"Pour le dire le plus simplement possible, c'est l'histoire d'un polygame qui a une liaison". Mais comment Golden Richards, pilier de l'Eglise Mormone et à la tête d'une famille composée de 4 épouses et 28 enfants, s'est-il retrouvé dans une situation si inattendue ?
Il faut dire que Golden, depuis qu'il suit la voie du Principe de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, a une vie bien ordonnée. Enfin, disons qu'elle est bien ordonnée par Beverly, qui, en sa qualité de première de ses épouses plurales, amène ses co-épouses à décider dans quelle maison il dormira, et auprès de qui, de ce qu'il mangera et où, quels travaux il devra effectuer en premier, auprès de quel enfant il passera quelques minutes... Golden s'est inventé une comptine pour se rappeler l'ordre de naissance et les prénoms de sa nombreuse progéniture. le reste du temps, en semaine, il profite de la liberté octroyée par son travail sur des chantiers et du confort relatif de sa caravane-dortoir.
Il est bien embêté pour expliquer à ses confrères mormons et à ses femmes sur quel type de chantier sur lequel il travaille actuellement... La conjoncture est difficile, et l'argent sur le compte en banque file vite, il a donc accepté de prendre en charge la construction de l'annexe d'un... bordel, tout en assurant à ses femmes et à ses condisciples du Principe qu'il s'agit d'un bâtiment qui accueillera des personnes âgées. Entre faux alibis et demi mensonges, la petite machine bien huilée de sa vie modèle est en train de s'enrouer...
Le polygame solitaire est un petit (enfin, un gros) bijou d'humour et d'émotion, avec une analyse fine et très juste des comportements et des sentiments humains.
Les évènements nous sont relatés par Golden, le "patriarche" sans peur et sans reproche par qui tout arrive, et nous découvrons son enfance, les retrouvailles avec son père Royal, sa rencontre avec la foi et avec Beverly, son désenchantement, sa solitude sentimentale également. Nous suivons également le parcours de Trish, la femme "numéro" quatre, jolie encore, qui n'accouche que d'enfants morts-nés et qui cherchait et pensait trouver la sérénité dans sa nouvelle famille. Enfin, nous découvrons également la vie dans cette communauté au travers du regard d'enfant rebelle de Rusty, qui en pince pour sa belle tante Trish et qui s'invente des histoires pour, enfin, être autre chose qu'un numéro dans une fratrie sans fin.
Pour ma part, j'ai appris pas mal de choses sur la vie des Mormons, leurs croyances, leurs rites, leurs difficultés à co-exister avec "le monde normal", quand les enfants vont à l'école par exemple. Je me suis prise d'affection pour... tous les personnages, tant ils sont humains et attachants (même le "dragon" Beverly !). Un des tours de force de
Brady Udall est cette faculté d'amener le lecteur vers un drame dont on sent qu'il arrivera au travers d'évènements en cascade qui, paradoxalement, sont drôles voire désopilants.
Un autre point fort de ce livre est de montrer toutes les nuances que peut revêtir la solitude, la vrai, cette solitude intellectuelle et affective, que l'on peut tous ressentir à un moment ou à un autre, que l'on soit entouré ou pas. Je trouve également intéressant que, partant d'une situation "exceptionnelle", une famille Mormone, on puisse autant se reconnaitre dans les personnages ou les situations décrits, que ceux-ci soient si "normaux", ou en tout cas, communs.
Itinéraire d'un homme qui se cherche, ce livre est, comme son nom l'indique, tout en paradoxes, entre aspiration intellectuelle, spirituelle, affective, physique, besoin de reconnaissance, d'autonomie, d'accompagnement, analyse des rapports amoureux et familiaux, des modèles éducatifs, et toujours, le rire et l'émotion. Je ne peux que vous le conseiller, c'est magnifique !