Citations de André Hardellet (169)
Ma pensée file, et se file, ignore toute contrainte, vire, plonge, se retourne avec l'exquise souplesse d'une loutre jouant dans l'eau.
Nous avons tous du génie dans la position horizontale et les yeux clos.
Quelles foulées d'une inimitable aisance sur la cendrée du sommeil !
Fourmis. Sable noir d'un sablier horizontal.
« Avec lui, c’était toujours le seuil du jardin : le passage en plein jour de l’ange imperceptible, le parfum d’herbe à l’orée d’une innocence intacte. Procession de petites filles à travers un terrain vague, vieux pots de terreau dans l’ombre, corsages séchant au soleil, gouttes argentines, les pas secrets sur la mousse. L’étrangère sans pesanteur déshabillée derrière la haie. La porte poussée sur le rêve du loir, sur l’enfance de Fantômas, la trappe du cellier une féerie pour adultes qui n’ont jamais renoncé, une nostalgie qui muse yeux clos, la lanterne sourde des incurables.
Qui fut plus que lui, dans ce crépuscule, le fontainier de la fraîcheur ?
Il n'y a rien de bon à attendre des autres, des grandes personnes. Ils cassent, ils piétinent notre univers ludique avec leurs gros sabots d'adultes et les règles absurdes auxquelles ils prétendent nous soumettre. Peine perdue: l'enfance est aussi une lutte sourde, incessante et, en définitive, victorieuse contre ceux qui n'en font pas partie. (p.20)
Le salut réside dans ce sentiment d'être dépossédé de quelque chose qu'on doit reconquérir à tout prix. […] Le paradis perdu ne devient accessible qu'à ceux qui s'en souviennent et, dans le fond, vous préférez votre regret à l'oubli.
"Dans les coulisses où nos désirs contrariés, ajournés, préparent leur revanche, se trame une tapisserie dont le dessin se révèle parfois en pleine clarté. Pour certains, l'unique joie réside en la rencontre du mythe avec son incarnation fortuite. La surprise nous ravit à une longue pénitence."
"Une brume lumineuse s'élevait devant Masson ; sans heurt, le temps actuel se fondit dans un autre "présent" qui communiquait avec lui"
"Les paroles semblaient venir du fond d'un cloître, à peine plus distinctes qu'un murmure de prières."
"Paisiblement, par les détours de la somnolence, le vin conduisait le vieux solitaire aux portes des casernes enchantées où la vraisemblance n'avait plus cours."
"Cependant, à côté de lui, si proche que, souvent, un cristal trompeur semblait seul l'en séparer, s'étendait cette contrée où rien ni personne ne redoutait de périr, cette terre de joie enfantine et du savoir définitif."
"Un déclic indiqua que le disque se mettait en marche et le son du "piano du pauvre" éclata soudain. Son volume remplit instantanément la salle, dont il dispersa la médiocrité somnolente et recula les limites bien définies ; à travers le brouillard, la musique venait d'un paysage pavoisé aux couleurs du dimanche, sur les bords de l'eau et Masson, accoudé au comptoir, ferma les yeux pour suivre les images qu'elle suscitait."
Les chasseurs
Salon. (À André Breton.) Le salon, si vous connais-
sez l'emplacement favorable, s'ouvre au milieu des
joncs, des trembles, des saulaies ; parfois c'est au clair
de la lune.
Même en hiver, la chaleur solaire et l'air des grands
prés se jettent dans la pièce, secouant sur vous une
neige de fleurs sauvages. En prêtant l'oreille on sur-
prend des musiques de tournois, un murmure de
chasse. Et si, tout à coup, vous respirez sur la robe
d'une danseuse un peu de ces foins volants, c'est
qu'elle s'est tenue, sans le deviner, devant la grande
baie secrète.
p.71-72
Beffroi. Le diable, ayant dissimulé le beffroi dans
son étui à violon, affronta la bise d'hiver et les rues à
angles coupants ; malgré ses calories infernales il
redoutait une bronchite.
À l'octroi, le préposé désigna de sa baguette la
boîte recouverte d'un mauvais cuir noir. Qu'est-ce
que c'est ? Mon gagne-pain, répondit le diable avec
son proverbial à-propos. On le laissa passer.
Le lendemain matin, les habitants éprouvèrent
une certaine gène en n'entendant point sonner le
carillon. Toutefois, comme ils n'avaient guère l'ha-
bitude de lever la tête — exercice fatigant — le
déménagement du beffroi leur échappa.
p.67-68
Extrait : Les chasseurs/Répertoire
Les chasseurs
Répertoire
Coucou. Sosie de l'horizon dans le domaine de
l'acoustique aucun homme saint d'esprit ne peut se
vanter d'avoir rejoint un coucou en se guidant sur
son appel.
Leurs chants, d'une persistante ironie, truffent et
truquent la forêt qui pivote, étourdie.
S'invitant l'un l'autre, ils gîtent dans les verts cou-
loirs d'un palais en feuilles où résonne même la
chute d'une noisette, un pas de loup.
C'est là-bas, tout au bout, que se tient la fête.
p.66
Dame (en noir). Le parfum de la dame en noir
s'évade, rose et nonchalant, d'une guêpière délais-
sée sur un fauteuil.
p.114
Extraits : Les chasseurs Deux/Répertoire
Lune. La cuivrerie pendue au mur de la cuisine et
que touche le clair. Rien d'autre à l'oreille qu'une
souris s'affairant dans un placard.
p.114
Extraits : Les chasseurs Deux/Répertoire
Libellule. Suspendue à un fil invisible, vibre la libel-
lule électrique qui surveille et inquiète les roseaux.
À peine la croyez-vous partie qu'elle se reforme,
insistante, à la même place — ou peu s'en faut.
p.115
Extraits : Les chasseurs Deux/Répertoire
Allumeur de réverbères. Fantassin du crépuscule, sa perche sur l'épaule et portant blouse bleue, il arrivait en éclaireur. Ajustant son engin, il pressait une poire : feu ! Des étoiles jaunes et bleues jalonnaient son passage. Il ouvrait la nuit, et moi, le nez contre la vitre, je savais bien que derrière lui les choses sérieuses allaient commencer.
Dame (en noir). Le parfum de la dame en noir s'évade, rose et nonchalant, d'une guêpière délaissée sur un fauteuil.
Ses cuisses. Le colosse de Rhodes ; l'été.
P30 (Édition L'imaginaire Gallimard)