Scolariser consiste d’une part à développer les facultés d’abstraction et de technicité requises par les systèmes rigoureux de caractère linguistique ou algorithmique, d’autre part à inhiber les traits incontrôlables et dysfonctionnels de fantaisie, d’imagination, d’imprévisibilité, de turbulence, etc. La philosophie même, encore trop floue, trop ouverte aux réflexions personnelles, est en train de passer à la trappe. Il s’agit pour l’organisme social de former des agents parfaitement initiés au maniement de l’appareil socio-économique, et respectueux avant tout de son mode d’emploi. Cette conception pédagogique est fondée sur le principe de compétition, à l’instar du système qu’elle sert. La réussite de chacun se mesure à l’échec des autres. La performativité du dispositif de production entraîne, par une nécessité interne ou par un dysfonctionnement structurel, des troubles caractériels généralisés, des toxicomanies, des psychoses, des suicides d’adolescents, etc. L’extension planétaire de ce qu’on appelle euphémiquement l’économie de marché a donné un caractère de transcendance à ce principe impitoyable de concurrence. Borderline, ce nouveau leitmotiv de la psychiatrie, disions-nous, pourrait s’appliquer au champ social dans son ensemble : le système se règle sur la ligne de partage entre l’intégration et la marginalisation. Dès la maternelle, l’écolier est placé devant cette alternative décisive, économiquement vitale – du moins voudrait-on le faire croire – mais humainement dévastatrice : se montrer performant, ou craquer.
Bien sûr, la perspective d’une humanité bactérienne est pessimiste, défaitiste, et elle ressortit, avouons-le, à une rhétorique de la provocation. Peut-être devrions-nous plutôt nous considérer en état de guerre contre un pouvoir qui n’est plus politique mais médiatique. Celui-ci exerce unilatéralement un conditionnement qui n’a de communicatif que le nom sur une masse indistincte, majoritairement silencieuse, constituée de victimes plus ou moins complices. L’enjeu de cette guerre, subtil, ambigu et pourtant décisif, c’est l’image. Dans ce domaine, l’école, qui se trouve évidemment du côté du pouvoir et de l’obscurantisme, entretient sciemment un analphabétisme débilitant et une vulnérabilité propices à toutes les manipulations, de manière à former des citoyens dociles. [...]
Paradoxalement, le véhicule tel que nous l'entendons communément, c'est-à-dire l'engin de transport mécanique, est apparu avec la sédentarisation.