Alexis Laipsker

Combien de temps fallait-il laisser au silence pour qu'il devienne synonyme de sécurité ?

Il s'en voulut. Son erreur était grossière. Il avait négligé l'angle mort de l'escalier.
Lentement, De Rolan se tourna. Échec et mat.
Les quelques fractions de seconde qui suivirent furent suffisantes pour qu'il comprenne qu'il allait mourir.
Il ne vit pas sa vie défiler.
Il ne vit pas le visage rassurant de ses proches. Il ne vit qu'un canon noir pointé sur sa tempe.
Il ferma les yeux, résigné. Il avait presque envie d'en rire.

Les salles d'interrogatoire ne sont pas réputées pour leur décoration raffinée et leur ambiance chaleureuse.
Mais celle-ci battait tous les records.

𝑰𝒍 𝒔𝒆 𝒓𝒆𝒎𝒆́𝒎𝒐𝒓𝒂 𝒍𝒂 𝒄𝒓𝒆́𝒂𝒕𝒖𝒓𝒆 𝒎𝒐𝒏𝒔𝒕𝒓𝒖𝒆𝒖𝒔𝒆 𝒒𝒖’𝒊𝒍 𝒂𝒗𝒂𝒊𝒕 𝒅𝒆́𝒍𝒊𝒗𝒓𝒆́𝒆 𝒅𝒆 𝒔𝒂 𝒄𝒂𝒈𝒆. 𝑫𝒆 𝒔𝒆𝒔 𝒎𝒆𝒎𝒃𝒓𝒆𝒔 𝒒𝒖𝒊 𝒔’𝒂𝒈𝒊𝒕𝒂𝒊𝒆𝒏𝒕. 𝑫𝒆 𝒄𝒆 𝒓𝒆𝒈𝒂𝒓𝒅 𝒔𝒂𝒏𝒔 𝒗𝒊𝒆. 𝑫𝒆 𝒄𝒆 𝒉𝒖𝒓𝒍𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕.

La vue de cette tête sanguinolente posée au milieu de la petite chambre était particulièrement dérangeante.

Un peu de science éloigne de Dieu, mais beaucoup y ramène !

De ces nuits entières passées autour d'un tapis de jeu, il avait conservé le besoin d'associer une probabilité à chaque événement sur le point de se produire. Cette manie singulière lui permettait de voir les choses de manière extrêmement rationnelle, débarrassée de tout sentiment et de toute émotion. Sans doute y avait-il d'autres moyens d'y parvenir. C'était le sien. Il intégrait un maximum d'informations, puis en déduisait une probabilité.

S'il avait soudain perdu le goût du jeu, il avait néanmoins conservé un esprit d'analyse singulier. Il était convaincu que, dans une enquête comme dans une partie de cartes, il suffisait d'observer et de faire les déductions appropriées. La vérité se cachait dans les détails. Autour d'une table de poker, tout le monde mentait. Celui qui prétendait le contraire était le plus menteur de tous. Il avait donc passé plusieurs années plongé dans un univers où le faux était la règle et où, pour survivre, il fallait exploiter chaque bribe d'information.

La remarque qu’il avait faite quelques heures plus tôt devant tous ses collègues avait provoqué un éclat de rire général. Le seul à être resté de marbre était son supérieur, qui en était précisément la cible et qui se trouvait beaucoup moins loin que prévu.
Probabilité qu'il n'ait pas réellement entendu : 20%. Probabilité qu'il n'ait pas compris ce que je disais : 10 %. Probabilité qu'il ait pensé que la vanne était destinée à quelqu'un d'autre : hum... 1 %. Bref, je suis dans la merde à 69 %.

Un paysan comme on en fait plus. Borgne, à moitié sourd. Faut vérifier son état civil, je crois qu'il a trois cent cinquante ans. S'il a tué quelqu'un, c'était sous la Révolution.

La devise de la PJ, "pro patria vigilant", aurait pu être remplacée par "démerdez-vous".

En définitive, cette agression était bien difficile à prouver.
Déjà que pour les affaires de viol, il fallait être en mesure de démontrer qu’on était la victime. Alors là ...

Malgré une maigre expérience du terrain en matière criminelle, Olivia Montalvert était une psychologue brillante que s’arrachaient les tribunaux. Elle s’était spécialisée dans le comportement criminel. Ses rapports concis et pertinents étaient à des années-lumière du verbiage de beaucoup de ses confrères. Pendant que ceux-ci se gargarisaient en régurgitant tel ou tel auteur et en faisant inutilement étalage de leurs connaissances, elle s’aventurait à émettre des hypothèses bien concrètes.

Je suis un assassin
De la pire espèce
Je suis celui qui tue votre fils votre frère votre meilleur ami votre voisin votre collègue sans aucune forme de remords
sans plaisir non plus
Vous avez le droit de me haïr je pense même que vous en avez le devoir
Et si jamais votre âme débordait de suffisamment de miséricorde pour me pardonner mes actes attendez d’apprendre ce que je fais avec les corps… votre seul désir sera alors de me faire payer par tous les moyens
C’est bien naturel

L’intérieur de la chapelle était plongé dans l’obscurité. Çà et là, perçant entre les lames des volets, quelques timides rais de lumière tranchaient les ténèbres.
Il poussa le second battant de la porte. Enfin, le jour pénétra.
Il fit un pas en avant. Puis un autre.
Et il les vit.
Son sang se glaça.
Son visage se figea et devint livide.
Ses lèvres s’entrouvrirent. Mais aucun son ne put sortir.

Le fait d’intervenir à chaud, alors que la surprise n’était pas retombée, que la peur était encore palpable, avait pour conséquence de délier les langues et d’ouvrir des portes insoupçonnées.
Et, effectivement, ils avouèrent.
Ils déballèrent tout.
Ils étaient coupables de mettre du fioul domestique dans leur véhicule Diesel !

Quand on multipliait les crimes et les délits, on s’attendait à ce que ce jour arrive. On le niait, mais on s’y préparait inconsciemment. Du coup, lorsque le jour fatidique survenait, tout sonnait le réchauffé.

Certes, les tueurs en série n’avaient que rarement la tête de l’emploi. Trop souvent, au contraire, ils passaient pour les gentils voisins, serviables et polis. Pourtant, là, Venturi ne lut que de la panique. Cette stupeur si forte qu’elle les empêchait de poser la moindre question ou de protester.

Les gens sont bavards ! Bien sûr, quelqu’un de sceptique va livrer les informations avec parcimonie. Mais les gens qui payent pour me consulter ont un besoin. Et ils attendent de moi que je comble ce vide. Donc, ils parlent, ils se livrent, se confessent. Je suis l’oreille attentive qu’ils n’ont pas trouvée ailleurs. – Et tu factures combien ? Je la regardai, victorieuse.

C’est un truc vieux comme le monde. Les politiciens qui font miroiter des jours meilleurs si on vote pour eux, les fabricants de téléphones qui te promettent que tu seras entouré d’amis si tu achètes leur dernier modèle, les constructeurs automobiles qui sous-entendent que tu auras une famille heureuse, sans oublier les produits de « beauté ». Pourquoi seraient-ils les seuls à en profiter ?