"Oreille-de-chien" (Un lugar llamado oreja de perro) est le nom donné à une région située dans la province de la Mar, au Pérou (région d'Ayacucho), composée de différents hameaux, très difficiles d'accès. L'endroit a été durement frappé par le terrorisme pendant les années 1980.
Les paysans indiens y ont été tués indistinctement par les guérilleros et par l'armée. le narrateur, un jeune journaliste, est envoyé dans cette région pour couvrir la visite du président Alejandro Toledo, qui souhaite lancer un programme social destiné aux populations andines, un geste politique fort et hautement symbolique.
Nous sommes quelques années après la chute du président Fujimori et la fin de la guerre sale entre le Sentier lumineux et l'armée régulière péruvienne.
Dans ces montagnes, le journaliste de Lima, qui vient de connaître une rupture sentimentale douloureuse et encore vivement marqué par la mort de son jeune fils, va s'éprendre d'une habitante de cette région peu favorisée et va découvrir un autre visage de son pays et de lui-même.
Un livre tout en finesse et en atmosphère, qui restitue fort bien l'ambiance particulière de cette région des Andes difficilement accessible. Les tensions ethniques et culturelles y sont fortes. C'est un récit de voyage: celui d'un jeune journaliste qui va couvrir un événement politique à plus de trois mille mètres d'altitude sur la cordillière des Andes et c'est aussi un voyage "spirituel" qui projette le narrateur à l'intérieur de lui-même.
Un très beau récit qui donne un regard neuf sur le Pérou actuel et les régions avoisinantes, à l'heure des politiques de la mémoire et de la mondialisation.
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« Je ne me souviens pas qui a dit que les hommes devraient faire tous les jours, pour le bien de leur âme, deux choses qui leur déplaisent. Sans doute un sage et je peux dire que j'ai respecté scrupuleusement ce précepte, puisque tous les jours je me suis levé et je me suis couché. »
Un journaliste couvre la visite d'un président dans un village. En arrière fond, la violence d'une sale guerre, entre armée régulière et Sentier lumineux, des populations indiennes et une garnison. Des personnages se croisent, s'aiment sans que l'on puisse mesurer les réels investissements des un-e-s et des autres, en proie à des morceaux de passé douloureux.
Jazmin enceinte, possiblement d'un viol, le narrateur qui couche avec elle et semble séduit par l'anthropologue Maru, sous le regard ironique et photographique de Scamarone. Mais ce narrateur n'est pas seul, une lettre de rupture de Monica, dont on ne connaîtra pas le contenu, la présence de la mort accidentelle de son fils Paulo. Une autre lettre de Tomas.
Passé et présent se mêlent, souvenirs, dont une Mercedes Benz rouge, érosion des temps, meurtre. le temps semble pesant à Oreille-de-Chien.
Une belle écriture, un univers à la fois dense et un peu magique.
Que trouver lorsqu'on se cherche ?
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Certaines existences passent d’une vague à l’autre, limitées par la mer elle-même, elles tournent toujours autour du même rivage, jusqu’à finir par échouer sur le sable, comme des baleines épuisées, lasses de la vie.
D’autres existences se déplacent d’une mer à l’autre, des mers de profondeur inégale, ayant leur propre climat intérieur, leur carte de navigation, leurs monstres marins, leurs bêtes, leurs plages différentes, leur propre odeur de mer.
Ces vies sont propulsées d’un océan à l’autre, des mers superposées, peut-être simultanées, et elles ne peuvent manquer de sombrer dans chacun de ces océans, jusqu’au fond, sans limite.
Il en va ainsi de la vie de Mónica et de ma propre vie. Énormes et resplendissants, étranges et inépuisables sont les océans où nous avons eu à explorer la vie, les mers où nous sommes immergés.
(p. 116-117)
Ce qu'il y a de plus triste, de vraiment malsain chez les animaux, c'est qu'ils finissent par nous ressembler, si horribles et différents qu'ils soient. Voilà peut-être ce que nous sommes. Notre vie n'est peut-être que la synthèse d'une série de comportements animaux.
Et ils ne sont pas toujours agréables.
Nous faisons rire les personnes dont nous voulons être aimés, comme les singes. Nous sommes fidèles à nos amis, comme les chiens. Nous mangeons les fruits avec les mains, comme les lapins. La nourriture ballonne nos joues et nous la mâchons lentement, comme les rats. Nous cessons d'être nous-mêmes, nous changeons de peau, comme les serpents.
Nous profitons des autres, comme les vautours. Nous finissons par pisser sur ce que nous croyons être à nous, comme les félins.
Nous rions comme les hyènes. Paniqués, nous donnons des coups de griffes, comme les ours.
Monica m'a donné un premier baiser en mettant ses lèvres en forme de bec, comme un oiseau.
Ou comme un animal extraordinaire, incompréhensible, un ornithorynque.
Quand son utérus portait le poids de Pablo, elle ressemblait à un marsupial. Une longue et gracieuse mère kangourou.
Et moi, souffrant après la mort de Paulo, lorsque j'étais tenaillé par l'insomnie, durant ces nuits de veille, accroché à son dos et à sa respiration également fébrile, j'étais devenu un animal vulnérable, un animal en voie de disparition.
On voit bien que tu es vierge en matière politique, mon vieux, je ne sais pas pourquoi on t'envoie dans ce type d'opérations. Le truc est facile à comprendre: en l'espace de cinq ans, le plus pourri des bonshommes peut devenir un saint, dit-il. Cet Indien de Toledo a l'entention d'être candidat à la présidentielle en 2010. Et tu sais contre qui il espère pouvoir se présenter? Contre Fujimori, bien sûr. Tout repartira de zéro.
C'est une affaire qui se joue sur le long terme.
Il est probable que ce soit Alan Garcia qui gagne les élections grâce au vote des bourgeois et de la classe moyenne, ceux qui ont été le plus durs avec lui lors de son premier gouvernement. C'est-à-dire qu'il est passé du statut de délinquant, de fou, d'escroc de cynique et de corrompu à celui de sauveur du pays.
Je ne me souviens pas qui a dit que les hommes devraient faire tous les jours, pour le bien de leur âme, deux choses qui leur déplaisent. Sans doute un sage et je peux dire que j’ai respecté scrupuleusement ce précepte, puisque tous les jours je me suis levé et je me suis couché.
Elle raconte que sa mère a été emmenée par des policiers quand elle avait onze ans. C'était en 1991. Ils sont entrés chez elle et ils l'ont emmenée, tout simplement.
A l'époque elle vivait dans un hameau aussi petit qu'Oreille-de-chien. Elle n'a jamais compris pourquoi ils l'ont emmenée. En réalité, ils ont emmené beaucoup de gens cette nuit-là car il y avait une grève, les grévistes étaient armés et les policiers envoyés en renfort avaient pris peur.