Aimee Bender

Voir arriver quelqu’un que l’on aime, les jours où tout va mal, est l’un des plus grands baromètres de la gratitude.

C'était notre pacte : du moment que je ne faisais pas l'enfant, il ne se comportait pas en parent, et pendant une heure,nous pouvions oublier notre rôle et souffler un peu.

Quand la maîtresse nous a demandé de dessiner nos grands-parents pour un devoir sur nos ancêtres, j'ai monopolisé le pastel noir et j'ai représenté une grosse boite noire avec du grillage et des traits qui sortaient pour faire la voix.

Mon père se levait le premier, et à sept heures et quart, il lavait déjà sa tasse à café dans l'évier en mettant de l'eau partout et en fredonnant. Il fredonnait des mélodies que je n'avait jamais entendues, pleine de l'énergie du début de journée qui, à son retour à sept heures du soir, s'était transformée en un besoin absolu de télévision.

Je ne l'avais jamais vu aussi impliqué dans son rôle de père que durant la période où je ne dessinais que des ballons de foot. J'avais aperçu un petit moi dans son regard, logé dans ses pupilles, assis à ses côtés pendant la finale de la Coupe du monde au Brésil, à boire une bière. Mais en donnant une expression aux ballons, le petit moi avait disparu de son regard comme une télé qui s'éteint.

Joseph communiquait parfois avec moi, de la même façon que le désert produit une fleur de temps en temps. On s'habitue aux nuances de beige et de brun et puis un coquelicot jaune soleil éclot sur la branche d'un figuier de Barbarie. Je chérissais ces moments de floraison, comme ce jour où il avait pointé du doigt la lune et Jupiter, mais ils étaient rares et imprévisibles.

C'est une espèce de médium de la nourriture, ou quelque chose dans le genre.(...) On dirait qu'il s'agit surtout de sentiments dont les gens n'ont pas conscience.

J'ai croqué dans le biscuit aux flocons d'avoine. Mêmes impressions - l'avoine, bien séchée, mais pas si bien arrosée, les raisins secs insipides et assoiffés parce que cueillis par des ouvriers assoiffés, la précipitation dans la préparation. Le cookie était très pressé, comme s'il me fallait le manger vite avant qu'il ne fasse qu'une bouchée de moi.

On comprend que la vie n’est pas une répétition en costume, et quand on comprend ça, on n’a pas besoin d’un autocollant pour se le rappeler.

Nous aimons manier la ceinture, dans nos moments de loisirs et la faire claquer dans nos paumes, comme si on était dans un film, avec un cigare, et une mamzelle enguirlandée d’argent rien que pour nous, attendant patiemment sur le canapé.

Nos mères ont tout sacrifié pour nous.

Mais quand on se rend compte de ça, notre répugnance devient sans fond. On pourrait pratiquement l’appâter et l’hameçonner chaque jour de l’année, rien que grâce à ce soupçon d’espoir, jusqu’à ce que tous ses vêtements soient réduits en une pile de lambeaux, jusqu’à ce que son visage soit un pur désastre. Si ce n’était pas si barbant, on le ferait peut-être.

Cette femme aimait les reptiles et les poissons. Comment un être humain normalement constitué pouvait-il aimer les reptiles et les poissons ?

Ça ne doit pas être facile, d’endormir un chien.

Embrasser quelqu’un qu’on connaît depuis qu’on est petit. C’est marrant.

Je suis riche, mais j’envisage néanmoins de piquer quelques trucs, parce que ces gens sont tellement confiants et que j’ai envie de flinguer leur confiance.

Environ la moitié des gens ici sont en couple. Moi je suis là en solo, parce que j’ai pour projet de rendre toutes ces femmes jalouses, en leur rappelant à quel point c’est génial d’être célibataire, plutôt que de se traîner tout le temps le même bon vieux vieux, sauf que ce soir, c’est moi qui suis jalouse d’elles, parce que tous leurs mecs ont l’air particulièrement grand et gentil en cette nuit brouillardeuse et hivernale et que l’un d’eux porte la même chemise qu’un de mes ex dans une espèce de tissu éponge à bouclettes fait à partir de canettes de soda recyclées et qui sent tellement fort le propre que l’odeur parvient jusqu’à moi à cinq mètres de distance, et ce n’est pas très bon signe lorsque quelque chose d’aussi banal qu’un certain parfum de poudre à laver vous anéantit si facilement.

On ne peut pas prévoir les meurtres, ni les accidents, dit un autre médecin dans sa blouse éclatante de blancheur.

C'est arrivé pour la première fois un mardi après-midi, par une chaude journée de printemps dans les plaines d'Hollywood, alors qu'une brise légère soufflait de l'océan et agitait les pétales des pensées aux yeux tuméfiés que nous venions de planter dans les jardinières.

Je me tiens à l'écart des diseuses de bonne aventure pour deux raisons. La première : imaginons qu'elle me regarde et dise : Mona, d'une voix presque éteinte. Oh, pauvre Mona. Elle ne peut cacher sa pitié. Elle dit : Tu mourras jeune, tu mourras alors que tu n'es encore qu'une enfant qui n'est pas parvenue à trouver sa place dans le monde. Ton coeur t'abandonnera avant l'heure.
Je sors de la tente, les épaules basses, le corps en miettes.
Mais sous cette crainte, se terre la seconde, la moins connue, l'avalanche qui gronde : qu'arriverait-il si elle disait : Oh, Mona ! d'une voix enthousiaste. Oh, Mona ! dit-elle, tu vivras longtemps. Tu vas avoir une longue vie et elle sera magnifique.