Par la force du poétique et du merveilleux,
Boris Vian crée dans
L'écume des jours une histoire d'amour lumineux et tragique entre Colin et Chloé, et son univers fantastique déshabille une société injuste et fausse, son style transforme la boue en beauté et garde l'humour très noir en basse continue. Jongleur habile avec les mots, il en improvise, les modèle, les module et les arrange en free jazz aux dièses soutenus et bémols inattendus, dans des mouvements surprise, qu'il transforme en plaisir exaltant, grisant et déconcertant. Alchimie qui transforme en or les mots valise, les métonymies, les néologismes, les contre pétries, les doubles sens et les non-sens.
Léger, insouciant et ensoleillé au début, quand "les souris de la cuisine aimaient danser au son des chocs des rayons de soleil sur les robinets" et quand Colin pouvait alimenter son briquet avec des gouttelettes de soleil, le roman s'assombrit au fur et à mesure et les notes deviennent graves avec la maladie de Chloé, sans pour autant oublier leurs écharpes fantaisistes et ludiques. le merveilleux fait irruption dans le réel, indifférent à l'espace et au temps, à la logique et ses conséquences.
Roman déroutant pour tous ceux qui additionnent deux et deux sachant déjà qu'ils vont faire quatre, roman enchanteur, partition enchantée pour tous les autres, ceux qui acceptent avec grand plaisir l'invitation du pianocktail aux plaisirs gustatifs, auditifs et sensuels, et celle aussi d'un nuage rose descendant de l'air pour les envelopper et leur faire sentir le sucre à la cannelle.
Roman surrexvagant, je veux dire surréaliste et extravagant, un chorus de jazz, un swing chaleureux fragile et douloureux au tempo cool jusqu'aux accords très puissants, où le piano style jungle de Duke et la trompette-plume de Boris, avec un clin d'oeil à Jean-Sol Partre prennent le risque d'une audace sans pareil pour donner rendez-vous au merveilleux. La forme donne au roman sa chair, le fait vivre, et le style impersonnel crée une distance, aucunement une indifférence, une vision imagée d'une réalité délestée de la pesanteur du concret.
A chaque lecture
L'écume des jours vient avec de nouvelles et surprenantes inflexions, incandescentes, fraîches et solaires dont l'extraordinaire souplesse célèbre une vie restée jeune depuis plus de 70 ans.
"Si vous aimez le jazz, dites-vous bien que plus vous en parlerez, plus vous en entendrez parler", nous dit-il dans une des colonnes du journal Combat. Pareil pour
L'écume des jours.