Il y a une vraie filiation entre "
La Planète géante" (1957), "Tschaï" (1968) et "Les Chroniques de Durdane" (1973)… Sauf que les époques changent, et que l'auteur passé ainsi des aventure pulpienne au planet opera en bonnes et dues formes avant de s'attaquer ici à la new wave politico-sociale.
On retrouve donc une exoplanète depuis longtemps colonisée par des expatriés terriens, revenus à un niveau technologie protoindustrielle (et bloqués à ce stade en raison de la rareté des ressources en métaux), un communautarisme et un libertarisme extrême puisque chaque groupe fait comme bon lui semble et ce qui est anodin dans un patelin peut être tabou et relever de la peine capitale dans le patelin d'à côté…
On notera que la liberté tant vantée se résume trop souvent au renard libre dans le poulailler libre, alias la loi du plus fort si chère aux plus forts, car elle fait la part belle aux gourous intégristes, aux caciques féodaux, aux oligarques capitalistes et aux marchands esclavagistes… Car avec cette dystopie libertarienne
Jack Vance continue de se moquer de son pays les Etats-Unis. ^^
Chaque canton se caractérise par ses les coutumes et ses lois très distinctives. Ils sont unis par une langue commune et par la soumission à l'Anome, tyran anonyme qui fait office de cour d'appel pour tous les pétitionnaires du pays qui peuvent s'adresser à lui par écrit moyennant finance. Sauf que ses lois se cantonnent à appliquer les règles locales édictées par les tyrans locaux, et qu'il n'y qu'une seule peine : la mort. Car à sa puberté, chaque individu se fait poser un torque explosif autour du cou et à la moindre incartade BOUM !
Un concept fascinant, qui aurait dû nous amener sur la pente glissante du totalitarisme… Oui mais, non, le concept clé est complètement sous-exploité car ce qui intéresse Vance c'est moins la révolte de Gastel Etzwane contre l'ordre établi que son l'odyssée à travers le continent de Shant et ses cultures exotiques et bariolées…
Nous suivons dans un premier temps le jeune Mur, destiné à devenir Famane Bougozonie selon son père-par-l'âme le Grand Mâle Osso, mais qui veut devenir Gastel Etzwane en hommage à Dystar son père biologique. Il est né dans un canton dirigé par la secte religieuse des Chilites qui pratique la Dichotomie Absolue entre les sexes avec des hommes destinées aux taches spirituelles et des femmes reléguées à l'intégralités des tâches matérielles. Impossible de m'enlever de la tête l'épisode de l'anime "Ulysse 31" intitulé « Les Révoltées de Lemnos ».
Cette partie là est particulièrement bien écrite donc bien traduit par
Patrick Dusoulier. L'écriture est à la fois très intimiste et très sensorielle, et on vibre et on tremble avec cet enfant qui résiste puis s'oppose à l'endoctrinement avant de devenir acteur de son destin en prenant ses cliques et ses claques.
Dans un deuxième temps nous découvrons le continent de Shant à travers les yeux de Gastel Etzwane qui veut échapper à la malédiction du torque tout en trouvant le moyen de délivrer sa mère Eathre de son contrat d'indenture qui se résume à un CDI d'esclave. Mais une fois la somme rassemblée pour la libérer, il s'aperçoit qu'il est trop tard car elle fait partie des victimes de l'invasion des barbares Rogushkoïs contre laquelle l'Anome n'oppose absolument aucune résistance…
Cette partie là est aussi bien écrite donc bien traduite par
Patrick Dusoulier. J'ai trouvé que les pérégrinations avec les gabiers des lignes aériennes d'abord (qui m'ont fait penser aux marins du Mississippi), avec les ménestrels des Verts foncé – Azur – Noir – Rose ensuite, ressemblaient à celles de Tom Sawyer et d'Huckleberry Fin. Et effectivement, il y a quelque chose de
Mark Twain chez
Jack Vance (tous les deux grands voyageurs devant l'Eternel) !
Dans un troisième temps nous suivons la révolte de Gastel Etzwane contre le système qui lui a pris sa famille, Mais comment vaincre un tyran sans visage dont chaque individu rencontré peut être le serviteur caché ? C'est une partie espionnage pour débusquer l'Anome et ses Bénévolences, entre les jeux "Qui est-ce ?" et "Intrigues à Venise" de Leo Colovini. Et on retourne contre lui les armes d'un régime d'inspiration totalitaire… pour découvrir que la dictature se résume à la soumission des individus audit régime d'inspiration totalitaire. Ne jamais sous-estimer le pouvoir de la peur et la séduction de la résignation…
Le projet est séduisant et durant pas mal de temps j'ai été séduit. Las, chassez le naturel et il revient au galop donc Vance retombe dans ses défauts.
On connait le sexisme de l'auteur, on s'en passerait bien volontiers, mais ici il persiste et signe plus que jamais avec un tiers de ce court roman dédié à une dystopie sexiste avec des hommes s'adonnant au mysticisme religieux pour échapper au péché originel du passage par le portail génital appelé « souillure femelle », et des femmes corvéables à merci et prostituées de force… Et on apprend par un observateur extérieur comment fonctionne vraiment cette communauté qui a fait du sexisme une religion à la fin du tome 1 (un comble car à ce moment là, ben on n'en a plus rien à carrer des Chilites qui ont définitivement disparu du cycle) : elle se résume à une secte d'illuminés camés qui vivent du proxénétisme et du trafic de drogues… J'aurais aimé croire qu'on était dans le deuxième degré et qu'on caricaturait le christianisme (vous savez, cette religion qui a accordée une âme aux femmes à une voix près…), mais on connaît
Jack Vance et ses opinions sur la question qui de son premier à son dernier livre n'a pas manqué une occasion de railler le sexe faible qui devait le rester pour le bien de l'humanité et qui ici s'en donne à coeur joie en brocardant des suffragettes se suicidant avec des tampons empoisonnés… (Soupir)
Le héros est motivé par l'affranchissement de sa mère puis de sa vengeance, mais c'est traité artificiellement puisqu'au même aux moments clé il ne manifeste guère d'attachement à cette dernière. L'auteur essaie de rattraper le coup avec quelques séquences émotions, mais c'est tellement maladroit que c'est plus pire en fait. Et je ne parle même pas de sa soeur qui elle est passée carrément à la trappe... Et que pense le héros quand il croise sa première bombasse ? « Je la veux ! Elle sera à moi !!! » (Soupir)
Et je n'oublie pas le grand discours révolutionnaire qui tourne à l'eau de boudin quand on s'attarde en détails salaces sur le mode de reproduction des barbares Rogushkoïs… (Soupir)
Au-delà des mauvaises ellipses qui font vieillir le héros de plusieurs mois ou plusieurs en une lige au beau milieu de tel ou tel passage, les personnages entrent et sortent du récit un peu n'importe comment. OK on est dans un récit picaresque, mais autant de personnages qui ne sont pas présentés qui apparaissent et disparaissent au cours d'une péripétie ou d'un dialogue passé un cap c'est saoulant. A un moment le héros s'attarde sur un épisode de son passé que si l'auteur l'a raconté, doit se résumer à quelques lignes (j'ai parcouru le tome en long en large et en travers, mais je l'ai pas retrouvé tel qu'il avait été repris…). le pire c'est quand même Ifness, frère caché de l'Anacho du "Cycle de Tschaï" annonçant quelque part "Les
Chroniques de Cadwall", qui dans les 3 tomes du cycle est un deus ex machina ambulant qui arrive, part et revient à chaque fois qu'il faut relancer l'intrigue, parfois en dépit du bon sens ! (surtout quand il passe son temps à faire le contraire de ce qu'il dit…)
Cela aurait été tellement mieux d'en faire un vieil opposant à l'Anome plutôt boqué dans désirs de révolution par le port de son torque, voyant en Gaste Etzwane le sans torque l'allié rêvé pour abattre le régime honni… plutôt que d'en faire un savant terrien qui ne doit pas intervenir sur ses sujets d'études mais qui passe son temps à intervenir avant de laisser tout le monde en plan pour faire avancer ses pions au sein de son petit cercle intello prout prout…
Mais ce qui m'a le plus énervé, c'est le concept clé du torque explosif. Non seulement Il est trop peu exploité, mais en plus est l'objet d'une méga incohérence scénaristique. le héros passe son temps à vouloir échapper à la pose du torque, et précise qu'il doit en avoir un faux pour échapper aux négriers divers et variés et le passage où on lui enlève est très bien fichu… mais je n'ai jamais trouvé le passage où on lui en avait posait un ! Là on est l'erreur d'écriture qui aujourd'hui ne passerait pas le stade de corrections, roman picaresque ou pas… Or il ne s'agit pas de textes remaniés par les éditeurs, mais bien de la "Vance Integral Edition" revue et corrigée par l'auteur lui-même !
En bref, un univers fascinant et des thématiques intéressantes, mais des personnages trop légers et une intrigue assez perfectible sur le fond comme sur la forme. L'imagination de l'auteur est au service du voyage, toujours éminemment dépaysant, mais pas de l'histoire qui manque d'approfondissement et qui une fois de plus se termine plus ou moins en queue de poisson… (mais ne partez pas, je vais dire plein de choses bien sur le tome 2 ! blink)