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Citations de Agota Kristof (236)


Voici comment se passe une leçon de composition :
Nous sommes assis à la table de la cuisine avec nos feuilles quadrillées, nos crayons, et le grand cahier. Nous sommes seuls.
L’un de nous dit:
- Le titre de ta composition est : "L’arrivée chez Grand-mère"
L’autre dit :
- Le titre de ta composition est "Nos travaux".
Nous nous mettons à écrire. Nous avons deux heures pour traiter le sujet et deux feuilles de papier à notre disposition.
Au bout de deux heures, nous échangeons nos feuilles, chacun de nous corrige les fautes d’orthographes de l’autre à l’aide du dictionnaire et, en bas de page, écrit : "Bien" ou "Pas bien". Si c’est "Pas bien", nous jetons la composition dans le feu et nous essayons de traiter le même sujet à la leçon suivante. Si c’est "Bien", nous pouvons recopier la composition dans le Grand Cahier.
Pour décider si c’est "Bien" ou "Pas bien", nous avons une règle très simple : la composition doit être vraie. Nous devons décrire ce qui est, ce que nous voyons, ce que nous entendons, ce que nous faisons..
Par exemple, il est interdit d’écrire : "Grand-mère ressemble à une sorcière"; mais il est permis d’écrire "Les gens appellent Grand-mère la Sorcière".
Il est interdit d’écrire : "La Petite Ville est belle", car la Petite Ville peut être belle pour nous et laide pour quelqu’un d’autre.
De même, si nous écrivons : "L’ordonnance est gentil", cela n’est pas une vérité, parce que l’ordonnance est peut-être capable de méchancetés que nous ignorons. Nous écrirons donc simplement "L’ordonnance nous donne des couvertures".
Nous écrirons : "Nous mangeons beaucoup de noix"; et non pas "Nous aimons les noix", car le mot "aimer" n’est pas un mot sûr, il manque de précision et d’objectivité. "Aimer les noix" et "aimer notre mère", cela ne peut pas vouloir dire la même chose. La première formule désigne un goût agréable dans la bouche, et la deuxième un sentiment.
Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues, il vaut mieux éviter leur emploi et s’en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c’est à dire la description fidèle des faits. (p 33-34)
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" J'essaye de raconter mon histoire, mais je ne peux pas, je n'en ai pas le courage, elle me fait trop mal. Alors j'embellis tout." Agota Kristof.
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Exercice d'endurcissement de l'esprit.

Grand-mère nous dit :
- Fils de chienne !
Les gens nous disent :
- Fils de Sorcière ! Fils de pute !
D'autres disent :
- Imbéciles ! Voyous ! Morveux ! Ânes ! Gorets ! Pourceaux ! Canailles ! Charognes ! Petits merdeux ! Gibier de potence ! Graines d'assassin !
Quand nous entendons ces mots, notre visage devient rouge, nos oreilles bourdonnent, nos yeux piquent, nos genoux tremblent.
Nous ne voulons plus rougir ni trembler, nous voulons nous habituer aux injures, aux mots qui blessent.
Nous nous installons à la table de la cuisine l'un en face de l'autre et, en nous regardant dans les yeux, nous disons des mots de plus en plus atroces.
L'un :
- Fumier ! Trou du cul !
L'autre :
- Enculé ! Salopard !
Nous continuons ainsi jusqu'à ce que les mots n'entrent plus dans notre cerveau, n'entrent même plus dans nos oreilles.
Nous nous exerçons de cette façon une demi-heure environ par jour, puis nous allons nous promener dans les rues.
Nous nous arrangeons pour que les gens nous insultent, et nous constatons qu'enfin nous réussissons à rester indifférents.
Mais il y a les mots anciens.
Notre Mère nous disait :
-Mes chéris ! Mes amours ! Mon bonheur ! Mes petits bébés adorés !
Quand nous nous rappelons ces mots, nos yeux se remplissent de larmes.
Ces mots, nous devons les oublier, parce que, à présent, personne ne nous dit des mots semblables et parce que le souvenir que nous en avons est une charge trop lourde à porter.
Alors, nous recommençons notre exercice d'une autre façon.
Nous disons :
- Mes chéris ! Mes amours ! Je vous aime... Je ne vous quitterai jamais... Je n'aimerai que vous... Toujours... Vous êtes toute ma vie...
À force d'être répétés, les mots perdent peu à peu leur signification et la douleur qu'ils portent en eux s'atténue.
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Notre Grand-Mère est la mère de notre Mère. Avant de venir habiter chez elle, nous ne savions pas que notre Mère avait encore une mère.
Nous l'appelons Grand-Mère.
Les gens l'appellent la Sorcière.
Elle nous appelle « fils de chienne ».
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Le libraire dit :

– Malheureusement, je n’ai pas de clients aussi assidus que vous. L’affaire ne marche plus. Avant la guerre, ça allait. Il y avait beaucoup d’écoles ici. Des écoles supérieures, des internats, des collèges. Les étudiants se promenaient dans les rues le soir, ils s’amusaient. Il y avait aussi un conservatoire de musique, des concerts, des représentations théâtrales toutes les semaines. Regardez dans la rue maintenant. Il n’y a que des enfants et des vieillards. Quelques ouvriers, quelques vignerons. Il n’y a plus de jeunesse dans cette ville. Les écoles ont toutes été déplacées à l’intérieur du pays, sauf l’école primaire. Les jeunes, même ceux qui ne font pas d’études, s’en vont ailleurs, dans les villes vivantes. Notre ville est une ville morte, vide. Zone frontière, bouclée, oubliée. Vous connaissez de vue tous les habitants de la ville. Ce sont toujours les mêmes visages. Aucun étranger ne peut entrer ici.
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« Quelqu’un qui n’existe pas ne peut pas revenir. » (p. 276)
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J'ai laissé en Hongrie mon journal à l'écriture secrète, et aussi mes premiers poèmes. J'y ai laissé mes frères, mes parents, sans prévenir, sans leur dire adieu ou au revoir. Mais surtout, ce jour-là, ce jour de fin novembre 1956, j'ai perdu définitivement mon appartenance à un peuple. (p.35)
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Je ferme les yeux, mes douleurs s'atténuent. Le train s'arrête presque toutes les dix minutes. Je sais qu'il y a quarante ans j'ai déjà fait ce voyage.
Avant d'arriver à la gare de la petite ville, le train s'est arrêté. La religieuse m'a tiré par le bras, elle m'a secoué, je n'ai pas bougé. Elle a sauté du train, elle a couru, elle s'est couché dans les champs. Tous les voyageurs ont couru, se sont couchés dans les champs. J'étais seul dans le compartiment. Des avions passaient au-dessus de nous, ils mitraillaient le train. Quand le silence est revenu, la religieuse est revenue aussi. Elle m'a giflé, le train est reparti.
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J'essaie d'écrire des histoires vraies mais, à un moment donné, l'histoire devient insupportable par sa vérité même, alors je suis obligé de la changer.[...] j'essaie de raconter mon histoire mais je ne peux pas, je n'en ai pas le courage, elle me fait trop mal. Alors, j'embellis tout et je décris les choses non comme elles se sont passées, mais comme j'aurais voulu qu'elles se soient passées. (p.14).
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Notre Mère dit :
- Ce sont vos petit-fils.
- Mes petit-fils ? Je ne les connais même pas. Ils sont combien ?
- Deux. Deux garçons. Des jumeaux.
L'autre voix demande :
- Qu'est ce que tu as fait des autres ?
Notre Mère demande :
- Quels autres ?
- Les chiennes mettent bas quatre ou cinq petits à la fois. On en garde un ou deux, les autres, on les noie.
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Nous grimpons dans le galetas à l'aide de la corde. Le policier ouvre le coffre ù nous rangeons les objets nécessaires à nos études: Bible, dictionnaire, papier, crayons et le Grand Cahier où tout est écrit.
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Je me réveille en larme. Ma chambre est dans la pénombre, j'ai dormi pendant la plus grande partie de la journée. Je change ma chemise trempée de sueur, je me lave e visage. En me regardant dans le miroir, je me demande quand j'ai pleuré pour la dernière fois. Je ne me souviens pas.
J'allume une cigarette, je m'assieds devant la fenêtre, je regarde la nuit descendre sur la ville. Sous ma fenêtre, un jardin vide avec un seul arbre déjà dénudé. Plus loin, des maisons, des fenêtres qui s'allument de plus en plus nombreuses. Derrière les fenêtres, des vies. Des vies calmes, des vies normales, des vies tranquilles. Des couples, des enfants, des familles. J'entends aussi le bruit lointain des voitures. Je me demande pourquoi les gens roulent, même la nuit. Où vont-ils ? Pourquoi ?
La mort, bientôt, effacera tout.
Elle me fait peur.
J'ai peur de mourir, mais je n'irai pas à l'hôpital.
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Je souris, je ne peux pas lui dire que je n'ai pas peur des Russes, et si je suis triste, c'est plutôt à cause de ma trop grande sécurité présente, et parce qu'il n'y a rien d'autre à faire, ni à penser que le travail, l'usine, les courses, les lessives, les repas et qu'il n'y a d'autre à attendre que les dimanches pour dormir et rêver un peu plus longtemps de mon pays.
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La torture inutile des professeurs me révoltait. Même quand ils donnaient de mauvaises notes. Les mauvaises notes n'ont aucune importance, alors pourquoi faire du mal à ces êtres faibles et sans défense?
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C'est ainsi que, très jeune, sans m'en apercevoir et tout à fait par hasard, j'attrape la maladie inguérissable de la lecture.
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Je suis convaincu, Lucas, que tout être humain est né pour écrire un livre, et pour rien d'autre. Un livre génial ou un livre médiocre, peu importe, mais celui qui n'écrira rien est un être perdu, il n'a fait que passer sur la terre sans laisser de trace.
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Nous mangeons beaucoup de noix » et non pas: « Nous aimons les
noix », car le mot « aimer » n’est pas un mot sûr. Il manque de
précision et d’objectivité. « Aimer les noix » et « aimer notre Mère »,
cela ne peut pas vouloir dire la même chose.
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Peu importe que ce soit vrai ou faux. L'essentiel, c'est la calomnie. Les gens aiment le scandale. (p. 76).
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Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues il vaut mieux éviter leur emploi et s'en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c'est-à-dire à la description fidèle des faits. (p. 34).
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Pour écrire des poèmes, l'usine est très bien. Le travail est monotone, on peut penser à autre chose, et les machines ont un rythme régulier qui scande les vers. (p.42)
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