Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix
autour du livre : L'homme qui vivait haut
de Virginie Troussier
enregistré le 26 aout 2023
Résumé :
Virginie Troussier enquête sur la disparition en haute montagne du médecin alpiniste Nicolas Jaeger.
Il était médecin, major de sa promotion de guides, l'un des plus brillants alpinistes de sa génération. En 1978, Nicolas Jaeger fut l'un des trois premiers Français à fouler le sommet de l'Everest. Mais plutôt que de cueillir les lauriers de la gloire, il partit en Amérique latine planter sa tente au sommet du Huascaran, à 6 700 mètres d'altitude : le docteur Jaeger voulait prouver à la médecine et à l'alpinisme que ses très longs séjours dans l'oxygène rare lui apportaient une « superacclimatation » et lui donneraient la clé d'exploits inédits en haute altitude. Il partit en solitaire vers l'immense face sud du Lhotse et disparut à jamais.
Jaeger, figure énigmatique et pudique, ne se dévoilait qu'à demi dans ses Carnets de solitude rédigés en fumant un paquet de Gitanes par jour pendant son séjour solitaire de deux mois au sommet du Huascaran. Virginie Troussier remonte le cours de sa vie et de ses pensées pour comprendre ce qui le jette, à 33 ans, vers la paroi la plus dure du monde, où sa trace se perd à près de 8 000 mètres d'altitude.
Bio de l'auteur :
Écrivaine et journaliste, Virginie Troussier collabore à Montagnes Magazine et Alpes Magazine. Elle a reçu le prix Jules Rimet pour le récit Au milieu de l'été un invincible hiver, qui fut salué par la critique et traduit en italien. Elle a également publié des romans et des essais sur le sport.
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Revenir ne signifie pas seulement reconnaître les siens, reprendre la place que l’on occupait avant. Être de retour, c’est autre chose : c’est être pour toujours, à la fois ici et là-bas, maintenant et hier.
L’attention se focalise sur Bonatti. L’immense Bonatti.
Bonatti sait toutes les lignes d'ascension du versant italien du Mont-Blanc. Il sait la minéralogie des parois, l'équilibre des séracs suspendus. Il a gravi toutes les faces, les arêtes, les piliers. Dans ce versant intimidant, il a tracé des itinéraires inoubliables, Grand Pilier d'Angle, pilier Rouge du Brouillard... Il reste une dernière ligne vierge, la plus belle : le pilier central du Frêney, la plus haute escalade d'Europe, le dernier rempart du mont Blanc, le "dernier problème des Alpes " qui excite l'élite de l'alpinisme européen.
Nous ne sommes pas des plantes. On n'a pas de racines dans le sol, on devrait en profiter au lieu de s'en inventer ou de creuser pour vérifier. On a un corps qui peut se planter là où ça n'était pas prévu. On a le pouvoir d'imaginer ça. On a une vie nomade et intérieure. L'espace, on l'habite et on le fait défiler.
Rien ne me fascine plus, ne me projette réellement hors de moi, que le geste d'un sportif de haut niveau. Quelque chose éclate, tant il y a d'énergie et de beauté mêlées. Une fulguration d'une puissance à vous flanquer par terre, qui n'a nul précédent et ne se répètera jamais plus.
Il s'élance et affronte la piste intelligemment. Les favoris ont laissé la voie libre au seul d'entre eux capable de surmonter une deuxième manche totalement folle. Bode, qui s'apprête à entrer dans l'histoire du ski américain, fait preuve d'une décontraction et d'une maîtrise à toute épreuve pendant que ses rivaux s'enfoncent dans le ventre mou du classement, vaincus par une neige très souple. Et cette grâce lors de la descente parfaite, comme s'il avait par privilège épousé le rythme même de la montagne, fait naitre de ce chaos une brillante comète. Il ne s'agit pas seulement de physique dans le sport, il y a du symbolique, du divin, de la transcendance.
Esprit de compétition ? Pas seulement. Les premières attirent. Faire une première en montagne, c'est passé où personne n'est passé, où personne n'a réussi à passer, toucher ce que personne n'a touché. Éprouver au plus intense le froid, la peur, la variété de la lumière, s'affranchir de tout ce qui est connu, sûr, topographié, aller vers le paysage pareil à de l'os, attraper la matière des pics, leur froncé, leur grain.
Nous vivons avec nos disparus, et cette relation est l'une des choses les plus profondes qu'il nous soit donné de vivre.
La recherche d'adrénaline est une réalité mais il faut aussi savoir la contrebalancer par l'écoute de soi.
Je n'étais plus dans son orbite, ni même dans sa pupille, c'est dur d'être pile dans l'oeil de l'autre.