AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de André Hardellet (169)


Il se leva, s’approcha de la fenêtre couverte de buée. De la rue, elle devait produire un halo rose et Masson se rappelait, au temps de sa misère, l’hiver, la fascination exercée par ces lumières qui signifiaient un repas, un feu, une nuit à couvert — ces vies frôlées mais jamais surprises dans leur déroulement secret derrière les murs et les vitres troubles.
Commenter  J’apprécie          10
Les archivistes



À Guy Béart
extrait 2

   Durant huit heures chaque jour, ils copient ces rapports, les classent, leur donnent un numéro de code. D'innombrables Bouvard et Pécuchet œuvrent dans ces bureaux où s'élabore l'Histoire réelle et «exhaustive» (pour employer le jargon administratif) du pays.

   On ne détruit rien. L'énorme, la démentielle quantité de documents réunis exige une place sans cesse accrue et de vieux quartiers sont rasés pour permettre l'édification de bâtiments neufs où s'accumulent les «doubles» répertoriés. Les protestations des locataires expulsés, que l'on a dû reloger dans des camps de banlieue, ont été reçues d'une manière qui a vite, et définitivement, réglé cet aspect du problème. Les archives sont gardées nuit et jour par les Brigades de Sécurité, dont on connaît les méthodes pour entretenir le bon esprit civique. Ce déploiement de forces et de précautions apparaît peu proportionné avec la convoitise des cambrioleurs ou des espions : qui risquerait sa peau pour apprendre, par exemple, combien de rousses sont passées rue Nathalie-Sarraute pendant la journée du 3 juin 1984 ?
Commenter  J’apprécie          10
Les archivistes



À Guy Béart
extrait 1

   Nul ne sait qui gouverne ; on a bien cité quelques noms, mais le fait même qu'ils circulent dans le public et dans la presse suffit à les écarter du pouvoir réel.

   On ignore également ce qui est permis ou défendu, et les sanctions (c'est-à-dire l'enlèvement et la disparition des coupables) tombent avec une soudaineté qui glace les plus téméraires ; ainsi s'est établie une nouvelle forme de terreur : l'insécurité permanente des citoyens.

   Une nuée de policiers surveille le pays, sans d'ailleurs exercer aucune contrainte matérielle ; leur tâche — et elle est écrasante — consiste à rendre compte de tout ce qu'ils ont pu observer. Même des faits en apparence les plus insignifiants : une rixe d'ivrognes, les propos de deux pêcheurs à la ligne, une coloration bizarre du ciel, etc. Bien entendu, les communications téléphoniques enregistrées sur les tables d'écoute entrent dans leur domaine.

   Les comptes rendus sont adressés à des fonctionnaires qui jouent maintenant un rôle prépondérant dans le régime : les archivistes.
Commenter  J’apprécie          10
Mémoires



extrait 2

          Quelle argenterie soudain démasquée sur les hauteurs voisines ! Les meuniers et les faucheurs des enseignes partaient pour le travail, abandonnant leurs compagnes endormies dans les couleurs tendres ou les dorures. Une chasse à courre traversait les stores du charcutier.

          Et quelles Pomones descendaient les pentes aux heures creuses du plein été ! Lourdes, lentes, elles faisaient crier de désir les hôtes inapprochables du taillis.

          Les bulldozers ont rasé la maison d'Hector Malot et son jardin à l'abandon où une grande sœur lascive m'emmenait promener ; nous nous aimions chaque nuit, à cette époque.
Commenter  J’apprécie          10
Mémoires



extrait 1

          Parfois — nous avons tous de ces faiblesses ! — je me demande si quelque lecteur tentera de reconstituer mon itinéraire semé des emballages bleus des gauloises. Des gauloises blondes, bien entendu. Je fume également des belges un peu opulentes, d'une trentaine d'années. Dix-huit minutes en métro, depuis l'Hôtel de Ville : à la portée de toutes les bourses et de toutes les patiences.
Commenter  J’apprécie          10
Poème

Le mystère - c’est la voix étouffée des ramoneurs derrière les murs et le parcours de la Grange- Batelière sous l’Opéra.

La peur - c’est un roulement de tombereau, la nuit, dans un bois où ne passe aucune route.

La douceur - c’est un vol de chouette, sous le taillis, au crépuscule.

Le contentement - c’est l’odeur d’une blonde qui, lente, efface ses bas noirs.

L’angoisse - c’est la congestion, comme une émeute violette, sur le bitume où bouge un soleil

ahurissant.

L’été - c’est l’ombre de la jarre qu’emperle son frais et cette parole qui traverse encore le dédale de vacances.

L’Île-au-Trésor - c’est la touffe de parfums entre tes cuisses - salées.

Le désir - c’est la flèche de rubis qui voie par-dessus 1’Orénoque en flammes et décochée sans bruit.

L’amour - c’est ce pays à l’infini ouvert par deux miroirs qui se font face.

L’enfance - c’est la clef rouillée que cachent les buis - celle qui forcerait toutes les serrures.

Le rêve - c’est l’instant où tombe enfin la robe des clairières.

La plus belle récompense de l’homme - c’est encore son sommeil.

Et le mien tarde bien à venir.

"Qu’exigeons-nous du ventre d’une femme, sinon le plus somptueux dérivatif à notre misère d’être au monde ?"
Commenter  J’apprécie          10
« La plus belle récompense de l’homme - c’est encore son sommeil ».
Commenter  J’apprécie          10
" Il sortait pour rattraper le présent au passage » et avec un peu d’herbe cueillie dans ses lourdes mains, il va vers son sommeil."
Commenter  J’apprécie          10
Chacun lutte comme il peut contre l’angoisse de la mort et la solitude ; tracer des mots pour les écarter ne constitue pas l’un des plus mauvais moyens inventés par l’Homme.
Commenter  J’apprécie          10
Un écrivain n’œuvre jamais qu’à vous conduire sur un seuil, en vous confiant quelques clefs avant de s’esquiver ; il ignore si la bonne se trouve dans le lot et si le château qu’il vous propose de cambrioler en vaut la peine.
La plus féconde de vos –promenades imaginaires-, c’est maintenant à vous de l’entreprendre et de savoir à quoi elle aboutit. Alors, prenez-vous par la main. [« La Promenade imaginaire » / p. 159 ]
Commenter  J’apprécie          10
Rien qu'une guêpe bourdonnant, dehors, autour d'un cruchon. Et, avec ce faible bruit, c'est l'Eté qui entre dans la cuisine et caresse une botte d'oignons pendue à un clou.
Commenter  J’apprécie          10
je mesure ce que je dois à ces heures perdues à prendre contact avec la vie. Je regarde avec reconnaissance, avec amitié ces journées de congé clandestines. Je me penche sur mon loisir passé pour l'interroger une fois de plus, convaincu qu'il ne m'a pas tout dit. Armé d'une baguette de sourcier, je remonte le cours des années. De temps en temps, je m'arrête : la baguette a tressailli. Je sais que là, sous l'humus, est cachée une nappe de souvenirs vivaces, qui voudraient se faire jour, comme l'eau souterraine. Je ne réussis pas toujours mais parfois, en creusant, je découvre la source.
Commenter  J’apprécie          10
Fiche de police

Pour Pierre Seghers Extrait 3


 Il y avait ce plus secret de toi
ce blond de toi épanouie
l’étoile de mer encore humide entre deux désirs.


 Il y avait ton attente la première permission
du soldat à la guerre
ton souvenir – et c’est la pluie qui bat tiède
contre les volets clos de la mémoire
ton souvenir à inventer
‒ mais jamais toi tenue certaine
au midi du bonheur
et pourtant quelques-uns t’ont vue en plein jour
ou derrière leurs poèmes
tu es plus vieille que la peine du monde
et plus neuve que la joie de vivre
c’est toi que les hommes ont toujours voulue
dans leur faim de tendresse
au bout des jours au bout des routes
celle qu’ils ont appelée la veille de la chaise électrique
ou du peloton d’exécution
pour qui tous ont trahi leur plus franche parole
et tenu leurs plus dérisoires serments
celle qui embrassait trop tard les gars punis
avant la fosse commune ou les croix de bois.


 Il me reste à te donner un nom
 à te donner vie
 il me reste surtout à te rencontrer
 comme les mains émerveillées de l’aveugle
 trouvent la présence du soleil
 sur un pan de mur.
Commenter  J’apprécie          10
Fiche de police

Pour Pierre Seghers Extrait 2


tes mains – pavots qui apprivoisent l’insomnie
tes mains pour les mains nouées et les promesses scellées
tes mains pour tendre les tartines
tes mains pour toucher ton amour
tes hanches comme la péniche pleine
comme l’amphore épousée par les doigts de haut en bas
ton ventre pour les tabliers bleus du matin
et les gaines soyeuses des minuits de luxe
ton ventre la pleine joie de la pleine mer
ton ventre de houle
tes cuisses de flandre
ton sillage de carène heureuse et de menthe volée
ton odeur de servante jeune et de pain bis
ton odeur de vachère et de jachère en avril
ton odeur de renoir et d’auberge calme
ta peau de santé le slalom nègre sur la pente des étés
tes robes de bouquets aux crayons de couleurs
sur un vieux cahier d’école
tes robes en dimanche tes robes de bonjour
tes matinées au lit comme une nage facile par la grande baie

 des fougères
ton envie comme une salve qui salue la rade où brûlent mille

 rochelles
et l’argent des avirons
‒ et te voici dressée, plantée sur ton plaisir et qui délires –
ton envie le suc qui éclate de la figue mûre
ta voix venue des châteaux en Bavière
ta voix qui étonne les légendes dissimulées
ta bouche pour dire oui
ta salive à boire
ton sourire d’enfance retrouvée....
Commenter  J’apprécie          10
Fiche de police

Pour Pierre Seghers Extrait 1


Il y avait ton cœur fermé
ton cœur ouvert
ton cœur de feu couvert
tes cheveux pour filer entre les doigts
pour verser leur sable sur mon sommeil
et pour enchanter la fatigue
tes cheveux comme un treillage entre le regard et les
 vignes qui flambent
tes cheveux de luisant et de sorgue
tes yeux avec la halte à l’ombre
et la colonne de froid sur le puits
tes yeux les anémones ouvertes dans la mer
tes yeux pour plonger droit dans les vaucluses
et dérober leurs paillettes aux fontaines
tes yeux sur les averses qui volent sur les ardoises
tes bras pour les bras tendus
pour le geste cueillant le linge qui sèche
pour tenir la moisson de toile contre ta poitrine
pour maintenir la maison de souvenirs contre le vent
tes bras pour touiller les bassines de confiture
tes seins les dunes d’un beau soir
tes seins pour les paumes calleuses au retour du travail…
Commenter  J’apprécie          10
Le voyeur


  Le voyeur a trente-quatre ou soixante-douze ans, il est vêtu
misérablement ou avec recherche, mais, toujours, son attitude
provoque la méfiance ; il ressemble à un homme égaré en plein
midi au milieu de la ville. Malgré son nom, les divertissements
érotiques d’autrui ne l’ont jamais attiré outre mesure : il recherche
de plus déroutants spectacles.
  Vous l’apercevrez comme frappé de stupeur devant une porte
cochère, un arbre, un immeuble en démolition. Planté devant la fenêtre
entrouverte d’un rez-de-chaussée, il paraît suivre avec une extrême
attention la scène qui se déroule à l’intérieur — et, lorsque vous vous
approchez, vous constatez que le logement est vide.
  Certains affirment qu’il voit, d’où son nom, d’autres qu’il imagine
seulement. Il est possible que le Voyeur ait surpris une fois au moins
une faille dans les façades qui bouchent les regards, sinon on
s’expliquerait mal son obstination (à part sa manie, il se comporte,
dans l’existence, en homme sain d’esprit). Il croit à un complot
permanent des apparences que, seule, la fatigue trahit parfois. Et
c’est ce moment de faiblesse qu’il espionne avec une inlassable
patience, trappeur des grandes cités opaques.

  Tel se présente le Voyeur souvent pris pour un homme ivre ou un
pornographe.
Commenter  J’apprécie          10
                      Faubourgs et villes

  Il existait un point précis et unique (sur le mirador d'une guin-
guette) d'où la seconde ville apparaissait, comme à travers une
« grille », parmi l'enchevêtrement des rues que vous parcouriez
chaque jour. Elle naissait sous vos yeux, telle l'image qui se déta-
che d'une goutte d'eau écrasée. On distinguait des jardins, des
avenues, des canaux, des monuments inconnus si subtilement dis-
tribués à travers la ville publique qu'on ne pouvait les soupçonner
d'en-bas.
  Le propriétaire de la guinguette ne louait même pas le droit de
regard, il vous donnait votre chance pour rien. Mais l'angle favo-
rable, sur le mirador, était bien difficile à saisir et un écart minime
abolissait la cité clandestine qui se rétractait instantanément.
  Il n'est pas interdit de voir là une explication aux propos de
certains noctambules affirmant s'être égarés dans un pays étranger,
à quelques pas de chez eux.
Commenter  J’apprécie          10
POÈME


Le mystère — c'est la voix étouffée des ramoneurs derrière les
murs et le parcours de la Grange-Batelière sous l'Opéra.

La peur — c'est un roulement de tombereau, la nuit, dans un
bois où ne passe aucune route.

La douceur — c'est un vol de chouette, sous le taillis, au cré-
puscule.

Le contentement — c'est l'odeur d'une blonde qui, lente, efface
ses bas noirs.

L'angoisse — c'est la congestion, comme une émeute violette,
sur le bitume où bouge un soleil ahurissant....
Commenter  J’apprécie          11
Elle se passe comme ça, la vie, braves gens : entres des morts auxquels on a coupé la parole et des vivants qui se taisent

p101 (Édition L’imaginaire Gallimard)
Commenter  J’apprécie          00
"Ta main lente, bien huilée. Tes yeux quand tu prends ton plaisir..."

p80 (Édition L’imaginaire Gallimard)
Commenter  J’apprécie          00



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de André Hardellet (208)Voir plus

Quiz Voir plus

Kiffe Kiffe demain

Comment s'appelle le personnage principal du livre ?

Horia
Doria
Dorine

10 questions
75 lecteurs ont répondu
Thème : Kiffe kiffe demain de Faïza GuèneCréer un quiz sur cet auteur

{* *}