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Citations de Agnès Vannouvong (40)


Paola, tu ne veux plus de moi. Quelques jours après la séparation, je
l’attends dans le bar d’un hôtel qui jouxte le théâtre où elle joue. Inutile de
m’élancer, d’aller à sa rencontre, la ville entière porte des traces d’elle. Une
femme entre dans le métro, son parfum reste suspendu dans l’air, c’est
Poivre piquant, L’Artisan parfumeur. Collée à la baie vitrée du bar, je guette
Paola. Elle finit par passer, mais elle n’est pas seule. Ses bras enlacent une
fille que je ne connais pas. Elles ne me voient pas, elles s’embrassent,
pleines de sève. Mon corps réclame les mêmes caresses. Mon corps se dévitalise. Je suis en mort cérébrale. Je veux effacer tes empreintes, la mémoire que j’ai de toi. Paola.
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Le sexe n’y change rien. La désintoxication amoureuse a pour amis
l’absence et la perception du temps. Mon corps vit trop de ruptures, il
m’arrive de pleurer le matin, lorsque mon cerveau réalise avant mon corps
la force du vide, le lit froid. Je sanglote comme l’enfant que je ne suis plus.
Je me sens abandonnée. Mes crises durent quelques heures, en général. J’en
sors épuisée, déprimée. Je ne sais plus qui pleurer exactement, Paola ou une
autre. Peu importe, le processus est le même, j’active le dossier abandon. Il
me faut pourtant quitter ces schémas.
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Je ne sais plus qui pleurer exactement, Paola ou une
autre. Peu importe, le processus est le même, j’active le dossier abandon. Il
me faut pourtant quitter ces schémas.
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— Je ne veux pas être objet, je veux être sujet. J’éprouve ma solitude, je
fais sans toi. Hier, j’ai acheté un billet pour Malaga. Le plus éprouvant dans
tout ça, c’est se défaire des habitudes, la présence, l’odeur, le quotidien, les
courses au supermarché, les repas, le vélo dans Paris, les vacances, les discussions après un spectacle. Ce qui me manque le plus, c’est le sens du mot commun. Pendant des mois, j’ai renoncé à la musique, banni la radio, les disques. La musique est devenue une anti-religion, à cause du lien à l’autre. Religere, relier, lier. La musique me fait penser à toi. J’allume la
radio, Dalida, je pense à toi, au yoga, Erik Satie, je me liquéfie. Quand on
est connectée à une âme pendant dix ans, on a le temps d’inventer une
histoire commune. Sais-tu comment on détisse les liens ? Ça commence
comme une désintoxication alimentaire, on repeint les chiottes, la salle de
bains. Fais-moi confiance, ça fait maigrir, ça affine, ça fait mal. Croire en
une idéologie empêche de mourir. Ma foi à moi, c’était toi.
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À Paris, le personnel de l’ambassade thaï s’entiche de lui. Sur les photos
des albums, on le voit poser, jeune élégant, avec monsieur l’ambassadeur ou
dans les appartements privés d’un professeur de la Sorbonne. Il a suivi des
cours d’études politiques et d’économie à l’École pratique des hautes
études. Fier, il me montre sa carte d’étudiant. Comment puis-je ne pas le
croire ? Tout s’embrouille dans mon esprit. Le faux, le vrai. Ma mère me
prémunit contre toute déception. Elle déroule des phrases, je retiens des
mots. Imposteur, voyou, faux père, faux mari, faux jeton. Qui est mon père
et qui suis-je dans cet abîme de fiction qui trouble ma filiation ?
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Durant ces deux jours, je ne peux me résoudre à offrir quoi
que ce soit à mon père. Je lui garde une solide rancœur. Celle d’avoir laissé
ma mère nous élever seule. Lui menait grand train à Bangkok et à Paris. Je
suis incapable de rester chez lui plus de deux jours.
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Mon père était un homme pauvre, à moins que ce ne soit un pauvre
homme. Je le retrouve dans la ville où je suis née. Dans un souvenir
d’enfance, mon père est inséparable d’une mystérieuse mallette en cuir
marron. Mes mains d’enfant veulent l’ouvrir. Elle reste obstinément close et
devient l’objet de toutes mes convoitises. J’imagine des trésors, des
bonbons, une pluie de Carambars et de chocolat. Mon père ne m’a jamais
permis d’ouvrir la boîte magique. Quand je le revois à l’aéroport, il me
semble plus grand que dans mon souvenir. Sur les photos Kodak aux
couleurs saturées, légèrement délavées depuis les années quatre-vingt, il
porte une moustache fine, comme le roi de Thaïlande. La moustache a
disparu, de même que la mallette en cuir, remplacée par un porte-documents
vert. Entre mon père et moi, un long silence, une enfance laissée en points
de suspension.
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Il est toujours minuit. Je ressemble à une créature cyborg, reliée à son
ordinateur, le téléphone dans une main, un verre de vin dans l’autre. Tout à
coup, écrasée de solitude, j’ai un doute, une angoisse nocturne. L’amour se
rencontre-t-il encore au coin de la rue ? La vraie vie est-elle virtuelle, dans
la Toile, sur les réseaux sociaux ? Les mails à la place des lettres, les SMS
pour les télégrammes. L’immédiateté. On claque des doigts. On peut tout
avoir. Des vêtements plein les armoires, à peine essayés, des billets d’avion
électroniques. Tout est à disposition. Quand commence l’histoire ? Que se
joue-t-il derrière l’écran ? Les doigts basculent en azerty ou en qwerty.
L’imagination s’emballe. Et souvent, la déception du corps réel.
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Certaines relations semblent s’écrire avant
la rencontre physique. Tout se joue au bout du clavier et sur la photo des
postulantes à l’amour. Dans un royaume où les mots sont rois, la
publicitaire ou la femme de lettres a toutes ses chances.
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La solitude, c'est les noces barbares de soi à soi.
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La sociologue britannique Ann Oakley l'inscrit ainsi dans les perspectives du mouvement des femmes, avec Sex, Gender and Society, paru en 1972. Selon celle-ci, le sexe est un mot qui fait référence aux différences biologiques entre mâles et femelles, le genre est un terme qui renvoie à la culture : il concerne la classification sociale en "masculin" et "féminin". Le terme de genre permet ainsi la dénaturalisation et la mise au jour des dimensions construites des rôles, ainsi que "la mise en évidence de la production des différences entre les sexes."
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« Cette enquête est démesurée, les lieux, les gens, les événements. À cet instant précis, il comprend que l’art attire le pouvoir et que le monde a besoin de la spiritualité des artistes pour vivre. Il se demande à quel point l’art est une puissance monnayable qui permet de dominer l’autre. »
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« Aux terrasses de café, au bistrot, aux feux rouges, au supermarché, chez l’épicier, aux caisses et aux sorties des grands magasins, dans la rue, au parc, au square, elle mate. Elle passe sa vie à ça. Elle contemple les fesses, les jambes, les seins, les peaux, les visages. (…) Frédérique se rêve en hyperconquérante mais quand les jambes en coton s’approchent de la proie, elle menace de tomber, glisser, s’échouer comme une patelle sur un rocher. Frédérique se rattrape à une balustrade imaginaire et finit par se tirer dare-dare en renversant tout sur son passage. Frédérique + les femmes, c’est une série de rendez-vous manqués, une somme de timidité et une suite de regrets. »
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Elle était un peu folle et se cherchait. Elle était tout ce que je n’aimais pas. Trop aguicheuse. Trop frontale. Trop vulgaire. Elle ne savait pas se tenir. Je pense à sa classe sociale. Sa sexualité débridée, n’en parlons pas. À part le sexe et l’art, rien ne l’intéressait. Bien sûr, je connais un certain nombre d’anecdotes.
Alex fait mention d’un club a Paris, Cris et chuchotements, Victoria était une habituée. Le week-end qui précéda sa disparition, on l’a vue danser et s’éclipser dans l’arrière-salle. Entourée de types. Il y a beaucoup de clients, des habitués, des curieux, tous milieux confondus. Des femmes et des hommes célibataires, mariés, des acteurs, des producteurs et même des politiques. Je connais très bien ce lieu, j’y suis allé avec Victoria. Elle ne passait jamais inaperçue, imaginez, une femme sublime qui portait une valise de torture et de plaisir. Elle fouettait, tapait, claquait, buvait, et rentrait dormir tranquillement. p. 51
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Le galeriste déplie une feuille où apparaissent les villes où Victoria se rend régulièrement. Une liste de capitales liées à l’art contemporain, Bruxelles, Hong Kong, Bâle, Miami. Il sort un chéquier, l’argent n’est pas un problème, j’ai les moyens, je veux qu’on la retrouve vite, vivante. Je vous dis un mot du tableau ? L’homme au lavabo, 1976, format 198 × 147, huile sur toile, le personnage central veut disparaître dans le lavabo, il semble coupé de lui-même et du monde, encerclé dans une arène, en fuite, sans identité et en mouvement, sous ses pieds, un trou, les couleurs, jaune, rouge et noir. Cette œuvre parle du monde tel qu’il est, des hommes et de leur folie, je voudrais le revoir. Victoria était fascinée par cette toile. C’était la pièce maîtresse de sa collection. 
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Frédérique et sa tante ont choisi, soi-disant, un métier d’homme. Chez Duluc, on travaille en famille dans le quartier des Halles depuis presque cent ans. Josée a succédé à son père dans les années soixante-dix. Elle a vu la lente transformation du quartier. Les quincailleries et les poissonneries ferment pour laisser place aux boutiques et bars à cocktails. Il n’est pas rare de boire un canon et fumer un clope sous une vieille enseigne de boulangerie. Frédérique passe rue Lescot, le nouveau jardin donne une ampleur à l’église Saint-Eustache et à la Bourse de Commerce. Son regard grandit vers le ciel. La Canopée de verre et de lame est devenue le ventre métallique de Paris. Elle compose le code, 1977a, monte les trois étages. La directrice de l’Agence regarde sa nièce, la chemise ouverte sous le perfecto, le visage pâle, les cernes, la mèche rebelle, les bracelets ethniques enroulés au poignet. Hello ma chérie, on dirait que la nuit a été courte, tu as planqué tard ? Frédérique fait tomber un sachet de thé et manque de se brûler avec la bouilloire. Ça n’a rien donné ma tante, je n’ai pas une seule photo du client avec sa maîtresse. Ils sont entrés dans le parking et je ne les ai pas vus sortir.
Josée allume un cigarillo, entrouvre la fenêtre. La rue de Rivoli s’engouffre dans le bureau où tremble la figurine de Tintin en imper. On l’aura la prochaine fois. T’inquiète, Fred, on va le coincer. Elle regarde du coin de l’œil sa nièce qui vient de casser une tasse. Frédérique sent bien qu’elle est un peu brute. Depuis toujours, elle manque de tact et ça ne s’apprend pas à l’école. Sa tante s’en inquiète un peu. Elle peut la former, certes, mais pas la transformer.
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INCIPIT
Les lumières s’allument dans l’immeuble d’en face, l’onde blanche électrise les étages, une traînée de poudre dans un écrin de béton et de tiges en acier. Elle observe le bâtiment des années soixante-dix, l’assemblage de montants et de traverses, l’architecture fonctionnelle. Assise dans sa bagnole qui ressemble à une boîte de conserve, Frédérique s’étire et grimace de douleur. Elle tire sur le cendrier qui se renverse sur ses genoux. La détective oublie la poussière de tabac, observe le ballet lointain de deux militaires armés, le béret rouge, l’uniforme kaki, l’oreille collée au talkie-walkie, l’œil qui balaie la rue. Frédérique est en planque depuis trois heures vingt-sept. Elle ne discerne aucun mouvement derrière les fenêtres, pas de silhouette ni de lumière. Il ne se passera rien ce soir. Elle démarre et rentre chez elle. La Fiat Uno file dans la nuit. La privée traverse la ville, ralentit devant chez Duluc. Une fenêtre éclairée attire son attention. Rue du Louvre, l’enseigne des années cinquante clignote vertement dans Paris endormie. Elle a rendez-vous dans quelques heures à l’Agence, il faut qu’elle dorme un peu. Elle se gare à l’arrache sur le trottoir en bas de chez elle, érafle légèrement la voiture sur le mur gris. À la tombée du jour, le stationnement résidentiel devient un mirage. Elle fait un calcul rapide, réveil à sept heures trente-cinq, douche éclair, café serré, elle devra partir à huit heures grand max. Elle active l’application Stop Pervenches. Grâce au réseau communautaire qui géolocalise les agents contractuels, voilà plusieurs mois qu’elle ne va plus à la fourrière de Balard où elle donnait, dégoûtée, un chèque à l’employé collé derrière la vitre plexi. La nuit l’embrasse et le chat la réveille à six heures cinquante-deux. C’est pas vrai, siffle Frédérique, j’ai oublié d’acheter tes croquettes Eddy, ce sera filet de maquereau au naturel.
Le chat miaule, satisfait. Elle fouille dans les tiroirs de la cuisine, la vaisselle s’amoncelle dans l’évier. Plus de produit nettoyant, des restes de nourriture collés au fond des casseroles, les pizzas encartonnées. Elle se prend les pieds dans les packs Volvic, un volcan s’éteint, un être s’éveille. Frédérique ouvre la boîte. Eddy se faufile entre ses jambes, comment ça va gros pépère, t’es content hein, tu vas bouffer, y a que ça qui t’intéresse, bouffer et dormir, hein ?
Elle avale un café brûlant, enfile sa veste, se cogne contre le portemanteau et claque la porte. Le chat miaule comme un ténor italien.
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« Elle arrive à destination, le quartier de Thewet. Elle ne se cache plus, elle pleure dans la rue. May croise une vieille femme qui vend des oiseaux dans une cage en osier. Elle a l'illusion de revoir sa grand-mère, le visage ridé, la peau caramel, dorée, le sourire édenté, la taille maigre ceinte d'un tissu, un mélange de soie et de coton. May ne voit que ça, l'attente de cette femme, son désir de vendre sa cargaison d'oiseaux porte-bonheur. May les achète tous, ouvre les cages minuscules, libère les oiseaux. Le choc de l'exil, c'est un sentiment qui ne vous quitte jamais, c'est la puissance de la mémoire, un non-lieu étranger sur une carte, l'éloignement subi d'une terre, d'une langue, d'une communauté, la confrontation de deux mondes, celui d'où l'on vient, celui où l'on vit, l'ici et le présent, le passé et l'ailleurs, le croisement de l'Orient et de l'Occident. »
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« La lumière est ocre sur l'île. Elle caresse le pilier oriental, la colonne dorée, nette, glisse sur l'ovale, le motif floral, le règne du soleil. Le regard flotte dans les arbres. Toute sa vie, l'Asie fut pour May une ligne de fuite. Enfant, l'évocation de cet ailleurs la transportait. Les récits de sa mère, et la boîte à fantasmes s'ouvrait. Elle s'embarquait dans un ciel sans nuage, l'oeil des statuaires divines, l'exaltation d'un territoire inconnu, l'immersion, la perte des sens, le temps dilaté, la joie, la stupeur, la langue, les faciès et la douceur de là-bas. Sa mère lui racontait la vie de Bouddha, les statues rayonnantes, le stupa, les stands de soupe, les chaises en plastique rouges, bleues, vertes, jaunes, les ronds-points où ça vélote, les motos trafiquées, le silence des temples zen, l'odeur du jasmin, le pont rouge où l'on se promène main dans la main, le père et la mère, l'amour des grands débuts, les enseignes technicolor qui clignotent quand le soleil se fait la malle, les fleurs roses, les baguettes en teck, les feuilles de bambous. »
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Le souvenir disparaît au rythme de la nuit. Seule, dans la ville, je suis debout, je marche, saisie par une pulsion, une puissance de vie, une joie. Peu importe le nombre, les femmes, les sexes. Je réalise que je dois me me retrouver, me rencontrer de nouveau. Aucun chagrin d'amour n'empêchera ces retrouvailles avec moi-même. Pour la première fois, je suis hors de toi, hors d'atteinte.
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