Colibri, l'album du jeune auteur et éditeur bordelais
Guillaume Trouillard, a remporté jeudi 24 janvier le premier prix BD des lecteurs de Libération. Une belle consécration pour cet album à l'encre et l'aquarelle qui dénonce avec force et originalité la dégénérescence du capitalisme moderne.
Article de Libération du 24 janvier 2008 "
Colibri piégé" d'
Eric Loret
"Et le gagnant est. un album tout en aquarelle et en paradoxes d'un jeune auteur et éditeur qui n'était dans aucune sélection et a échappé à la plupart des médias. Voilà qui augure bien des capacités de renouvellement du neuvième art pour 2008. Ce premier lauréat d'une série qu'on espère longue nous rassemble et vous ressemble : vous, lecteurs qui avez voté sur Liberation.fr, et nous, la rédaction, qui l'avions sélectionné avec neuf autres ouvrages.
Début janvier, nous vous avions soumis une liste concoctée en compagnie de Jean «Moebius» Giraud, le célèbre dessinateur de Blueberry et de l'Incal. Pour en arriver là, nous nous étions câlinés, mordus, engueulés, réconciliés, chacun s'amputant de quelques albums chéris pour boire son thé dans les tasses des autres. Il y eut donc : Gus de
Christophe Blain (Dargaud),
le Grand Autre de
Ludovic Debeurme (Cornélius),
Chroniques birmanes de
Guy Delisle (Delcourt),Murena T. 6 de Dufaux et Delaby (Dargaud), Djinn Djinn T. 2 de
Ralf König (Glénat),
Exit Wounds de
Rutu Modan (Actes Sud BD),
la Vie secrète des jeunes de
Riad Sattouf (l'Association) et
Là où vont nos pères de
Shaun Tan (Dargaud).
Mais c'est
Colibri que vous avez choisi. Voici ce qu'en disait Giraud au moment de la présélection : «C'est unpremier album quirestitue l'univers oppressant de la ville moderne avec générosité et insistance, à l'encre et l'aquarelle. Il y a le souci de faire oeuvre de dénonciation par l'absurde : le caractère dérisoire de l'individu urbain se traduit par un scénario coq-à-l'âne et une technique volontairement "proliférante".» Et c'est vrai, chers libénautes, nos semblables, nos frères, que vous n'y êtes pas allés d'avant-garde morte.
Colibri commence dans la forêt vierge. Un vieux hippie y joue de la batterie quand, soudain, il s'écroule. Une armada d'hommes en scaphandre vient alors désinfecter les lieux. L'auteur décrit ainsi son ouvrage : un «long plan-séquence guidé par le pinceau. Mais, derrière le numéro d'équilibriste,
Colibri résonne en ces temps troubles comme un manifeste écologiste, une ode aux peuples premiers, en hommage au penseur pyrénéen
Bernard Charbonneau, au compositeur Moondog et à Miyazaki». On n'ira peut-être pas jusque-là.
On se contentera d'adorer l'esthétique de la chute qui fait rebondir les dialogues à hue et à dia (à moins que ce ne soit à la Ruppert et Mulot), qui transforme les paysages et les situations, voire le graphisme lui-même, au gré de son contenu. On passe du rire à l'effroi moyennant d'habiles changements de rythme : tantôt les paysages urbains inspirés d'un voyage de Trouillard en Chine nous mettent en pause, tantôt la gymnastique rapide des corps malmène le voyage. Il y a des pubs cruelles, des éléphants en route pour le nonsense et une femme qui demande du feu dix fois avant qu'on ne lui en donne. Aussitôt, elle s'immole dans l'essence. A la page 49, un Rorschach, ou à peu près, permet à chacun de lire son avenir dans le marc de psyché. Et de penser à un capitalisme qui serait moins raté."