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sur 11759 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Stefan Zweig - le Joueur d'échecs -1943 : Alors que ce formidable petit livre (à peine cent pages) semblait s'attacher au personnage fantaisiste d'un champion d'échecs vulgaire et dénué de toute finesse en dehors de son talent pour cet art, l'apparition d'un inconnu qui le battait à plusieurs reprises lors d'une croisière remettait en cause la trame supposée de l'histoire. Cet homme providentiel qui ravalait l'orgueil et l'impolitesse du maître envers les autres passagers en lui faisant subir quelques défaites humiliantes n'avaient pourtant rien des passionnés habituels de ce jeu. Au contraire même, celui-ci semblait considérer les échecs comme un passe-temps dérisoire, comme une occupation somme toute inintéressante. C'était là où le talent de Stefan Zweig surpassait celui de bien des conteurs de son époque. Alors que le sujet du roman semblait bien en place une deuxième histoire bouleversait à nouveau la conduite du livre. En se confiant au narrateur le héros sorti de nul part faisait entrer le lecteur de plein pied dans l'appareil de répression mis en place par le système nazi pour écraser ses opposants. En effet cet homme qu'on imaginait volontiers en guerre contre le mal restait enfermé de longs mois seul dans une pièce sans aucun contact ni aucune distraction autre qu'un petit livre traitant des plus grandes parties d'échecs de l'histoire qu'il réussissait à subtiliser à un de ses geôliers. Jour après jours pour éloigner la folie qui le menaçait l'homme rejouait dans sa tête les coups gagnants de prêt de deux cents parties célèbres. Alors que le temps s'égrainait lentement, ce petit livre était pour l'homme comme un rempart contre la folie et le désespoir que les bourreaux voulaient lui faire subir en le plongeant dans la pire des solitudes. N'ayant jamais trahit ses compagnons de résistance, il était relâché la tête pleine de combinaisons qui transformaient chaque partie de son cerveau en une case d'un vaste échiquier. Cette nouvelle fut publiée alors que Stefan Zweig et sa femme s'étaient déjà donné la mort au Brésil pour protester contre la nazification de l'Autriche leur pays natal.

Sans parler de justification pour un geste presque aussi fou que le régime hitlérien lui même, il flottait dans ce livre l'odeur nauséabonde de l'oppression et du malheur qui poussa l'écrivain à commettre le sacrifice ultime... un incontestable chef d'oeuvre
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C'est un petit livre magnifique,court,dense,merveilleusement écrit qui se lit d'une traite.
C'est une œuvre posthume de Stefan Zweig , publiée en 1943, qui n'a pas pris une ride.
Un illustre champion mondial d'échec ,frustre ,antipathique se fait battre par un inconnu.
Celui- ci,emprisonné dans des circonstances terribles,fin et raffiné,apprend des combinaisons par cœur,après avoir subtilisé un petit livre qui les relate.
N'ayant que ce livre à sa disposition, il l'a lu et relu, se l'est approprié.
C'est un chef d'œuvre de tension psychologique,qui montre la puissance de l'imagination,le fait que l'on peut atteindre à la folie lors d'un grand isolement et le danger extrême d'une ou de plusieurs addictions .
Pris par hasard à la bibliothèque à cause du nom du grand Stefan Zweig dont j'ai quelques titres , je vais l'acheter pour le relire.
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Il y a des livres pour lesquels je me demande pourquoi j'ai attendu aussi longtemps avant de les ouvrir.
Celui-ci est court, brillant, efficace et sans fioritures. C'est un coup de coeur pour moi.

Je l'ai lu d'une traite et avec beaucoup de frénésie. Je n'avais jusqu'alors pas encore lu de livres de cet auteur, pourtant il était dans mon programme de terminale, mais je l'avais délibérément zappé. Oui chers amis babelionautes, vous pouvez me huer ! Malheureusement à l'époque, je n'avais pas conscience du génie de cet auteur.

J'ai aimé le début de l'histoire sur le paquebot. Ensuite, au début du récit de M.B lorsqu'il raconte sa malencontreuse histoire avec la Gestapo, je me suis dit que l'auteur allait partir dans une lourde litanie. Mais quelle fut ma surprise en lisant ce passage qui constitue une histoire dans l'histoire de ce livre. J'ai adoré, j'ai trouvé ce récit d'une grande émotion. Il est empli d'obsessions et de ferveur de la part du personnage. Zweig parvient à nous faire ressentir, avec des mots simples, toute la détresse de son personnage, et c'est très fort. On comprend tout à travers ce récit.


J'ai trouvé les personnages très profonds: entre Mirko, ce personnage arrogant et si singulier qui excite la curiosité et que l'on admire du coin de l'oeil. Mac Connor l'ingénieur trop sûr de lui qui est prêt à tout pour se mettre en avant, le personnage de M.B très attachant et remarquable à la fois, sans oublier le narrateur qui nous retranscrit l'histoire et qui est le fin observateur lors de ce voyage sur le paquebot.

Un livre à lire et à relire. Si vous ne l'avez pas encore fait, foncez, car je pense que c'est une histoire qu'il faut avoir lu au moins une fois dans sa vie. Et pas besoin d'être un amateur d'échecs pour cela.
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Je suis plutôt italienne pour son côté très ouvert et spontané, mais me mets à trembler face à une londonienne, système sclérosant, fermé et assez froid. La réplique sicilienne me titille, quant à la scandinave, après avoir essuyé quelques revers, je sais à présent mieux la dompter…Et vous, pour quelle ouverture succombez-vous, face à quelle réponse tremblez-vous ?

Non, non, je ne parle pas de femmes, rassurez-vous, mais d'échecs, d'ouvertures aux échecs. Un de mes passe-temps favori qui, malgré un niveau très bas, n'est pas sans me faire faire des noeuds au cerveau et me provoquer parfois des rêves perturbés, visualisant les parties perdues et revoyant en boucle l'erreur, parfois une seule et malheureuse erreur, ayant réussi à faire tout basculer et à doucher mes espoirs. Pas la peine de vous dire que j'ai lu « le joueur d'échecs » de Stefan Zweig avec intérêt !

Mirko Czentović est un illustre champion d'échecs, champion de Hongrie à l'âge de 18 ans puis champion du monde à 20 ans. Il a la particularité incroyable pour un tel champion d'être peu intelligent, sauf aux échecs précisément. A se demander s'il n'y a pas dans le cerveau des génies des échecs une circonvolution particulière, un muscle ou une bosse propice aux échecs. Mais sinon il a eu du mal à apprendre à compter et à lire et ne sait pas écrire sans faire plein de fautes d'orthographe, peu prompt à l'imagination et à la hardiesse, il est doté d'une logique implacable et froide et ses rapports aux autres sont difficiles. Il est antipathique, arrogant, et uniquement focalisé sur sa passion. Or, un jour, il se fait battre par un inconnu, lui faisant ravaler son indélicatesse et son orgueil. Celui-ci, emprisonné dans des circonstances terribles, fin et raffiné, a appris par coeur des combinaisons, des coups tactiques, des ouvertures, dans un livre sur les échecs qu'il a volé. Seule lecture lors de son emprisonnement il l'a lu, et relu, se l'est complètement approprié.

« Toute ma vie, les diverses espèces de monomanies, les êtres passionnés par une seule idée m'ont fasciné, car plus quelqu'un se limite, plus il s'approche en réalité de l'infini ; et ces gens-là précisément, qui semblent s'écarter du monde, se bâtissent, tels des termites, et avec leur matériau particulier, un univers en miniature, singulier et parfaitement unique ».

Ce qui m'a passionné et fait écho dans ce petit livre de moins de 100 pages est la façon merveilleuse dont Stefan Zweig traite les lisières de la folie propre à toute passion engendrant isolement et addiction. Ici donc pour le joueur d'échec capable de concentrer toutes ses réflexions pendant des décennies sur « un but ridicule : acculer un roi de bois dans un angle sur une planche de bois »… La tension psychologique qui se trame est mise en valeur avec brio. Comment un jeu qui est passion et centre de toutes les pensées peut rendre petit à petit fou ? Mécanisme de l'aliénation qui m'a fait frémir…Mais en même temps, Zweig met en valeur un second personnage, lui sauvé de la folie de la guerre et du régime nazi précisément par les échecs…Deux rapports aux échecs totalement différents et inversés, deux contraires qui s'affrontent sur l'échiquier…

Voilà pour le premier niveau de lecture. le second niveau de ce livre écrit en 1941, en réalité central, est le parallèle évident que fait l'auteur autrichien entre ce champion d'échecs et les nazis, abstraction imagée du conflit mondial dont Zweig imagine très bien l'issue. Ce héros inconnu nous fait plonger dans le système nazi et le mécanisme implacable et froid pour écraser ses opposants. Et cela est d'autant plus troublant que cette nouvelle a été publiée après la mort de Stefan Zweig et de sa femme. Ils se sont en effet donné la mort pour protester contre la nazification de leur pays. Geste ultime, fatal, permettant, à leur niveau, de mettre échec et mat l'horreur.

La plume de Zweig est fluide, belle, imagée, les nombreuses réflexions sur le jeu en lui-même m'ont passionnée :

« Mais qualifier les échecs de jeu, n'est-ce pas déjà les réduire et commettre une injustice ? Ne sont-ils pas aussi une science, un art, quelque chose qui plane entre ces deux pôles comme le cercueil de Mahomet entre le ciel et la terre, une incomparable association de tous les contraires ? Très anciens et pourtant toujours neufs, mécaniques par leur dispositif, mais n'agissant qu'avec le ressort de l'imagination ; à la fois limités à un espace géométrique et figé, et illimités par leurs combinaisons, se développant sans cesse et pourtant stériles ; une réflexion qui ne mène à rien, une mathématique qui ne calcule rien, un art qui ne crée pas d'oeuvres, une architecture sans matière, mais dont l'être et l'existence sont incontestablement plus durables que tous les livres et toutes les oeuvres ; le seul jeu qui appartienne à tous les peuples et à toutes les époques, et dont nul ne sait quel dieu l'a apporté sur terre pour tuer l'ennui, pour aiguiser l'esprit, pour stimuler l'âme. Où commence-t-il, où finit-il ? »

Ce livre, sur le roi des jeux et la métaphore guerrière sous-jacente, est un petit chef d'oeuvre !

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Il y a des romans que l'on ne "lit" pas. Des romans que l'on vit, qui nous soulèvent, nous happent, nous emportent loin et haut, nous transpercent, nous font veiller tard. "Pépites" pour les orpailleurs littéraires, "bijoux" pour les esthètes, "monuments du patrimoine"... Ouvrages à plusieurs degrés de lecture, polymorphes, qui nourrissent l'intelligence.
Pourquoi ce livre m'a-t-il émue et conquise à ce point ? Parce qu'il est un remarquable ouvrage sur la dualité ? Un roman politique engagé ? Pour sa dimension symbolique et allégorique? Ce livre est pour moi la transposition la plus délicate, intelligente, sophistiquée qui soit de la perte de foi en l'homme de l'auteur, du désespoir de Zweig au moment où la barbarie nazie se répand comme une encre noire sur toute l'Europe.
Juste éblouissant.
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Un livre qu'il faut avoir lu, pourquoi ai-je attendu jusqu'à ce jour ?
Il y a quelques jours, à la lecture d'une critique sur Babelio, je me suis aperçue que "Le joueur d'échecs" était une courte nouvelle, c'est un format qu'en général je n'apprécie guère mais le thème de ma réunion à la bibliothèque est justement le jeu. Je veux le lire aujourd'hui ! Je consulte le site "ebooksgratuits.com", oh bonheur il est téléchargeable, vive ma liseuse !
Cinquante pages dévorées cette nuit et question : pourquoi ai-je attendu jusqu'à ce jour ?
J'en ressors éblouie, une histoire qui n'est pas qu'une partie d'échecs, quand M.B. raconte sa détention par la Gestapo, comment il en est sorti et se trouve sur le même bateau, par le plus grand des hasards avec le champion du Monde des échecs ; Stefan Zweig raconte cela de façon magistrale, d'une écriture très très belle. En cinquante pages, je suis devenue lectrice inconditionnelle de ce grand écrivain !
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Le joueur d'échecs, court roman d'environ cent vingt pages, a été écrit par Stefan Zweig quelques semaines avant son suicide au Brésil en 1942. Dans l'exil désespéré où il s'était relégué pour s'éloigner de la guerre déchirant l'Europe, le sujet lui avait été inspiré par un manuel d'échecs. Il s'efforçait d'y tromper son ennui en étudiant des parties jouées par des grands maîtres.

A l'opposé du joueur de hasard, tel celui qui se détruit dans Vingt-quatre heures dans la vie d'une femme, le joueur d'échecs ne compte que sur son intelligence. « Une certaine forme d'intelligence », précise Zweig, pour qui le jeu d'échecs est « une pensée qui ne mène à rien, une mathématique qui n'établit rien, un art qui ne laisse pas d'oeuvre, une architecture sans matière ».

Selon l'auteur, fasciné par les monomanies, les échecs n'en présentent pas moins autant de danger que les jeux de hasard, car celui qui s'y adonne de façon addictive peut se couper du monde réel, et sombrer dans le vide ou la folie. Mais les échecs peuvent aussi être un moyen d'expression pour des individus incapables de s'adapter au monde réel. L'idée m'a rappelé les performances de calcul ou de mémorisation dont sont capables des personnes atteintes d'une certaine forme d'autisme.

Justement, Zweig imagine une traversée sur un paquebot, où deux joueurs de nature différente se retrouvent face à face.

L'un, champion du monde d'échecs en titre, est un personnage ignare, totalement déshérité, dépourvu de culture, inaccessible à toute émotion, incapable de penser en l'absence d'un échiquier. Il m'a fait penser au personnage de Jean-Baptiste Grenouille, dans le Parfum. Rappelez-vous : cet être imaginé par Patrice Suskind, quarante ans après Stefan Zweig, ne s'exprime que dans un univers d'odeurs à un niveau suprahumain. Comme lui, alors que ses carences mentales et comportementales devraient le condamner à une vie misérable et asservie, le champion d'échecs de Zweig se montre infiniment performant dans un domaine infiniment étroit.

L'autre joueur n'a aucune expérience pratique des échecs. C'est un homme raffiné, cultivé, délicat, qu'une période dramatique de sa vie a conduit à des exercices mentaux répétés. Il a ainsi intellectualisé et mémorisé, en solitaire, un nombre considérable – je dirais même infini ! – de phases de jeu, sans visualiser d'échiquier, par la seule compilation cérébrale de coordonnées à deux dimensions. Comme le ferait un ordinateur ! Un scénario abstrait et futuriste pas facile à imaginer du temps de Zweig !

Ce second personnage avait subi des tortures mentales dans les geôles nazies. Peut-être, en décrivant le premier, Zweig avait-il en tête le profil des exécuteurs de basses oeuvres affectionnés par les gangsters et les dictateurs, auxquels il assimile les meneurs nazis. Des exécutants soumis, sans état d'âme, généralement des bons à rien, juste capables d'être des tortionnaires cruels et efficaces. Une observation des comportements des Nazis, par un homme disparu avant que l'holocauste de la Shoah n'ait été mené à son terme et révélé au monde.

Dans le joueur d'échecs, comme à son habitude, Stefan Zweig fait vivre au lecteur une succession de rebondissements tellement surprenants, que totalement captivé par la découverte de chaque nouveau contexte inattendu, on en arrive presque à ne plus se souvenir des péripéties précédentes. L'auteur accentue le caractère anxiogène de sa narration, en reproduisant habilement la lenteur structurelle du jeu d'échecs, lenteur sur laquelle il arrive aussi qu'un joueur table pour déstabiliser son adversaire.

Je me vante d'être épargné par les démons du jeu, mais je suis incontestablement addict à la démarche narrative de Stefan Zweig.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Ultime nouvelle de Zweig, « le Joueur d'Echecs » lui a été inspirée par son dernier voyage lorsque, fuyant le nazisme, il prend en 1941 un paquebot à destination du Brésil. Ecrite peu de temps avant son suicide, cette nouvelle est une sorte de testament littéraire qui témoigne de son désespoir de voir triompher la barbarie nazie. Notons qu'en allemand le titre n'a pas de connotation d'échec, il ne désigne que le jeu.

L'essentiel de l'histoire se passe pendant une traversée transatlantique en bateau. le narrateur principal de ce récit est un voyageur anonyme qui raconte l'histoire à la première personne. Il est donc un des personnages de l'histoire, la racontant en observateur, du début à la fin. L'histoire met en scène une rencontre entre deux personnages que tout oppose mais unis par une passion commune : les échecs. L'auteur, et narrateur, raconte la rencontre sur un bateau du champion du monde d'échecs Czentovic, personnage rustre, arrogant, vaniteux et cupide - pour lui le jeu d'échecs n'est qu'un moyen comme un autre de bien gagner sa vie-, et d'un certain mystérieux M.B. Le récit engendre un autre récit, plus ancien et lié aux horreurs de de la barbarie nazie. M.B. a été emprisonné par les nazis et a réussi à subtiliser un manuel d'échecs à un officier nazi, il a pu jouer seul dans sa cellule, en utilisant uniquement sa mémoire et son imagination. Ce livre est un point d'ancrage pour ses pensées, un sujet de réflexion qui le détourne de la pression de ses interrogatoires. C'est certainement ce qui l'a sauvé de la folie due à l'isolement durant son incarcération. Sorti de prison, il embarque sur un paquebot et, suite à la demande de certains passagers, se mesure à Czentovic, ce garçon inculte devenu champion du monde d'échecs.
Le contraste est saisissant entre Czentovic et M.B. ; Czentovic, presque illettré, rustre, qui ne peut que jouer sur un vrai échiquier, contre un homme raffiné qui a appris à jouer sans matériel, uniquement mentalement.

Le thème de l'isolement est très présent de cette nouvelle. L'action se déroule sur un bateau, en plein océan et à l'écart du monde. Présent notamment, lorsque M.B. raconte la terrible période de sa vie durant son emprisonnement. Il explique comment l'isolement est une torture morale plus dure que la torture physique car de nombreux sentiments apparaissent : l'ennui, la peur ou encore l'incapacité de penser, ce qui peut conduire à la folie, ou même à la mort. L'enfermement et le vide de la cellule font de l'aveu le dernier rempart contre la folie. Présent également avec Czentovic, monomaniaque renfermé sur lui-même et qui n'a qu'un seul intérêt qui tourne à l'obsession : les échecs.

Finalement la nouvelle de Zweig tient plus d'un récit sur les sources de la folie que d'un traité sur le jeu d'échecs. Elle nous parle du nazisme, de la torture morale pratiquée par la Gestapo et les tentatives de déshumanisation entreprises par les nazis. Les changements de narrateurs nous font découvrir différentes approches, et permettent d'aborder les thèmes de la monomanie, de la manipulation, la question du pouvoir, de l'enfermement et de la folie. Le suspense est maintenu tout au long de la nouvelle car il existe un véritable mystère à propos des deux joueurs d'échecs.

Stefan Zweig a analysé les comportements avec beaucoup de talent et de finesse. Pour différentes raisons, les échecs n'ont plus rien d'un jeu pour ces deux personnages. Czentovic est devenu une « personne importante et reconnue » grâce aux échecs alors qu'il était destiné à la pauvreté. M. B. a utilisé ce jeu pour survivre à la torture psychologique. L'habileté de Zweig est alors de donner vie à des portraits que tout oppose tout en évitant la caricature.
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d4 – Cf6
c4 – g6
Cc3 – d5
Cf3 – Fg7
Db3 – dxc4
Dxc4 – O-O
E4 – Ca6
Fe2 – c5
D5 – e6
O-O – …

Pendant que tu finis cette partie, je salue le commandant de bord. Il me propose une coupe de champagne. Je dois décliner l'offre, je bois allemand ce soir. N'y vois pas un hommage à cette époque. Mais les bulles me montent à la tête, alors je préfère m'allonger dans le jacuzzi du « love boat » en attendant que tu joues le prochain coup et pense aux suivants. Prends ton temps, mais pas trop, tu n'es pas à bord du Pacific Princess, la croisière s'amuse peut-être mais l'époque ne prête pas à sourire. Et tu croises ce grand champion d'échecs, Czentovic. Pauvre type, inculte et imbu. Un être supérieur et presque méprisable. Mais, il en a le droit, il est le meilleur. Et c'est pour le rencontrer que tu t'installes à cette table de jeu faite de cases blanches, cases noires, cases blanches.

La croisière continue chevauchant les vagues, naviguant vers le Sud. Cap au Sud, toujours. Pour fuir. Détaler sur les vagues, le courant emporté loin de l'ambiance délétère de cette période, celle du nazisme. Dans ce roman posthume de Stephan Zweig, il en sera évidemment question, avec une telle force qu'il laissera une empreinte dans ta mémoire. Ne pas oublier. Ces heures sombres et ces expérimentations nazies. L'isolement absolu, le silence complet entre deux interrogatoires. Des morceaux de pain, un livre chapardé face à son geôlier, et des moments inoubliables. Non, ce « roman », tu n'es pas prêt de l'oublier.

Alors que tu penses découvrir la vie de Czentovic, tu croises sur une coursive, un certain Mr B. L'histoire bascule. du champion, tu passes à cet inconnu qui se met à raconter son histoire. Passionnante, effrayante. Tu comprends son mode de fonctionnement, tu entraperçois son potentiel à ce jeu dit d'échecs. Pourquoi il joue ainsi, comment il a appris. Une histoire presque terrifiante si elle n'était pas aussi émouvante.

Un roman de Zweig est toujours une grande épreuve. Il embarque ton esprit loin des amarres, pour chevaucher la passion ou la folie. Parfois les deux même. Obsession et frénésie. Des pions, une tour, un fou, ton royaume devient aliénation. La folie te guette, les tortionnaires aussi. Mais tu ne peux refermer ce livre. Tu n'es plus libre de toi-même, ton esprit s'enferme dans ces pages, dans ces cases, à la recherche du prochain coup, de la pièce à jouer. Plus rien ne tourne autour de toi, ni la terre, ni le roulis. Seul l'espace de 64 carrés obnubile toute ton énergie et mobilise ton cerveau. Humain ? à toi de me le dire. Moi je pense qu'il faut être au-delà de l'humanité pour arriver à anticiper des dizaines de coups à l'avance. de là à imaginer que seuls les dieux ont cette capacité, ou les êtres « anormaux ». Dans les deux cas, cela signifie la folie. de mon corps, de mon esprit.

« le Joueur d'échecs », le silence, les vagues et le fou.
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Encore une fois, Stefan Zweig ne me déçoit pas...Il signe là une merveilleuse nouvelle, très différente des autres, mais aussi brillante et passionnante !

Le Joueur d'échecs est un pur enchantement. Comme dans La Confusion des sentiments ou Vingt-Quatre heures de la vie d'une femme, nous croisons des destins, qui, tout d'abord peu intéressants, deviennent, sous la plume d'un narrateur attachant, atypiques, voire exceptionnels. Dans cette nouvelle, le narrateur, se trouvant sur un bateau en direction de Buenos Aires, croise le champion du monde d'échecs, un certain Czentovic ; malgré un talent incontestable, ce dernier est antipathique, prétentieux et niais, c'est pourquoi je ne l'ai pas du tout apprécié.
Or, pendant une partie simultanée, alors que le narrateur et ses amis sont en train de perdre face au champion mondial, un homme vient à leur secours, ce qui aboutit à un match nul entre les deux camps. A partir de là, le récit se concentre sur cet étrange sauveur d'une quarantaine d'années, humble et sympathique, puisque celui-ci se confie à notre narrateur.
A travers une longue confession, nous découvrons le passé de cet homme, arrêté par la Gestapo, enfermé dans une chambre pendant un an, sans occupation, sans visite, sans contact avec l'extérieur : "on vivait comme le plongeur sous sa cloche de verre, dans ce noir océan de silence, mais un plongeur qui pressent déjà que la corde qui le reliait au monde s'est rompue et qu'on ne le remontera jamais de ces profondeurs muettes". Seul un livre consacré aux échecs le sauvera d'un ennui total, mais ne l'empêchera pas de sombrer dans la folie...

Les mots de Zweig sont tellement simples, mais vraiment captivants ; la lecture est tellement fluide que j'ai dévoré ce roman (très court, certes) sans m'en rendre compte !
Bref, je ne le répèterai jamais assez mais Zweig est un auteur que j'admire particulièrement, car il s'intéresse toujours à des hommes normaux dans différentes situations, mais il a le don d'analyser leur psychologie avec délicatesse, ce qui ne peut que nous toucher au plus profond de nous-mêmes...

A lire !!
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