L'on a tout dit ou presque sur cette nouvelle merveilleusement écrite par
Stefan Zweig, au crépuscule de sa vie, en Argentine, où il s'est réfugié, où il joue aux échecs pour lutter contre l'ennui, où il va baisser les armes, se suicider, avec son épouse, trop de colère, trop d'amertume, trop de dégoût vis à vis de ce qu'est devenue l'Autriche, son pays natal, en 1942.
Sur un navire, notre narrateur joue aux échec avec son épouse, puis avec un « passant », pour attirer l'attention du champion du monde d'échecs, un jeune yougoslave, Mirko Czentovic, limité intellectuellement, incapable de se représenter le jeu auquel il excelle, incapable de la moindre imagination.
Czentovic : orphelin, apathique, taciturne, indifférent, élevé par le curé de son village, il se révèle à la surprise de tous exceptionnellement doué pour les échecs. « Bien que le nouveau champion ne soit pas ressortissant de la ville au sens étroit du terme, l'esprit de clocher se réveilla très fort ».
La narrateur veut l'affronter : « Les monomaniaques de tout poil m'ont toujours intrigué ».
Czentovic n'accepte de jouer – pour respecter son contrat – que contre de l'argent, et le rendez-vous est pris, pour une partie à trois (si j'ose dire) : nos deux «compères », contre le champion, qui les balaie, sans surprise, lors de la 1ère partie.
La 2ème partie : match nul, grâce aux conseils d'un homme, M. B, au second plan. M. B qui analyse finement le jeu du champion, anticipe, brillamment ses décisions, le contraint à s'asseoir, à réfléchir de plus en plus lentement, les yeux rivés sur le jeu, jamais sur les autres.
Une 3ème partie, le lendemain, oppose le champion à celui qui s'est improvisé conseiller, qui n'a pas touché un jeu d'échec depuis 25 ans, mais qui en maîtrise les règles jusqu'à l'obsession, un manuel sur les meilleures parties, les meilleurs coups ayant été sa seule occupation, son moyen de survie, face à la torture, l'isolement, pendant une captivité imposée par les hommes de la SS. Il a survécu, mais a failli devenir fou, n'ayant d'autre choix que de plonger dans une dangereuse schizophrénie. Jouant contre lui-même, poussant l'abstraction à l'extrême. le jeu d'échec, un don de Dieu « à la terre, pour tuer l'ennui, aiguiser l'esprit et stimuler l'âme », qui lui a donné des « exercices qui rendent leur assurance à (ses) facultés intellectuelles » et a provoqué un « dédoublement de la pensée ».
L'enjeu, c'est donc cette partie entre deux hommes que tout oppose.
Tout a été dit sur l'allégorie de cette partie, le combat entre l'humanisme et la barbarie, la démocratie et le totalitarisme, la liberté et la dictature.
Mais bien modestement, je m'interroge. La nouvelle s'appelle « le joueur d'échec ». Qui est le joueur d'échec ? Nous en avons plusieurs dans le livre. La recherche du titre original met en évidence que cette question est à côté de la plaque, enfin de l'échiquier. « Schachnovelle ». Ce qui signifie : nouvelle sur le jeu d'échecs. « Schach » a la même étymologie que notre « échec ». du persan شاه , šāh. Qui veut dire Roi. En ancien français, eskec, du persan شاه مات , shâh mât (« le roi est mort ») a donné échec et mat.
Cette nouvelle sur le jeu d'échec, c'est donc un récit non pas sur un joueur, mais sur le jeu, sur la vie, sur le roi, qui se couche, ou non.
Je vis, je meurs.
Je ris, je pleure.
Je me couche, je me relève.
Ou pas.