Lors de la passionnante entrevue avec des lecteurs Babelio,
Kim Thùy a dévoilé que c'est une incroyable photographie de Chick Harrity qui était à l'origine de ce très beau roman : un bébé qui dort dans une boîte en carton, sa main qui en sort touchant celle d'un petit garçon recroquevillé contre la boîte. Deux orphelins dans la rue, à Saigon, en 1973, en pleine guerre du Vietnam. le genre de photo qui vous bouleverse.
Kim Thùy a imaginé le destin de ces deux enfants, devenus adultes.
Ce qui est très impressionnant, c'est qu'en seulement 150 pages, elle est parvenue à une épure riche de sens et très prenante émotionnellement. Rare un roman qui dit autant, avec autant d'intensité, avec un tel art de la concision. Tout le contexte de la guerre du Vietnam est évoqué, mais de façon subtile, par touches, remontant même à l'Indochine française et à ses plantations d'hévéas. Rien n'est occulté des tragédies des ces deux époques : l'exploitation des coolies et le droit de cuissage, le massacre de My Lai en 1968, le recours à l'épandage d'herbicides défoliants ( agent orange notamment ), mais aussi l'opération Babylift de 1975 qui permet l'évacuation de milliers d'orphelins vietnamiens adoptés par la suite aux Etats-Unis.
Et pourtant, Em est un roman tourné vers la vie, lucide et optimiste. On entend des mots sans colère, ni haine, ni rancune, des mots qui respirent de façon apaisé, presque calme. Comme si le Bien se faufilait dans les fissures du Mal. Les personnages sont tous plein de drames et de larmes, mais ils avancent : Tam née à l'époque indochinoise d'un colon et d'une coolie, survivante d'un massacre, sauvée par sa nounou ( magnifique personnage, incarnation de la loyauté et de l'altruisme, qui coud sous ses vêtements les bijoux qui vont payer à sa protégée l'éducation occidentale à) laquelle elle aurait eu droit sans le meurtre de son père ) ; Em et Louis, les deux orphelins métis nés de mères vietnamiennes et de pères GI's, qui seront en quête d'identité.
C'est dans ce faisceau de personnages poignants que l'illustration de la couverture résonne. Réalisée par l'artiste canadien Louis Boudreault, elle est juste sublime. Des fils tissés qui sortent d'une boîte en carton. Au départ, les chapitres, très courts, sont peints comme des tableaux impressionnistes, sans lien apparent. Et puis à mesure que l'auteure tisse son récit qui se déploie tel un kaléidoscope plein de sens. Pas grave si la rencontre presque magique tissée entre les deux orphelins semble complètement improbable dans la vraie vie, on y croit à cet incroyable destin. le récit touche ainsi au conte pour célébrer la résilience et surtout l'amour, tellement simple là où est la vie n'est que complexité. Les fils se cousent, s'assemblent avec une belle liberté, certains ne seront pas noués ou n'arriveront pas à destination.
Avec son écriture ciselée, ses phrases peaufinées avec minutie, ce subtil roman distille un charme et une sagesse qui ne peuvent que toucher par leur générosité jusqu'à son titre polysémique : «Em », « petite soeur » ou « petit frère », « bien-aimé.e » en vietnamien, prononcé « aime » en français.