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Citations de Alain Supiot (45)


"Ce mirage d’une justice spontanée, que l’expérience des atrocités de la Seconde Guerre avait dissipé, est réapparu depuis quarante ans avec la globalisation néolibérale."
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Tout cela, on s'en aperçoit, traduit une perte complète du sens de la communauté temporelle qui relie entre elles les générations ; le bien de chaque génération, le bonheur qu'elle peut attendre, est affaire purement locale et contingente, elle n'a rien à attendre ni des générations passées, ni des générations futures ; à l'inverse, elle n'est tenue d'aucun devoir à leur égard. Dans ce contexte, le risque est grand que chaque génération adopte pour sa part, et cette fois au plan temporel, le comportement irresponsable que décrit Garrett Hardin dans la «tragédie des communs» : affranchie des liens de solidarité historique, chacune aura sans doute la tentation de maximiser son avantage sans trop de soucis du lendemain, voire en reportant sur les générations suivantes le poids des risques, des emprunts, des pollutions et la raréfaction des ressources.
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Ceci est évidemment l'opposé de ce que Simone Weil a expérimenté de la réalité du travail en usine, marquée par «une pensée rétractée», où chacun est polarisé par un rapport faussé à l'instant présent, où il faut accomplir mécaniquement des tâches tout en gardant l'esprit prêt à affronter l'imprévu, la panne qui rompt la cadence, etc. Il s'agit bien de chercher les conditions d'une ouverture à un horizon plus vaste, à un sens, par un détachement à l'égard de l'enfermement de la pensée sur elle-même : «toute action humaine exige un mobile qui fournisse l'énergie nécessaire pour l'accomplir, et elle elle est bonne ou mauvaise selon que le mobile est élevé ou bas [...]. Les conditions mêmes du travail empêchent que puissent intervenir d'autres mobiles que la crainte des réprimandes et du renvoi, le désir avide d'accumuler des sous, et [...] le goût des records de vitesse [...]. Il est presque impossible de ne pas devenir indifférent et brutal comme le système dans lequel on est pris.»*

*extrait de "La Condition ouvrière".
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De même, il est aussi absurde de croire le futur inéluctable que le passé révolu et d'opposer l'un à l'autre, car toujours le futur de l'homme se construit avec l'héritage du passé, ce que Simone Weil appelle des «gouttes du passé vivant» :

"Dans cette situation presque désespérée, on ne peut trouver ici-bas de secours que dans les îlots de passé demeurés vivants sur la surface de la terre. [...]Ce sont les gouttes de passé vivant qui son à préserver jalousement, partout, à Paris ou à Tahiti indistinctement, car il n'y en a pas trop sur le globe entier. Il serait vain de se détourner du passé pour ne penser qu'à l'avenir. C'est une illusion dangereuse de croire qu'il y ait même là une possibilité. L'opposition entre l'avenir et le passé est absurde. L'avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c'est nous qui pour le construire devons tout donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons d'autre vie, d'autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l'âme humaine, il n'y en a pas de plus vital que le passé." (*)

Ainsi envisagé, le problème de notre temps n'est donc pas d'avoir à choisir entre globalisation et repliement national, mais de bâtir un ordre juridique mondial solidaire, respectueux de la diversité des peuples et des cultures. Cette perspective tierce, la langue française nous offre un mot pour la nommer, avec la distinction qu'elle autorise entre globalisation et mondialisation. Mondialiser au sens premier de ce mot (où «monde» s'oppose à «immonde» comme «cosmos» s'oppose à «chaos»), consiste à rendre humainement viable un univers physique : à faire de notre planète un lieu habitable. Autrement dit, mondialiser consiste à maîtriser les différentes dimensions écologiques, sociales et culturelles du processus de globalisation. Et cette maîtrise requiert en toute hypothèse des dispositifs de solidarité, qui articulent la solidarité nationale aux solidarités locales ou internationales.

* [Extrait de «L’Enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain», Simone Weil, 1943]
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La seule règle commune à tous les peuples de la Terre serait l'obligation où ils se trouvent de rejoindre et si possible de surpasser les performances normatives des autres dans un mouvement sans fin de "benchmarking". Grâce à ce processus de révolution permanente, nous serions en marche vers une convergence de l'humanité, appelée à partager les mêmes références juridiques et culturelles, dans une langue qui tendrait elle-même à l'uniformité.
La globalisation porte donc à son point extrême la dynamique du capitalisme, en privant la vie humaine de toute garantie de sécurité et de stabilité.
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Faute de lien vivant entre passé et avenir, toute référence à la tradition est condamnée à apparaître comme crispation idéologique, voire fondamentalisme régressif, tandis que la formulation des projets pour le lendemain ne se donne plus que sous la forme dépréciée de l'utopie.
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La masse des moins fortunés se révoltait contre l’accaparement des richesses par un tout petit nombre, qui les réduisait en esclavage pour dettes ou les forçait à l’exil.
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Le mot "pauvre", dans diverses langues africaines, ne désigne pas ce que la banque mondiale entend par là (un revenu inférieur à deux dollars par jour) : est pauvre "celui qui a peu de gens", qui ne peut compter que sur la solidarité d'autrui. De ce point de vue, nos sociétés riches sont pleines de pauvres, d'une pauvreté que nul ne songe à mesurer et que la sécurité sociale a pu paradoxalement contribuer à accroitre.

(page 166)
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L'invention de l'Etat social n'a pas été l'affaire des seuls juristes, mais a beaucoup emprunté aux sciences sociales naissantes, dont on sait qu'elles étaient à même de donner une base solide à une juste organisation de la société.
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Les massacres déments de la première moitié du XXè siècle ont montré ce qu'il advient lorsque une paupérisation massive est imputée à des boucs émissaires, et nourrit la haine de l'autre: haine nationale ou raciale, haine de classe ou haine religieuse.
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Calculer n’est pas penser, et la rationalisation par le calcul qui a porté le capitalisme devient délirante lorsqu’elle conduit à tenir l’incalculable pour rien. La capacité de calcul est à l’évidence un attribut essentiel de la raison, mais elle n’est pas le tout de la raison.
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À travers cet examen (pour enraciner la population dans le nouveau milieu institutionnel), nous confirmerons qu’il fallait un moment de l’enracinement pour la mondialisation tandis que l’expansion effrénée de marché libre, appelée « globalisation », exige le déracinement. Car, dans le régime de la globalisation, l’être humain est considéré avant tout comme un agent économique sous la domination exclusive du marché libre et est détaché de ce qui cultive socialement et historiquement l’état, en bref sa culture, et donc on peut trouver aisément un aspect du déracinement dans ce régime. En effet, les porteurs de la globalisation regardent souvent les institutions de chaque pays comme des barrières à l’activité économique en insistant sur la nécessité de rendre homogène le monde entier et, en conséquence, nous nous trouvons face à la liquéfaction des institutions propres à chaque culture.
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De même que lors d’un violent tremblement de terre, on n’est guère enclin à danser mais plutôt à se recroqueviller, de même l’insécurité généralisée des conditions de vie humaine suscite en retour des crispations et des réflexes de survie, avec un cortège de violence xénophobe et d’appel à l’homme fort qui saura nous protéger et nous rendre confiance en nous-mêmes. Nous n’avons pas d’autre choix qu’entre, d’une part, ce réflexe de repliement et de fermeture et, d’autre part, l’adhésion sans réserve à la globalisation, c’est-à-dire à un monde sans limites stables, où la seule loi qui vaille est celle de la révolution permanente et de la destruction créatrice ,(Page 12)
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La science est impuissante à fonder un ordre juridique. Les principes sur lesquels repose un tel ordre sont affirmés et célébrés, mais non pas démontrés ni démontrables.
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On peut continuer un certain temps à faire comme si le travail, la terre ou la monnaie existaient indépendamment des travailleurs, des milieux naturels ou de l'économie réelle, mais ces fictions finissent nécessairement par s'écrouler, rattrapées par le principe de réalité.
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En dépit de la jurisprudence qui a reconnu dans le pilotage par algorithmes tous les traits de la subordination salariale, les travailleurs "ubérisés" sont fortement maintenus dans un "en deçà de l'emploi", par des dirigeants politiques soumis à l'intense lobbying des plateformes.
Voir le cas de l'ancienne vice-présidente de la commission européenne, Mme Nellie Kroes, qui, après avoir violemment critiqué dans l'exercice de ses fonctions la condamnation par un tribunal belge des services Uber pop, a rejoint le "comité de conseil en politique publique" de Uber, où siègent également l'ancien secrétaire américain aux transports Ray LaHood, l'ex-président de l'autorité de la concurrence australienne, un ex-Premier ministre péruvien et une princesse saoudienne.

(page 18)
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Les "indicateurs de développement humain", conçus et mis en œuvre avec la meilleure intention du monde, n'échappent pas à ce travers dès lors qu'ils projettent sur la terre entière une normativité ignorante des situations locales. Interdire en termes généraux et abstraits le travail des enfants et faire du taux de leur scolarisation un indicateur de développement humain peut aboutir à ceci qu'on les arrache aux modes traditionnels de transmission du savoir pour les entasser par centaines dans de vastes hangars face à un instituteur dépassé par le nombre. Les conditions réelles d'éducation seront fortement dégradées mais le score du pays s'en trouvera amélioré aux yeux des institutions internationales.

(page 127)
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Nous découvrons comment le droit a toujours participé, avec l’art et la science, de l’imaginaire des hommes, véritable lien entre le réel et l’idéal, qui porte les civilisations. Mais l’imaginaire industriel a fait son temps, et nous entrons aujourd’hui pleinement dans l’ère de l’imaginaire cybernétique, qui répond au vieux rêve occidental d’une harmonie fondée sur le calcul. Un discours qui vise la réalisation efficace d’objectifs mesurables plutôt que l’obéissance à des lois justes, ne laissant aux hommes, ou aux États, d’autre issue que de faire allégeance à plus fort qu’eux, au mépris du droit social.
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Alain Supiot
Singe bipède et parlant, l'Homme est le seul animal potentiellement délirant. Est aliéné, au sens propre, celui qui, enfermé dans la cage de sa propre vision du monde, est étranger au sens que lui donnent ses semblables, et par là même incapable de communiquer cette vision. Pour entrer dans l'univers du sens, tout homme doit abdiquer sa prétention à dicter le sens de l'univers, et reconnaître que ce sens dépasse son seul entendement.

-Hors-série Sciences et avenir n°169-
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La privatisation de l'Etat providence ne conduit donc pas à faire disparaître les droits sociaux mais à en concentrer le bénéfice sur ceux qui en ont le moins besoin.
Par référence à un verset fameux de l'Évangile selon saint Matthieu ("À celui qui a il sera beaucoup donné et il vivra dans l'abondance, mais à celui qui n'a rien, il sera tout pris, même ce qu'il possédait"), les spécialistes parlent d' "effet Matthieu" pour désigner la capacité des forts à devenir les premiers bénéficiaires des dispositifs visant à améliorer le sort des faibles. L'école de la République consacre ainsi en moyenne beaucoup plus d'argent pour les enfants issus de milieux aisés que pour ceux d'origine modeste ; les ouvriers et employés cotisent plus longtemps que les cadres pour des retraites abrégées par une espérance de vie plus faible, etc. L'effet Matthieu n'a rien de nouveau mais, jusqu'à une date récente, il ne se manifestait que du point de vue des prestations. D'un côté les plus riches bénéficiaient davantage que les pauvres des dépenses publiques ou sociales, mais d'un autre côté ils payaient d'autant plus d'impôts ou de cotisations sociales que leurs revenus étaient élevés. L'une des nouveautés de l'économie communiste de marché réside dans l'apparition d'une oligarchie qui a la possibilité de bénéficier pleinement des mécanismes de solidarité sans devoir y contribuer à proportion de ses revenus. Loin de faire disparaître les institutions fondées sur la solidarité, les réformes ultralibérales ont facilité leur prédation.

(pages 50-51)
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