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Les Rougon-Macquart tome 18 sur 20
EAN : 9782253003670
542 pages
Le Livre de Poche (01/03/1974)
3.86/5   897 notes
Résumé :
Dix-huitième volume des Rougon-Macquart, L'Argent est le premier grand western financier des temps modernes : bilans falsifiés, connivences politiques, fièvre spéculative, manipulations médiatiques, rumeurs, scandales, coups de Bourse et coups de Jarnac, lutte à mort entre les loups-cerviers de la finance qui déjà rôdaient chez Balzac.
S'inspirant de quelques faits divers retentissants, Zola décrit le culte nouveau du Veau d'or, la vie secrète de son temple, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (73) Voir plus Ajouter une critique
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sur 897 notes
L'argent... tiens, tiens, ça me dit quelque chose en ce moment... Un peu comme si une frénésie d'argent s'emparait de tout et de tout le monde avec des airs de jouer au ballon... Mais non, j'ai dû me tromper de sujet, il n'y a aucun rapport entre le sport et l'argent... Les joueurs ne sont pas une marchandise cotée en bourse... euh...

L'Argent, oui, nous y sommes en plein, L'Argent, un des plus magnifiques livres des Rougon-Macquart, selon moi, où l'on suivra cette fois Aristide Rougon, le frère du ministre, nommé Saccard, qu'on avait déjà vu à l'oeuvre dans La Curée, livre auquel je vous renvoie pour comprendre les raisons de ce changement de nom.

Ici seront moins détaillés les vices et les dérives du luxe comme dans La Curée (ou Nana) et l'angle de vue sera davantage focalisé sur les mécanismes financiers, un peu à la manière d'Au Bonheur Des Dames qui détaillait quant à lui la mécanique marchande.

Nous retrouvons Aristide, quelques années après ses déboires de la fin de la Curée, en pleine forme, as de la finance, mais emporté comme toujours par son euphorie du jeu et de l'argent facile sur un coup de dé. Il est sujet, dans sa frénésie du gain, à la perte totale de contrôle, quitte à faire tomber tout le monde dans son sillage. Cela ne vous rappelle pas certaines affaires récentes ou moins récentes et un certain Jérôme Kerviel (et tellement, tellement d'autres) ?

Dans ses tractations, le délit d'initié est roi. Cela ne vous rappelle pas l'affaire EADS (entre autres) ou plus anciennement Pechiney et son lien avec le pouvoir de l'époque (Mitterand). Ici, c'est Huret, l'homme de main du ministre et frère de Saccard (voir le n°6 Son Excellence Eugène Rougon).

Mais aujourd'hui il n'y a plus rien à craindre de ce genre puisqu'il n'y a plus aucun lien entre les hommes de pouvoirs et de finance (aucune élection qui soit pilotée, aux USA ou ailleurs, par des gros financiers, même pas un petit Sarkozy qu'on essaierait de caser, même pas le frère de l'ancien président à un poste important au MEDEF, rien, tout ça c'est du passé, maintenant tout est propre, à gauche comme à droite, l'intégrité fait loi !).

Bref, on est surpris de voir à quel point rien n'a changé, à quel point la finance était, est et restera une gigantesque magouille légale, qui fait ce qu'elle veut, et qui dicte aux politiques leur marche à suivre.

Saccard me fait penser à Jean-Marie Messier, génial tant qu'il gagnait, bon à jeter aux cochons quand l'empire s'écroula. Tous les rats de la bourse quittent évidemment le navire au premier tangage et seuls restent sur le carreau les petits actionnaires qui ont toujours une guerre de retard car ils ne jouent pas dans la même cour. Je le dis à tout hasard mais ça ne vous rappelle pas un scénario de 2008 ?

Le texte de Zola est extrêmement documentaire et décrit quasi intégralement le scandale de la banque Union Générale en 1882, désignée dans le roman sous le nom L'Universelle. Gundermann est le financier juif concurrent du fervent catholique et monarchiste Saccard. On reconnaît sans peine le portrait de James de Rothschild sous Gundermann et de Paul Eugène Bontoux sous Saccard même si historiquement, les deux hommes ne se sont jamais affrontés car James de Rothschild est mort avant même la création de la banque de Bontoux.

Autre personnage étrange du roman, Sigismond, le frère chétif du plus abject charognard du roman, communiste convaincu auquel Zola fait dire des tirades pleines d'utopie et qui annoncent déjà en quoi le communisme était voué à l'échec avant même d'avoir vu le jour.

C'est donc un chef-d'oeuvre visionnaire que vous avez là sous les yeux, un quasi essai, un texte, à beaucoup d'égards, plus journalistique et documentaire que romanesque. À lire absolument si l'on souhaite ouvrir un peu son regard sur la manière dont fonctionne le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. Un monde qui, je crois, répond plus que jamais à cette description — cruellement réaliste —, mais ce n'est là que mon avis, à ne pas prendre pour argent comptant, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Dix-huitième opus de la série des Rougon-Macquart, qui a pour personnage central Saccard, que l'on avait vu dans La Curée, accumuler des profits douteux dans la spéculation immobilière, opérations qui s'étaient retournées contre lui. Brouillé avec son frère ministre,, il conserve cependant des rêves de gloire et met sur pied une entité nébuleuse, la Banque Universelle, destinée à financer des travaux de grande envergure au Moyen-Orient. La machine est en route, Saccard attire dans ses filets des petits épargnants, en quête de profits faciles et rapides. Tout semble se dérouler sans obstacle, jusqu'à ce que Saccard pris d'une folie mégalomaniaque, gonfle artificiellement la valeur de ses actions en les achetant avec les fonds de la Banque (à l'aide d'un prête-nom, bien entendu). Même sans être un expert de la finance, on se doute bien de l'issue du processus.

Le peu recommandable Saccard traîne d'autres casseroles : ainsi ses instincts animaux l'avaient jetés sur une pauvre jeune fille, de façon si violente qu'il lui démit l'épaule. de cette agression naît un garçon, rapidement orphelin, et sorte de synthèse de l'hérédité délétère chère à Zola. Un couple d'usuriers tente de faire chanter celui qui signa une reconnaissance de dettes en faveur de la jeune mère sous le nom de Sicardot.

Au milieu de toute cette bassesse, se dresse le beau personnage de Caroline, secrètement éprise du sinistre Saccard, et prête à bien des actions en douce pour le sauver de ses propos démons.

Peu passionnée par le fonctionnement des finances et de la spéculation, j'ai cependant lu avec intérêt tout ce qui concerne l'addiction et l'appât du gain facile, et qui a entraîne vers la ruine toute une population d'épargnants modestes, perdant toute raison devant l'envolée des valeurs boursières. Zola s'est fortement inspiré de scandales réels de la fin du 19è siècle , juste avant le début de la guerre conte les Prussiens.

L'un des personnages, frère de l'usurier, est disciple convaincu de Karl Marx et est persuadé que la fin de ce système politique de croissance a fait son temps. Cent cinquante ans plus tard, on en est toujours là.


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"L'argent", dix-huitième volet des Rougon-Macquart, nous emmène dans le monde de la finance, où nous retrouvons Aristide Saccard, toujours aussi détestable. Dans "La curée", on avait déjà eu un avant-goût de cet être extravagant, qui n'a pas hésité à sacrifier sa famille pour arriver à ses fins. Dans "L'argent", il va beaucoup plus loin, lui qui se veut « le maître du monde », voulant anéantir « cette sale race juive », démontrer que lui aussi a cette « construction particulière de la cervelle, les mêmes aptitudes que la race juive ». D'une ambition à toute épreuve, il voit grand, trop sans aucun doute, en veut toujours plus alors que les millions de francs poussent comme une mauvaise herbe. Il veut la prospérité, la richesse, la reconnaissance, la célébrité. Et il les aura... avant de connaître la faillite et la ruine, sans oublier d'entraîner tout son petit monde avec lui (n'est pas Aristide Saccard qui veut !).

Pour la construction de son histoire, Émile Zola a suivi point par point le Krash de l'Union Générale (1881-1882), à l'issue duquel le banquier Bontoux, ruiné, a été condamné à cinq ans de prison. Mais ici, on ne parle pas de l'Union Générale, mais de la Banque Universelle. On ne parle pas des Rothschild, mais de Gundermann (banquier juif, ennemi juré de Saccard). Et évidemment, on ne parle pas non plus d'Eugène Bontoux, mais bel et bien d'Aristide Saccard. Il y est, comme le titre de cet ouvrage l'indique, uniquement question d'argent : tout se joue sur la place de la Bourse de Paris et tout tourne autour d'elle et des ambitions extravagantes de Saccard.

On baigne donc, tout au long de notre lecture, dans un milieu que je n'ai pas du tout trouvé attirant. Comme à son habitude, Zola connaît son sujet et nous le décrit superbement, toujours de manière très réaliste. Mais il a fallu que je m'accroche pour ne pas me perdre, même si l'auteur se répète souvent. Car il nous parle de spéculations, d'actions et de cotes boursières, de placements, de primes, d'intérêts, de liquidations, de crédits, de reports/déports, de transactions et de dividendes. Les nombreux personnages sont tour à tour banquiers, courtiers, agents de change, remisiers, commis, haussiers/baissiers, coulissiers, receveurs, coteurs, spéculateurs, liquidateurs, actionnaires, etc. de quoi se mélanger les pinceaux... Et je ne parle pas de toutes les magouilles, de l'achat de la presse et des politiques, tout comme de cette haine récurrente envers les Juifs.

Il est clair que je n'ai sans aucun doute pas tout compris à ce "jeu de la Bourse", passe-temps pour les uns, véritable addiction pour les autres. Ce milieu, dans lequel on achète et vend des actions avec facilité quand on a des milliers de francs plein les poches, met en avant des personnages abjects pour la plupart. Et pourtant, même si ce tome ne figurera pas dans mes préférés de la série, j'ai une nouvelle fois apprécié ma lecture.

"Plus on gagne d'argent, plus on en redemande" : c'est ce que Zola tient à démontrer dans son roman par le biais de ses personnages spéculateurs et/ou profiteurs, qui sont pour la plupart écoeurants. Pas la peine de préciser que je les ai détestés et qu'il me tardait les voir touchés par la faillite (oh que je suis méchante !)... Et pourtant, quelques-uns sortent du lot (comme Mme Caroline et son frère, la princesse Orvieda, ou encore M. Dejoie), et sans être attachants, on espère pour eux une fin moins dramatique (mais c'est mal connaître l'auteur...). Je constate que Saccard s'en sort bien, encore une fois, et c'est quelque peu enrageant...

La lecture fut donc un peu compliquée, à cause de tous ces termes spécifiques et le grand nombre de personnages. Mais j'ai finalement appris beaucoup, et l'auteur se répète souvent, nous permettant de mieux intégrer les différents procédés financiers. J'ai aimé suivre le déroulé des événements, les différentes étapes qui ont conduit d'abord à la prospérité et au succès, pour se terminer dans la faillite, pourtant prévisible dès le départ.
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♫ Argent, trop cher
Trop grand ♪
La vie n'a pas de prix, pas de prix ♬

Je continue de cheminer de manière chronologique dans la saga extraordinaire des Rougon-Macquart et me voici parvenu à présent au dix-huitième roman.
À l'entame de cet opus, je n'y allais pas avec le même enthousiasme ressenti au cours de mes précédentes lectures.
On le sait puisqu'il s'en est confié, Émile Zola s'est ici inspiré directement du krach de l'Union générale.
Malgré le sujet un peu austère et quelque peu rébarbatif a priori, - avouons-le ce thème pourrait éloigner la narration d'un récit romanesque, il y a cependant indubitablement une construction artistique qui fait de ce récit un très beau roman de Zola, un de ses meilleurs du reste, car le véritable thème de ce récit n'est pas l'argent mais tout ce qui imbrique autour de l'argent, personnages, intrigues, manoeuvres, désirs, passions, dérives abyssales...
C'est un roman sur la vie et qui vient faire sens avec le long cheminement qui serpente, couture l'oeuvre des Rougon-Macquart et visite le destin de ces deux familles. La vie, telle qu'elle est, dans sa force, dans sa violence et dans ses désillusions...
Zola ne fait pas de l'argent une cible sur laquelle il envisage de déverser sa bile. Ici, l'écrivain à aucun moment n'attaque ni ne défend l'argent, il se contente de décrire ses conséquences dans sa manière d'opposer les classes aisées aux classes pauvres et d'en tresser des histoires. La question sociale vient forcément, inévitablement, s'entrelacer dans l'intrigue du récit.
Ici, comme toujours, ce roman peut être lu pour la première fois sans tenir compte de la genèse qui porte l'ampleur de l'oeuvre des Rougon-Macquart. Cependant et je vous le conseille, si vous avez suivi les précédents volumes, vous reconnaîtrez le personnage principal dans sa fourberie, sa cupidité, son avidité de fortune, son hypocrisie, sa manière de sans cesse se retourner, s'esquiver dans une situation délicate ou dangereuse, j'ai nommé Aristide Saccard, frère du ministre Eugène Rougon, qu'on avait déjà vu amasser une fortune colossale dans La Curée. Après une succession de mauvaises affaires, il doit repartir de zéro, mais son ambition est demeurée intacte. Entre temps, il a retrouvé fortune, - ces gens-là ont une capacité à rebondir qui m'a toujours sidéré -, loue deux étages d'un hôtel particulier à Paris où il installe sa banque qu'il vient de créer et qu'il nomme la Banque Universelle, destinée à financer des projets de mise en valeur du Moyen-Orient. Tout est fait pour attirer petits et moyens épargnants, auxquels on promet des gains faciles et rapides. Mais voilà, on ne se refait pas, Aristide Saccard a l'idée de pousser son désir d'enrichissement un peu plus loin en rachetant des actions émises par sa propre banque, qu'il rachète sous un autre nom, tout ceci construit un édifice de sable qui ne tardera pas à s'écrouler.
Il faut lire ce roman mal-aimé comme un récit dramatique, disant du monde de la Bourse ce qu'est peut-être le monde qui tournoie autour de nous, tente de nous gouverner, malgré nos rêves et les papillons qui frétillent dans nos ventres.
Zola décrit ici des scènes saisissantes de réalisme ou la Bourse devient une arène à l'image d'une Rome antique, ce sont des fauves dans l'arène qui se jettent en pâture sur les plus faibles.
Puis vient forcément le moment fatidique...
Derrière l'histoire d'une ascension vertigineuse, effroyable, sans scrupules, celle d'un homme avide de tout, vient s'entremêler plusieurs narratifs, dont celui de l'antisémitisme dans la concurrence financière qui s'affronte sous ce Second Empire. Je retrouve ici l'écrivain que j'aime tant, peintre de l'âme humaine, fidèle aux faits, attentionné aux valeurs qui l'ont toujours guidé, toujours prenant le pouls de son temps pour nourrir son dessein qui demeure universel encore à mes yeux.
Les personnages, puisqu'il m'est permis dans dire deux ou trois mots, sont comme toujours ciselés à merveille, jamais manichéens. Émile Zola nous permet d'approcher certaines facettes improbables et nuancées d'Aristide Saccard dont j'ai apprécié l'ambivalence tout en détestant le personnage, sous le regard étonné, épris d'une certaine Caroline, magnifique personnage féminin du roman qui lui donne de la lumière, touchante à bien des moments, que j'ai parfois trouvé cependant bien naïve et trop complaisante avec le sieur Saccard, mais l'amour a ses raisons... Si c'était si lisse, y aurait-il des romans ? Elle aide cependant par son regard à questionner sans cesse le personnage principal et je reconnais que ce procédé habile est une prouesse littéraire à mettre à l'actif de l'auteur.
Pour donner envie aux amateurs de Zola et qui seraient quelque peu freiné par le thème, je rapprocherai volontiers cet opus de celui du Bonheur des dames, on y retrouve le même cheminement, ici l'emprise financière remplace le besoin de consommation, le décor change, les acteurs changent, mais l'axe narratif reste inchangé. de l'excellent Zola !
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Nous retrouvons Aristide Saccard qui avait brassé tant de millions dans La curée, largement cocu et en passe d'être ruiné à la fin du roman. Nous voici 12 ans plus tard : après de sérieux revers de fortune, Saccard a tout perdu et il a dû vendre son superbe hôtel de la rue Monceau pour payer ses créanciers. Mais la rage de réussir tenaille toujours l'ancien spéculateur immobilier et c'est vers la Bourse qu'il tourne des regards avides. Hélas, il se chuchote que l'Empire court à sa fin : de prochaines élections pourraient le renverser et la guerre menace. « Est-ce que cet empire qui l'avait fait, allait comme lui culbuter, croulant tout d'un coup de la destinée la plus haute à la plus misérable ? » (p. 12) Et la Bourse est très sensible au climat politique : y entrer demande des nerfs d'acier, une solide connaissance de l'actualité, mais aussi un goût pour le jeu et le pari, surtout s'il est fou, hors normes.

Sachant ne pouvoir compter que sur lui-même, et certainement pas sur Eugène Rougon, son ministre de frère, Saccard fait fi des menaces qui planent : il lance ses dernières économies et toute son énergie dans la création de la Banque universelle, société de crédit destinée à financer de grands projets en Orient. « Rien n'était possible sans l'argent, l'argent liquide qui coule, qui pénètre partout. » (p. 154) Pour constituer le capital, Aristide Saccard attire de pauvres gens aux maigres économies, des nobles déchus rêvant de gloire retrouvée et toute une traîne de profiteurs qui espèrent d'enrichir dans la juteuse affaire.

L'homme est convaincu de sa haute intelligence financière et persuadé de faire fortune, pour une fois de façon durable. Aux quelques amis qui lui recommandent la prudence, notamment parce qu'il joue avec l'argent des autres, il répond plein de morgue qu'il connaît son métier. « Non, vous pouvez être tranquille, la spéculation ne dévore que les maladroits. » (p. 166) Et les premiers temps, la Bourse semble lui donner raison : la valeur des actions de la Banque universelle ne cesse de monter et Saccard savoure sa victoire et sa domination retrouvée sur les autres financiers parisiens. Mais la fièvre le gagne : voulant sans cesse augmenter la valeur de ses actions, il achète ses propres titres en catimini pour faire croire à une demande incessante. La manipulation est habile, mais risquée puisque l'édifice bancaire risque alors de s'effondrer sur lui-même. À cela s'ajoute une sordide histoire d'enfant naturel qui ressurgir après des années de silence.

Après La curée qui dénonçait les pratiques frauduleuses des spéculateurs immobilières et La terre qui peignait un tableau sans concession de l'avarice paysanne, L'argent est le point d'orgue d'une fièvre de possession. Nullement échaudé ou guéri après ses premiers échecs, Saccard se laisse dominer par une obsession de richesse sans mesure. « L'argent, l'argent roi, l'argent Dieu, au-dessus du sang, au-dessus des larmes, adoré plus haut que les vains scrupules humains, dans l'infini de sa présence. » (p. 274) Dans le milieu boursier où l'argent ne se compte qu'à millions, rares sont ceux qui semblent capables de se maîtriser. Parmi eux, il y a les juifs qui, tout au long du roman, sont accusés des pires malversations et à qui l'on prête les pires desseins. Voilà hélas un cliché qui a la vie dure.

J'avais un peu peiné sur Son excellence Eugène Rougon et les longues considérations politiques sur le clientélisme. Ma lecture de L'argent a été encore plus difficile. Il faut tout de même relativiser puisque j'ai lu les 500 pages de ce volume en 3 jours, mais les descriptions de la Bourse et autres mécanismes financiers m'ont parfaitement barbée ! Heureusement, toujours aussi puissante et aiguisée, la plume d'Émile Zola sait emmener son lecteur dans une histoire où le sordide se dissimule souvent derrière les rideaux. Je ne suis pas déçue de cette lecture, mais j'en sors soulagée. Émile, mon chéri, entre amis, il ne faudrait jamais parler d'argent.
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Citations et extraits (198) Voir plus Ajouter une citation
Le frère de Busch, Sigismond, un garçon de trente-cinq ans, imberbe, aux cheveux châtains, longs et rares, se trouvait là, assis devant la table, son vaste front bossu dans sa maigre main, si absorbé par la lecture d’un manuscrit, qu’il ne tourna point la tête, n’ayant pas entendu la porte s’ouvrir.
C’était une intelligence, ce Sigismond, élevé dans les universités allemandes, qui, outre le français, sa langue maternelle, parlait l’allemand, l’anglais et le russe. En 1849, à Cologne, il avait connu Karl Marx, était devenu le rédacteur le plus aimé de sa Nouvelle Gazette rhénane ; et, dès ce moment, sa religion s’était fixée, il professait le socialisme avec une foi ardente, ayant fait le don de sa personne entière à l’idée d’une prochaine rénovation sociale, qui devait assurer le bonheur des pauvres et des humbles. Depuis que son maître, banni d’Allemagne, (...) lui végétait de son côté, dans ses rêves, tellement insoucieux de sa vie matérielle, qu’il serait sûrement mort de faim, si son frère ne l’avait recueilli. (...) Ce frère aîné adorait son cadet, d’une passion maternelle, loup féroce aux débiteurs, très capable de voler dix sous dans le sang d’un homme, mais tout de suite attendri aux larmes, d’une tendresse passionnée et minutieuse de femme, dès qu’il s’agissait de ce grand garçon distrait, resté enfant. Il lui avait donné la belle chambre sur la rue, il le servait comme une bonne, menait leur étrange ménage, balayant, faisant les lits, s’occupant de la nourriture qu’un petit restaurant du voisinage montait deux fois par jour. Lui, si actif, la tête bourrée de mille affaires, le tolérait oisif, car les traductions ne marchaient pas, entravées de travaux personnels ; et il lui défendait même de travailler, inquiet d’une petite toux mauvaise ; et malgré son dur amour de l’argent, sa cupidité assassine qui mettait dans la conquête de l’argent l’unique raison de vivre, il souriait indulgemment des théories du révolutionnaire, il lui abandonnait le capital comme un joujou à un gamin, quitte à le lui voir briser.
Sigismond, de son côté, ne savait même pas ce que son frère faisait dans la pièce voisine. Il ignorait tout de cet effroyable négoce sur les valeurs déclassées et sur l’achat des créances, il vivait plus haut, dans un songe souverain de justice.
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Depuis une minute, Saccard était là, à regarder tomber l'averse, lorsque, dominant le roulement de l'eau, une claire sonnerie de pièces d'or lui fit dresser l'oreille. Cela semblait sortir des entrailles de la terre, continu, léger et musical, comme dans un conte des Mille et une Nuits. Il tourna la tête, se reconnut, vit qu'il se trouvait sous la porte de la maison Kolb, un banquier qui s'occupait surtout d'arbitrages sur l'or, achetant le numéraire dans les États où il était à bas cours, puis le fondant, pour vendre les lingots ailleurs, dans les pays où l'or était en hausse ; et, du matin au soir, les jours de fonte, montait du sous-sol ce bruit cristallin des pièces d'or, remuées à la pelle, prises dans des caisses, jetées dans le creuset. Les passants du trottoir en ont les oreilles qui tintent, d'un bout de l'année à l'autre. Maintenant, Saccard souriait complaisamment à cette musique, qui était comme la souterraine de ce quartier de la Bourse. Il y vit un heureux présage.
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[Madame Caroline: Une humaniste à la curiosité universelle]
p. 69 Dans leur ménage, elle était un peu l'homme. Georges, qui lui ressemblait beaucoup physiquement, en plus frêle, avec des facultés de travail rares; mais il s'absorbait dans ses études, il ne fallait point l'en sortir. Jamais il n'avait voulu se marier, n'en éprouvant pas le besoin, adorant sa sœur, ce qui lui suffisait. Il devait avoir des maîtresses d'un jour, qu'on ne connaissait pas. Et cet ancien piocheur de l'École polytechnique, aux conceptions si vastes, d'un zèle si ardent pour tout ce qu'il entreprenait, montrait parfois une telle naïveté, qu'on l'aurait jugé un peu sot. Élevé dans le catholicisme le plus étroit, il avait gardé sa religion d'enfant, il pratiquait, très convaincu; tandis que sa sœur s'était reprise par une lecture immense, par toute la vaste instruction qu'elle se donnait à son côté, aux longues heures où il s'enfonçait dans ses travaux techniques. Elle parlait quatre langues, elle avait lu les économistes, les philosophes, passionnée un instant pour les théories socialistes et évolutionnistes; mais elle s'était calmée, elle devait surtout à ses voyages, à son long séjour parmi des civilisations lointaines, une grande tolérance, un bel équilibre de sagesse. Si elle ne croyait plus, elle demeurait très respectueuse de la foi de son frère. Entre eux, il y avait eu une explication, et jamais ils n'en avaient reparlé. Elle était une intelligence, dans sa simplicité et sa bonhomie; et, d'un courage à vivre extraordinaire, d'une bravoure joyeuse qui résistait aux cruautés du sort, elle avait coutume de dire qu'un seul chagrin était resté saignant en elle, celui de n'avoir pas eu d'enfant.

p. 201 Les semaines qui suivirent, Mme Caroline vécut dans un grand trouble moral. Elle n'avait plus sur Saccard d'idées nettes. L'histoire de la naissance et de l'abandon de Victor, cette triste Rosalie prise sur une marche d'escalier, si violemment, qu'elle en était restée infirme, et les billets signés et impayés, et le malheureux enfant sans père grandi dans la boue, tout ce passé lamentable lui donnait une nausée au cœur. Elle écartait les images de ce passé, de même qu'elle n'avait pas voulu provoquer les indiscrétions de Maxime certainement, il y avait là des tares anciennes, qui l'effrayaient, dont elle aurait eu trop de chagrin. Puis, c'était cette femme en pleurs, joignant les mains de sa petite fille, la faisant prier pour cet homme; c'était Saccard adoré comme le Dieu de bonté, et véritablement bon, et ayant réellement sauvé des âmes, dans cette activité passionnée de brasseur d'affaires, qui se haussait à la vertu, lorsque la besogne était belle. Aussi arriva−t−elle à ne plus vouloir le juger, en se disant, pour mettre en paix sa conscience de femme savante, ayant trop lu et trop réfléchi, qu'il y avait chez lui, comme chez tous les hommes, du pire et du meilleur.


p. 202 D'ailleurs, elle était femme de clair bon sens, elle acceptait les faits de la vie, sans s'épuiser à tacher de s'en expliquer les mille causes complexes. Pour elle, dans ce dévidage du coeur et de la cervelle, dans cette analyse raffinée des cheveux coupés en quatre, il n'y avait qu'une distraction de mondaines inoccupées, sans ménage à tenir, sans enfant à aimer, des farceuses intellectuelles qui cherchent des excuses à leurs chutes, qui masquent de leur science de l'âme les appétits de la chair, communs aux duchesses et aux filles d'auberge.
Elle, d'une érudition trop vaste, qui avait perdu son temps, autrefois, à brûler de connaître le vaste monde et à prendre parti dans les querelles des philosophes, en était revenue avec le grand dédain de ces récréations psychologiques, qui tendent à remplacer le piano et la tapisserie, et dont elle disait en riant qu'elles ont débauché plus de femmes qu'elles n'en ont corrigé. Aussi, les jours où des trous se produisaient en elle, où elle sentait une cassure dans son libre arbitre préférait−elle avoir le courage d'accepter les faits, après l'avoir constaté; et elle comptait sur le travail de la vie pour effacer la tare, pour réparer le mal, de même que la sève qui monte toujours ferme d'un chêne, refait du bois et de l'écorce. Si elle était maintenant à Saccard sans l'avoir voulu, sans être certaine qu'elle l'estimait, elle se relevait de cette déchéance en ne le jugeant pas indigne d'elle, séduite par ses qualités d'homme d'action, par son énergie à vaincre, le croyant bon et utile aux autres.

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C'était bien ce que Mme Caroline avait compris, et elle écoutait Maxime, en approuvant d'un hochement de tête. Ah ! l'argent, cet argent pourrisseur, empoisonneur, qui desséchait les âmes, en chassait la bonté, la tendresse, l'amour des autres ! Lui seul était le grand coupable, l'entremetteur de toutes les cruautés et de toutes les saletés humaines. À cette minute, elle le maudissait, l'exécrait, dans la révolte indignée de sa noblesse et de sa droiture de femme. D'un geste, si elle en avait eu le pouvoir, elle aurait anéanti tout l'argent du monde, comme on écraserait le mal d'un coup de talon, pour sauver la santé de la terre.
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Il y avait aussi là-bas des mines de charbon, du charbon à fleur de roche, qui vaudrait de l'or, lorsque le pays se couvrirait d'usines ; sans compter les autres menues entreprises qui serviraient d'entractes, des créations de banques, des syndicats pour les industries florissantes, une exploitation des vastes forêts du Liban, dont les arbres géants pourrissent sur place, faute de routes. Enfin, il arrivait au gros morceau, à la Compagnie des chemins de fer d'Orient, et là il delirait, car ce réseau de lignes ferrées, jeté d'un bout à l'autre sur l'Asie Mineure, comme un filet, c'était pour lui la spéculation, la vie de l'argent, prenant d'un coup ce vieux monde, ainsi qu'une proie nouvelle, encore intacte, d'une richesse incalculable, cachée sous l'ignorance et la crasse des siècles. Il en flairait le trésor, il hennissait comme un cheval de guerre, à l'odeur de la bataille.
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