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Citations de Anna Maria Ortese (48)


Créer, c’est une forme de maternité : cela éduque, rend heureux et adulte dans le bon sens. Ne pas créer, c’est mourir et, d’abord, vieillir irrémédiablement.
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Ta bestialité, ton néant substantiel, m’ont soustrait à toutes les merveilles et à toutes les joies auxquelles j’étais voué de par ma naissance, beauté, génie, distinction. Je me suis perdu avec toi, qui ne possèdes rien.
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Il y a des doigts, c'est-à-dire des cheminées, et il y a des yeux et des oreilles, et les yeux et les oreilles ce sont les gentilles-jaunes fenêtres de Paris, dans le soir d'août, à l'écoute de toute chose, pleines d'un regard de passion pour toute chose. Et de la tête aux pieds de ces maisons-magiciennes, de ces maisons de l'autre monde -- le monde humain partout disparu --, crient, résonnent, chantent toutes les couleurs de l'écharpe d'Iris, toutes les couleurs qui sont dans l'arc-en-ciel de Paris. La plus forte en est la jaune ; comme il sied en l'honneur du gris, mais le rouge se montre à son tour à l'improviste aux rideaux des fenêtres et des magasins d'un immeuble-palais, un rouge laque, un rouge rubis, et soudain, d'un autre endroit de la rue -- de la place, du pont ou du bois --, des troupes de turquoises font mouvement à l'assaut du téméraire, épaulées par des verts et des violets qui se confondent, à la faveur de l'ombre avec le vert du fleuve. Depuis le lointain, depuis le fleuve, s'avancent des roses et des blancs, et bientôt la bataille des couleurs fait rage sur le Paris du crépuscule. C'est à ce moment-là qu'apparaissent ses réverbères de perle noire. p 34
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Ce n’était pas tant la peur du silence, de la nuit lointaine qui la dominait que cette peur de soi impossible à affronter.
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En quantité désormais apocalyptique, ils voyagent sur toute la terre dans des wagons plombés où ils perdent connaissance, pleurent ou meurent comme, autrefois, les prisonniers de guerre ; puis, s’ils parviennent à rejoindre les abattoirs, ils sont introduits dans des machines à tuer d’où ils sortent déjà prêts pour les restaurants de luxe ou les sandwicheries. Notre ventre, le ventre de cette génération occupée à la satisfaction la plus complète possible de sa propre liberté physique — et ceci d’un continent à l’autre —, se nourrit et se satisfait délicieusement de l’horreur subie par les animaux. Combien d’animaux ? On ne peut plus les compter.
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«Non… ce n’est pas de ça que tu dois avoir peur », poursuivit-il en plissant le front à cause du léger effort qu’il devait faire, de temps en temps, pour se rappeler, comme pour prendre acte de ces changements, et distinguer entre ces superpositions continues de réel et d’irréel, « pas de ça, Ilario, mais de ton esprit même, comme moi du mien. Il y a quelque chose que nous ignorons, que nous ne voulons pas savoir, il y a quelqu’un de caché, qui nous empêche de regarder… Il y a une tromperie au détriment de personnes faibles… Il y a, dans notre éducation, quelque erreur de base, qui coûte du tourment à beaucoup, et c’est ce que j’entends assainir. »
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Je n'ai pas vu beaucoup d'oeuvres du Greco, mais je suppose que c'est d'un de ses tableaux qu'était descendu, l'autre jour, le couple de jeunes hommes assis à quelques mètres de moi, sous les miroirs.
(...) Des voix comme des joyaux secs et purs dans la poussière. Ensuite la beauté. Les jumeaux sont grands, noirs de partout sauf de peau, laquelle a des nuances grises et vertes. Les figures sont latines, mais émaciées, allongées, avec des yeux, des nez et des bouches d'une ligne pure, mais dans une immobilité byzantine, à l'intérieur d'une fureur glacée ; grands, calmes et tristes ; non plus des figures : des pensées. Ils sont calmes et beaux ; grands, calmes et tristes. Ils discutent, quoique dans un chuchotement. Ils ont des regards comme chez Picasso : taillés en deux ou trois facettes d'attention, de sévérité, de silence. p 57
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Mille jeunes filles dansent au Kremlin

"Elle est longue, l'histoire russe, dis-je.
-Longue et obscure, répondit Alexandra.
-Vous avez eu beaucoup de victimes.
-De toute sorte. de la faim, de la tristesse, du sommeil. Il n'y avait que la neige, alors, et sur la neige l'image du Christ.
-Vous détestez le Christ, à présent ?
-Ce n'est pas ça, dit alexandra. Nous cherchons seulement à être meilleurs : plus actifs, plus honnêtes, plus rigoureux, heureux aussi; nous cherchons à ressusciter une image , qui était détruite. Notre image de femmes, d'hommes. ce n'est pas facile. Mais nous n'avons pas d'autre devoir que celui-là; vous aussi en occident, je suppose.
-Oui ", dis-je. et il me sembla qu'il aurait dû en être ainsi, même si je savais que chez nous cette conception était absolument impossible.
Inquiète, je voulus me lever. tandis que je causais avec Alexandra, mon regard était toujours là-bas, sur ce jeune peuple qui se mouvait avec la grâce indicible des colombes. Il y avait une profonde barrière entre ces jeunes filles et moi, un mur invisible entre ces jeunes existences et la mienne, entre cette image merveilleuse et notre Occident; pourtant il me semblait savoir qu'il devait y avoir un moyen pour ouvrir un soupirail sur ce monde, pour le comprendre, entendre ses raisons. Pour savoir si, finalement, il ressemblait à notre monde.

(p. 122)
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Comme toutes nos journées, c’est-à-dire la vie, la sombre mer qui nous entoure change même de substance, dit-il, au point de se transformer, c’est le cas de le dire, en air trépidant. Et seulement parce que la pensée a entrevu la part manquante de soi, beauté ou monstre, n’importe. Oui, il y a du vrai dans ce que tu affirmais toi, il y a un instant, Daddo, sur l’inexistence d’une véritable ligne de démarcation entre réel et irréel. Chaque chose, fût-elle à peine pensée, est aussitôt réelle. Ce dont nous avons besoin, voilà ce qui est réel; et pour cela nous pouvons même mourir, ou permettre à d’autres de mourir. Notre mort, ou celle d’autrui, n’a plus d’importance.
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Libre ! Qu’est-ce à dire ? Une liberté peut-elle venir de l’extérieur ? Peut-elle n’être pas le fruit d’une violence exercée sur notre désir de vie confortable et sûre ? Peut-elle se concilier avec l’idéal d’une vie allégée de responsabilités, quand ces responsabilités furent par nous-mêmes librement assumées ?
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Réfléchis, pensif Lecteur, à l’étroitesse mentale particulière du jeune architecte, où cependant se niche une générosité que lui-même, avant de débarquer sur cette île douloureuse, ignorait. Ensuite, tourne ta tranquille raison, toi qui es sauf, vers l’effrayante vérité de l’âme, qui est ici, partout, et nulle part, et cela tandis qu’un jeune corps avance, prend une certaine direction, une autre, où le mènent les nouvelles questions de son esprit. Mais qu’est-ce qu’un corps devant ce qui le conduit et que ce corps, ces mains, ces yeux ont le simple devoir d’exprimer ? Et qu’est-ce que le temps, où de tels actes, de telles pensées se démêlent ? qu’est ce que l’espace, sinon une convention ingénue ? et une île, une ville, le monde même avec ses tumultueuses capitales, que sont-ils d’autre sinon le théâtre où le cœur, frappé de remords, pose ses ardentes énigmes ? Alors, ne t’étonne pas, Lecteur, si la maladie (ainsi pouvons-nous appeler la pensée), qui depuis longtemps menaçait notre comte, mort vivant dans sa classe, a explosé sous les formes terribles que tu vois, en révélant la souterraine mélancolie, la cruelle exigence du réel. C’est pourquoi, du pré et du bois, de la salle et du puits, de la tempête et du beau temps, des rapides nuages d’avril et de la clôture de novembre, qui ainsi se confondent à la fin de notre histoire, ne cherche pas la cause, et reconnais en eux, plutôt, le cheminement résolu, et seul vrai, de l’âme, d’entre les choses qui ont pris son apparence jusqu’ici, et pleines de trouble et de peur, l’imitent.
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En tout cas, il n’appartenait de décider ni à lui ni à Adelchi, et sans doute pas même aux critiques : dans l’état où ils étaient, absolument incompréhensibles, les deux poèmes semblaient faits exprès pour provoquer cette perplexité et cet ennui qui sont des garanties certaines de vente. (Telle était, cher Lecteur, comme tu vois, la mentalité de Daddo, qui des livres ne comprenait rien ou presque, comme le voulait le siècle, et il n’en allait donc pas entièrement de sa faute.)
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Sans revenir très loin en arrière, ni sortir de ces pauvres murs, demeure d’inquiétudes et de justes soupçons, disons qu’un cinquième personnage, tout à fait invisible et caché, assistait ce soir-là au repas frugal de nos amis, un personnage qui représentait toute la pensée douloureuse et triste de la demoiselle. Rien de moins que le Cardillo : cet oiseau qui n’était pas un oiseau, mais une sorte de destin, et sur lequel sa mère ainsi que Teresa et Ferrantina revenaient souvent dans leurs conversations, comme étant à l’origine de tous leurs maux de la famille.
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Je le répète, je ne m’y connais pas en médecine, et je ne suis pas sûre que la pratique de la vivisection soit vraiment indispensable à l’étude des maladies qui menacent l’humanité ; en revanche, je m’y connais un peu en mots, et en leur signification. La vivisection (…) est une expérience scientifique (et elle peut aussi ne pas être scientifique, mais dictée par la simple curiosité) faite en sectionnant des animaux vivants, avec l’aide, ou non, d’anesthésiques.
La vivisection n’est rien d’autre.
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Dès avant que de rouvrir ses petits yeux, et de se rendre compte qu’elle s’est endormie la tête appuyée au mur, se remet en branle dans la fille du mal le cercle compliqué de sa terreur.
Ce dernier, ô Lecteur, comprend une série de cercles, auxquels tu peux aussi bien donner le nom de jours, de mois, ou disons d’années, composés d’un vide absolu. Mais le plus éloigné de ces cercles, bien blafard désormais, est un simple rayon de soleil d’octobre, où la tête angélique du marquis, alors presque un enfant, a la gravité et la bénignité d’un dieu, pour ne pas dire d’un homme. Là-bas, certains rayons qui partent de l’inépuisable azur de ses yeux disent à l’Iguanette qu’elle, l’Iguanette, est très chère au marquis, qu’elle est une partie de son âme, qu’elle appartient désormais à l’humaine famille, et qu’elle ne devra donc plus ramper et mourir. L’Iguanette, élevée de sa condition animale précisément par ce qu’en elle voit, ou croit voir, le marquis, n’est plus une Iguanette, un triste petit corps vert, mais une aimable et ravissante fillette de l’homme. Le marquis se promène avec elle sur la plage, en lui donnant le bras, exactement comme à une minuscule dame jolie, et approche la tête de son fin museau, l’appelant plusieurs fois « ma petite étoile ». L’Iguanette ne se sent plus d’orgueil et d’aise. Elle ne s’est jamais regardée dans un miroir, depuis qu’elle est née, mais peu importe : elle sait qu’elle est belle, maintenant, très belle, et, comme toute fille de l’homme, elle en est heureuse. Chaque chose qu’elle fait, chacun de ses pas, chacun de ses coups d’œil, le moindre de ses gestes inconscients, semble plus agréable au marquis que le printemps même ou qu’une couronne royale.
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À cette époque-là , le cœur de l’Iguanette est chaud et sombre, telle une graine cachée sous bonne terre. Elle sait que , dans peu de temps, il s’ouvrira en une belle fleur d’azur, et, qui plus est, éternelle, et ainsi n’est-elle pas pressée.
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Comme tu le sais, Lecteur, chaque année, quand le printemps est là, les Milanais s’en vont de par le monde en quête de terres à acheter. Pour y bâtir des maisons et des hôtels, naturellement, et peut-être même, plus tard, des maisons populaires ; mais c’est surtout après ces expressions de la « nature », restées encore intactes, qu’ils courent, après ce qu’ils entendent, eux, par nature : un mélange de liberté et de ferveur, avec une bonne dose de sensualité et un brin de folie, dont ils semblent assoiffés à cause de la raideur de la vie moderne à Milan. Des rencontres avec les indigènes et la ténébreuse noblesse de telle ou telle île, sont parmi les émotions les plus recherchées ; et s’il te vient à l’esprit que la recherche de l’émotion convient mal aux vastes possibilités de l’argent, réfléchis à l’étroite correspondance entre puissance économique et affaiblissement des sens, raison pour quoi, parvenu au sommet du pouvoir d’achat, on est pris de je ne sais quelle torpeur, quelle incapacité générale à discerner, à apprécier ; et celui qui, désormais, pourrait se repaître de tout n’a de goût que pour peu de chose, ou rien.
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Ces dernières années il m’est arrivé plus d’une fois d’être amenée à prononcer le mot « esprit » et de voir soudain apparaître, sur le visage des personnes présentes, de haute ou moyenne culture, une crispation, quand ce n’était pas une grimace irritée ou soupçonneuse, qui se transformait aisément en agressivité.
Invitée à clarifier le sens que je donnais à ce mot, certains, imaginant que je me débattais dans des difficultés verbales, venaient aimablement me voir, sollicitant une explication liée à une philosophie de la nature à laquelle je ne pensais absolument pas, alors que d’autres,plus intelligents, ou ayant tout de suite compris ce que j’entendais par ce mot, manifestaient ouvertement leur indignation : bref, les uns comme les autres m’accusait des choses les plus étranges : tantôt de ne pas être au courant des dernières découvertes scientifiques, tantôt de ne pas avoir tenu compte des derniers chapitres en matière de philosophie, tantôt, et j’utilise les termes exacts de cette dernière accusation, d’utiliser des mots qui n’ont plus aucun sens, ni dans la langue italienne, ni dans n’importe quelle langue moderne.
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L’effet de cette nouvelle (le décès de son frère), sur la maisonnée, fut d’abord comme une sorte d’enfer, mais par la suite un étrange silence. Selon moi, ce silence, qui suit toutes les disparitions, même celle de petits animaux aimés, correspond à une sorte d’évanouissement de l’âme. Une amputation s’est produite ; une partie de l’âme s’en est allée pour toujours. Et l’âme réagit en cessant d’écouter tout bruit, tout son, toute voix de la nature environnante et de sa propre vie.
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Durant les premiers temps de sa vie, ce petit être, encore pétri de toute la fraîcheur et de la beauté qui avait constitué le sentiment de ses parents, est l'objet, de la part de ceux-ci, des soins les plus anxieux et les plus passionnés.
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