Citations de André Hardellet (169)
Le temps perdu...le plus beau, le plus fécond peut-être ! (...)
Dieu sait si j'ai perdu mon temps ! Il sait également combien je ne m'en repens guère : tant d'autres affirment sans rire qu'ils furent toujours sérieux et courbés sur la tâche que je leur cède volontiers le pas. En fait, je crois bien qu'ils allaient eux aussi rendre visite aux demoiselles accueillantes et qu'ils flânaient au Luxembourg; ils l'ont oublié, voilà tout. (p. 81)
Le rêve - c'est l'instant où tombe enfin la robe des clairières.
La cité Montgol 1952
Saltimbanques. Crépusculaires, un doigt sur la bouche, ils connaissent le chemin du val et du bal.
Il se leva, s'approcha de la fenêtre couverte de buée. De la rue, elle devait produire un halo rose et Masson se rappelait, au temps de sa misère, l'hiver, la fascination exercée par ces lumières qui signifiaient un repas, un feu, une nuit à couvert --- ces vies frôlées mais jamais surprises dans leur déroulement secret derrière les murs et les vitres troubles.
Je vais employer des mots sales, il le faut. Il faut que je vous tire de votre sommeil et de votre hypocrisie. Que je vous explique comment ça se passe.
Gueulez au charron, ameutez les pouvoirs publics tant que vous voudrez, mais accordez-moi ceci: je reste encore bien en deçà de vos divertissements cachés, de vos ballets oniriques.
Il prétendait que la photographie était une invention du diable pour... attendez que je me rappelle...pour nous torturer avec le temps.
Ses seins. Deux obus qui vous sautaient au nez quand elle dégrafait son soutien-gorge. Des bouts de la taille d'une prune, grenus, saillant à peine un doigt sur eux. Le volume élastique dans la paume. Huilés par la salive, les doigts autour, comme lorsqu'on saisit le poids pour le lancer ; un demi-tour de la main, elle aimait.
Et elle rue, en dessus, geint, délire, vous encourage, secoue ses teignes de désespoir.
Vous, la tête à l'étau, brouteur patient, le groin dans la truffe au parfum jamais mis en flacon, vous méprisez votre propre plaisir : c'est le sien qui compte.
Brochet. Fragment de lune tombé dans un étang. Mâcheur de silence.
Ecrire n'est peut-être qu'un des moyens de supporter cette situation d'exclu, de prendre une revanche grâce à des fictions dont nous sommes maîtres. Les mots, eux, ne nous opposent pas un refus de principe. (p. 33)
Sonnet en coudrier
En écartant le chèvrefeuille
Tu démasqueras le lavoir
Magique où nul coup de battoir
Nul saut de truite ne t'accueille.
C'est à midi que choit la neuille
Jambes ballantes va t'asseoir
Contre le royaume du loir
Des calèches frôlent les feuilles.
Laveuses des quatre jeudis
À confesse qu'avez-vous dit
Pour qu'on vous éloigne aussi vite ?
Un prélat à peine teinté
Avec un lièvre prend la suite
Sous des taillis peu fréquentés.
p.28
Les chasseurs Deux
Adieux
Me rendre soc
T'as mise à sac
Toujours ad hoc
Dans mon hamac.
Tes gestes d'aube
Seuls te refont
Faut que j'me sauve
La honte au front.
Vite le temps
Qu'il passe et court
Chez les gitans
De Clignancourt.
On se r'verra
Au clair de lune
Dans trois mille ans
Chacun chacune
Tout en os blancs.
p.104
Voici quelques couleurs peu usitées et difficiles à trouver, en tube, dans le commerce. Leur existence, néanmoins, ne fait pas de doute puisque plusieurs peintres en ont usé sur leurs toiles.
La couleur " Bruges " : un gris-bleu amorti par la distance - une distance que le déplacement ( à pied ou sur un engin mécanique ) ne saurait jamais réduire.
La couleur " mort subite " : un blanc vénéneux. La couleur " agonie " : entre le cuivre et le chaudron. La couleur " désir-comblé " : pareille à la rougeur qui vous envahit quand une paysanne bien bâtie se trousse lentement devant vous, dans un chemin creux.
La couleur " légende " est un peu celle du tilleul séché, répandu sur une nappe de soleil.
VI. FILM
Plumier. Le plumier soudain ouvert, et qui embaume le crayon frais taillé, laisse filer une musique d'essaim.
Poème
Le mystère - c’est la voix étouffée des ramoneurs derrière les murs et le parcours de la Grange- Batelière sous l’Opéra.
La peur - c’est un roulement de tombereau, la nuit, dans un bois où ne passe aucune route.
La douceur - c’est un vol de chouette, sous le taillis, au crépuscule.
Le contentement - c’est l’odeur d’une blonde qui, lente, efface ses bas noirs.
L’angoisse - c’est la congestion, comme une émeute violette, sur le bitume où bouge un soleil
ahurissant.
L’été - c’est l’ombre de la jarre qu’emperle son frais et cette parole qui traverse encore le dédale de vacances.
L’Île-au-Trésor - c’est la touffe de parfums entre tes cuisses - salées.
Le désir - c’est la flèche de rubis qui voie par-dessus 1’Orénoque en flammes et décochée sans bruit.
L’amour - c’est ce pays à l’infini ouvert par deux miroirs qui se font face.
L’enfance - c’est la clef rouillée que cachent les buis - celle qui forcerait toutes les serrures.
Le rêve - c’est l’instant où tombe enfin la robe des clairières.
La plus belle récompense de l’homme - c’est encore son sommeil.
Et le mien tarde bien à venir.
Mémoires
extrait 4
Alors, coiffé d'un gibus et vêtu d'une jaquette noire, je gagne l'ancien hippodrome, où l'on disputait des courses à obstacles jusqu'en 1970. Je me promène dans le pesage désert, j'examine la partie du bois que traverse la piste et où s'égaraient certains jockeys dont on n'entendait jamais parler. C'est fort probablement l'un d'eux que Magritte réussit à photographier au moyen de ses pinceaux.
…
Elle enduisit ses mains de salive. Son coup de poignet très lent, tournant, effleurant à peine, je n'en ai connu de pareil qu'à Joyce, mais Joyce avait trente huit ans et un palmarès fameux dans Londres.
Dactylo inconnue qui tapes ce texte honteux, fatiguée par une longue station debout dans le métro, je devine que tu mouilles ton impalpable slip.
La promenade imaginaire
D'instinct, mon pas n'est guère cadencé. A travers les pages précédentes, on a pu deviner que les militaires et moi nous n'étions pas tellement faits pour nous entendre. Des gens très bien, certes, mais je les préfère de loin, en un secteur de l'espace- le monde en comptera de moins en moins-d'où leurs foudres ont peu de chance de m'atteindre; ou sous forme de soldats de plomb, figurines dont le coefficient d'agressivité reste faible.
J'ai refusé la guerre, je lui ai interdit d'entamer ma vie véritable (...) (p. 131)
D'instinct, mon pas n'est guère cadencé. A travers les pages précédentes, on a pu deviner que les militaires et moi nous n'étions pas tellement faits pour nous entendre. Des gens très bien, certes, mais je les préfère de loin, en un secteur de l'espace- le monde en comptera de moins en moins-d'où leurs foudres ont peu de chance de m'atteindre; ou sous forme de soldats de plomb, figurines dont le coefficient d'agressivité reste faible.
J'ai refusé la guerre, je lui ai interdit d'entamer ma vie véritable (...) (p. 131)