[Entretien #3] Dans son dernier roman « Sniper en Arizona » Patrick Declerck nous raconte le rapport aux armes d'une Amérique conservatrice. L'auteur se penche également sur le cas français et nous révèle une règlementation et des chiffres alarmants, qui interrogent.
« Sniper en Arizona » disponible en librairie
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Il est une nécessité éthique fondamentale à ce que la société permette aux fous d'exister et de trouver protection et abri, sans contrepartie et sans espoir de devenir un jour autres que ce qu'ils sont. Il importe à la société d'accueillir décemment, humainement et respectueusement les fous qu'elle engendre (...) Il ne s'agit plus de donner pour faire changer l'autre mais uniquement de donner pour répondre à ses besoins propres.
Non, décidément, je n'aime pas l'homme.
Dans ces conditions, me direz-vous, pourquoi le soigner ? Je répondrais que si l'humanité en général a tendance à m'insupporter, j'ai, en revanche, le plus souvent plaisir à la fréquentation de l'homme singulier, de l'individu, du sujet. Lui m'intéresse, car il est à la fois meilleur et pire qu'on ne peut le supposer.
Il est probable cependant que la tranquillité du sommeil des bonnes gens soit à ce prix. Il est une naïveté provinciale de la normalité, qui n'est capable que de se concevoir elle-même, qui ne peut s'imaginer d'alternatives existentielles. Il demeure, enfin et surtout, une vieille peur des classes dangereuses, désordonnées, inintelligibles, sauvages. Une inquiétude profonde devant ceux qu'Oscar Wilde appelait "the drinking classes". (p. 327)
Clochard, exclus, nouveaux pauvres, marginaux, mendiants…Qui sont-ils ces êtres étranges aux visages ravagés ? Ces exilés qui nous côtoient, qui dérangent notre regard et suscitent nos fantasmes. Des fainéants ? Des réfractaires ? Ou des philosophes ? Révoltés, anarchistes, intellectuels parfois, faux mendiants souvent ? Les mythes ont la vie dure. On parle de choix, on cherche du côté de la volonté. On se construit une métaphysique du dynamisme et du découragement. Si bien qu’on en vient doucement – et c’était le but- à banaliser l’horreur, à annuler l’angoisse.
Plus je vieillis, plus la vie sous toutes ses formes me semble infiniment rare et précieuse. Je ne tue pas les insectes qui fréquentent mon logement. S'ils me dérangent, je les éconduis. J'ai honte de ne pas avoir (encore ?) le courage d'être végétarien.
Les souvenirs se bousculent. Les fantômes, insistants, frappent à la porte. Les morts et les vivants. Les morts vivants. Tous ceux que j'ai connus, croisés. Le temps d'un mot, d'un pansement, d'un comprimé que l'on donne parce qu'il faut bien donner quelque chose. Cohorte de l'ombre, épouvantails, ils sont là, pressants comme une envie de vomir. Écrire vite. S'en débarrasser. Se soulager. En finir enfin. Décharger le poids des visions, le goût du fiel. Poser comme un fardeau la lassitude du soir. En finir...
Un jour parmi d'autres, avec Henry, nous avons reçu un de ces presque fantômes. Oh, pas longtemps ! C'était une hypothermie de fin d'été. (p. 80)
Ne pas trop penser. Ne pas s'emballer. Ne pas lever la tête car le vertige est là. Celui du non-sens et de l’écœurement. Comme le soupçon d'un frisson à l'épigastre. Comme un appel chuchoté au cœur des heures, au fonds de soi. Ne l'écoute pas, cette sirène maudite. Ne t'arrête pas. Ne faiblis pas. Et surtout n'oublie jamais : ne dépense pas. Tu es pauvre. Pauvre. Ne relâche rien. Ne gaspille pas. Compte. Compte. Compte !
Il est pourtant d'inévitables moments de révolte. Révoltes ratées, masochistes. Pauvres révoltes. Révoltes de pauvres. Jacqueries... (p. 140)
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, en situation extrême, l'homme s'habitue très vite à l'atroce. Il est une heureuse facilité à supporter la vue du sang.
Le sang des autres, bien entendu...
Le sommeil, vieil ami du malheur. Compagnon silencieux des infortunes amères et tendres. C'est l'un des trois abris où viennent mouiller les solitaires. Les deux autres sont l'onanisme et la marche à pied. Ces trois-là sont frères et compagnons. Ils ne connaissent pas de limites, au-delà de celles du désir lui-même. Toujours possibles. Libertés, ils ne sont que de nous. Ultimes possessions. Autarciques par essence, ils sont le dernier monde de ceux qui n'en ont plus d'autres. (p. 143)
L'amour. L'âââmoûûûr. Ils n'ont que ça en tête, en langue, aux yeux, au fion. L'amour est à la fois la question et la solution. L'alpha et l'oméga. La réponse universelle. La guérison de tous les maux... Comme si l'amour ne portait pas sa part d'ombre, son ambivalence, sa haine cachée, sa destructivité dévorante... Comme s'il était autre qu'un affect. Comme si tout affect, de par son essentiellement labilité, n'était pas essentiellement suspect. Comme si, enfin, comme si surtout, la pensée n'existait pas.