d'échapper à la civilisation, même s'il faut organiser (je ne peux pas m'en empêcher) sa pitance et son coucher.
La marche fut agréable. Ponctuée de bons mots, de regards différents, lucides et grinçants sur la vie de l'humain en ce début de XXIème siècle.
Parfois quand même il m'agace le gars. On retrouve son côté sale gosse arrogant et attachant déjà perçu
Dans les forêts de Sibérie et que fort heureusement il n'a pas perdu avec son accident. On se réjouit d'ailleurs que les suites de son accident lui fassent découvrir les moujiks locaux et les patelins paumés aux noms qui ressemblent à des appellations de fromages.
Et l'on se surprend à s'imaginer à son tour partir au fil des rives, sans portable, sans horaires. Juste marcher vers soi. L'antithèse du confinement. Il faudrait inventer un mot pour la vie après confinement, plus élégant que déconfinement qui fait trop penser aux sonorités négatives de la déconfiture. Un mot qui caractérise l'envie d'aller où on veut sans contrainte et ne plus utiliser les écrans pour être soi-disant avec les gens. Je dirais presque "cheminaller". Aller par les chemins. Un cheminement physique, qui s'accompagne toujours d'un cheminement de pensées. C'est pas mal ça non ? Cela me semblerait bien en titre de ce récit d'ailleurs. Les chemins noirs c'est trop noir. Je n'adhère pas avec le titre.
Le reste est savoureux, entre les paysages cachés, les villages endormis, les rencontres de personnages sortis tour à tour d'un roman de
Giono ou d'une publicité immobilière pour la vie bucolique dans les campagnes françaises. On ressent bien ces petits cailloux qui roulent sous la semelle, le premier rayon de soleil qui atteint la peau après une nuit au grand air, l'odeur du bistrot du coin, singulier mélange de café, pastis, chien mouillé et désodorisant de toilettes. Les branches qui craquent quand on passe sur un sentier et qui dérangent un animal invisible qui s'enfuit dans un bruit de feuilles chiffonnées. Et puis la mer, au bout du chemin, pour prendre une bouffée d'immensité iodée.
Alors, faut-il le lire ? Oui. Et marcher.