Il ne faut jamais manquer une occasion de parler de Marc Villard, encore moins de le lire. D'autant plus quand le texte en question est précédé d'une phrase d'
Henri Calet.
Jacques Tramson, Tramson pour tout la plupart et Tram pour quelques uns est éducateur à Barbès depuis un bout de temps. C'est la troisième fois que l'auteur narre ses aventures, d'abord dans «
Rebelles de la nuit » en 1987, puis en 1993 ça été «
La porte de derrière », et enfin celui-ci, «
Quand la ville mord » en 2006. Depuis 2019, les trois romans sont regroupés dans «
Barbès Trilogie ».
Tram connait Barbès par coeur, ses misères et ses gloires, les vivants comme les morts. C'est un personnage d'une rare humanité. Dire qu'il défend la veuve et l'orphelin n'a rien de caricatural, il s'échine à rattraper des gosses et des ados, à les sortir de la zone, du crack, de la prostitution, de tous les maux qui gangrènent ce quartier parisien qui n'a rien à vendre ni à montrer que son caniveau.
L'histoire est aussi banale que sordide : Sara arrive du Congo la tête pleine de rêves, se retrouve dans un squat de Barbès, dépendante de Brigitte et Omar, un couple de proxénètes. Au cours de ce bref roman, on la voit lutter pour garder la tête haute, rester fière.
Sara a pour héros Pollock, et surtout Basquiat dont l'ombre plane du début à la fin, elle dessine entre deux passes, peint dès qu'elle peut avec ce qu'elle trouve ; jusqu'à ce que sa colocataire et amie soit assassinée. Alors le roman se transforme en fuite, en vengeance ; la tête de Sara est mise à prix.
C'est vers Tramson qu'elle va se tourner, il peut l'aider à s'éloigner de Barbès, à dégager du trottoir. Quitte à dépasser outrageusement ses attributions d'éducateur en employant des moyens qui ne laisse guère le choix aux adversaires.
Marc Villard est un romancier et un nouvelliste talentueux et prolifique, c'est également un grand styliste. Il est bon de rappeler qu'il a débuté en littérature dans les années 70-80 avec des recueils de poèmes. Il y a des passages, des phrases où ça tombe comme une évidence. Il a une écriture d'une aisance quasi insolente, parler de musique des mots n'est pas un cliché, c'est scandé comme du rap, saccadé comme du be-bop.
Comme souvent dans ses livres, «
Quand la ville mord » propose une vision, un regard sur Paris loin d'Instagram. La ville apparaît telle qu'elle est, cradingue, cruelle. Chez Villard, la géographie n'est pas qu'un décor, la ville, Paris, Barbès font intimement partie du livre, le quartier est un personnage, au même titre que Sara et Tramson, Zina et Cooper ou encore Mario et Kaba. Ça peut se lire avec une carte du quartier, et/ou avec Streetview sur le téléphone, comme ça on a le dédale de Barbès sous les yeux. Et bien sûr avec la musique à fond : presque à chaque page, les
Art Pepper, Elvis Presley, Dennis Bovell, Bill Hurley et d'autres, posent leurs voix, jamais de tocards, que des cadors.
On peut très bien lire «
Quand la ville mord » sans connaître les deux autres, c'était mon cas il y a peu. C'est vrai qu'à lire les trois, on voit Tramson prendre quelques rides et une trâlée de coups, Pigalle se lézarder et s'enfoncer, pendant que l'écriture et le style de Villard se modifient, se bonifient.
Lisez «
Quand la ville mord », mieux, lisez «
Barbès Trilogie », ce sera trois fois plus de plaisir et puis comme ça vous ferez connaissance avec Abdullah le sage. Il n'existe aucune bonne raison de refuser de lire ces trois cents soixante-dix pages puissantes.